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de celle que l'on cherche. Qui pourroit écouter ces sortes de conversations et les écrire, feroit voir quelquefois de bonnes choses qui n'ont nulle suite.

Il a régné pendant quelque temps une sorte de conversation fade et puérile, qui rouloit toute sur des questions frivoles qui avoient relation au cœur, et à ce qu'on appelle passion ou tendresse. La lec2 ture de quelques romans les avoit introduites parmi les plus honnêtes gens de la ville et de la cour: ils s'en sont défaits, et la bourgeoisie les a reçues avec les équivoques.

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Quelques femmes de la ville ont la délicatesse 'de ne pas savoir, ou de n'oser dire le nom des rues, des places et de quelques endroits publics, qu'elles ne croient pas assez nobles pour être connus. Elles disent le Louvre, la Place royale; mais elles usent de tours et de phrases plutôt que de prononcer de certains noms; et s'ils leur échappent, c'est du moins avec quelque altération du mot, et après quelques façons qui les rassurent en cela moins naturelles que les femmes de la cour, qui, ayant besoin,dans le discours, des halles, du châtelet, ou de choses semblables, disent les halles, le châtelet. Si l'on feint quelquefois de ne se pas souvenir de certains noms que l'on croit obscurs, et si l'on affecte de les corrompre en les prononçant, c'est par la bonne opinion qu'on a du sien.

L'on dit par belle humeur, et dans la liberté de la conversation, de ces choses froides qu'à la vérité l'on donne pour telles, et que l'on ne trouve bonnes

que parce qu'elles sont extrêmement mauvaises; Cette manière basse de plaisanter a passé du peuple, à qui elle appartient, jusques dans une grande partie de la jeunesse de la cour qu'elle a déjà infectée. Il est vrai qu'il y entre trop de fadeur et de grossièreté pour devoir craindre qu'elle s'étende plus loin, et qu'elle fasse de plus grands progrès dans un pays qui est le centre du bon goût et de la politesse: l'on doit cependant en inspirer le dégoût à ceux qui la pratiquent; car bien que ce ne soit jamais sérieusement, elle ne laisse pas de tenir la place, dans leur esprit et dans le commerce ordinaire, de quelque chose de meilleur.

Entre dire de mauvaises choses ou en dire de bonnes que tout le monde sait, et les donner pour nouvelles, je n'ai pas à choisir.

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Lucain a dit une jolie chose : il y a un beau mot de Claudien il y a cet endroit de Senèque : et là-dessus une longue suite de latín que l'on cite souvent devant des gens qui ne l'entendent pas, qui feignent de l'entendre. Le secret, seroit d'avoir un grand sens et bien de l'esprit: car ou l'on se pas: seroit des anciens, ou après les avoir lus avec soin, l'on sauroit encore choisir les meilleurs, et les citer à propos.

Hermagoras ne sait pas qui est roi de Hongrie: il s'étonne de n'entendre faire aucune mention du roi de Bohême ne lui parlez pas des guerres de Flandre et de Hollande, dispensez-le du moins de vous répondre, il confond les temps, il ignore quand

elles ont commencé, quand elles ont fini: combats, siéges, tout lui est nouveau. Mais il est instruit de la guerre des géants, il en raconte le progrès et les moindres détails, rien ne lui échappe. Il débrouille de même l'horrible chaos des deux empires, le Babylonien et l'Assyrien: il connoît à fond les Égyptiens et leurs dynasties. Il n'a jamais vu Versailles: il ne le verra point : il a presque vu la tour de Babel: il en compte les degrés, il sait combien d'architectes ont présidé à cet ouvrage, il sait le nom des architectes. Dirai-je qu'il croit Henri IV fils d'Henri III? Il néglige du moins de rien connoître aux maisons de France, d'Autriche, de Bavière: quelles minuties! dit-il, pendant qu'il récite de mémoire toute une liste des rois des Mèdes ou de Babylone, et les noms d'Apronal, d'Hérigebal, de Ncesnemordach, de Mardokempad,lui sont aussi familiers qu'à nous ceux de Valois et de Bourbon. Il demande si l'Empereur a jamais été marié mais personne ne lui apprendra que Ninus a eu deux femmes. On lui

dit

que

que le Roi jouit d'une santé parfaite; et il se souvient que Thetmosis, un roi d'Égypte, étoit valétudinaire, et qu'il tenoit cette complexion de son aïeul Alipharmutosis. Que ne sait - il point? Quelle chose lui est cachée de la vénérable antiquité? Il vous dira que Sémiramis, ou selon quelques uns, Sérimaris, parloit comme son fils Ninyas, qu'on ne les distinguoit pas à la parole; si c'étoit parce que la mère avoit une voix mâle commé son fils, ou le fils une voix efféminée comme sa mère, il

n'ose pas le décider. Il vous révélera que Nembrot étoit gaucher, et Sésostris ambidextre; que c'est une erreur de s'imaginer qu'un Artaxerxe ait été appelé Longuemain, parce que les bras lui tom boient jusqu'aux genoux, et non à cause qu'il avoit une main plus longue que l'autre : et il ajoute qu'il y a des auteurs graves qui affirment que c'étoit la droite, qu'il croit néanmoins être bien fondé á soutenir que c'étoit la gauche.

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I

Ascagne est statuaire, Hégion fondeur, Eschine foulon, et Cydias 1 bel - esprit, c'est sa profession. Il a une enseigne, un attelier, des ouvrages de commande, et des compagnons qui travaillent sous lui: il ne vous sauroit rendre de plus d'un mois les stances qu'il vous a promises, s'il ne manque de parole à Dosithée qui l'a engagé à faire une élégie: une idylle est sur le métier, c'est pour Crantor qui le presse et qui lui laisse espérer un riche salaire. Prose, vers, que voulez-vous? il réussit également en l'un et en l'autre. Demandez-lui des lettres de consolation ou sur une absence, il les entreprendra; prenez-les toutes faites et entrez dans son magasin, il y a à choisir. Il a un ami qui n'a point d'autre fonction sur la terre que de le promettre long-temps à un certain monde, et de le présenter enfin dans les maisons comme homme rare et d'une exquise conversation; et là, ainsi que le musicien chante que le joueur de luth touche son luth devant les personnes à qui il a été promis, Cydias après avoir toussé, relevé sa manchette, étendu la maia

et

et ouvert les doigts, débite gravement ses pensées quintessenciées et ses raisonnements sophistiques. Différent de ceux qui, convenant de principes, et connoissant la raison ou la vérité qui est une, s'arrachent la parole l'un à l'autre pour s'accorder sur leurs sentiments, il n'ouvre la bouche que pour contredire : « Il me semble, dit-il gracieusement, » que c'est tout le contraire de ce que vous dites; » ou, «< je ne saurois être de votre opinion; » ou bien, « c'a été autrefois mon entêtement comme il est le » vôtre; mais.... il y a trois choses, ajoute-t-il, à » considérer.... » et il en ajoute une quatrième fade discoureur qui n'a pas mis plutôt le pied dans une assemblée, qu'il cherche quelques femmes auprès de qui il puisse s'insinuer, se parer de son bel esprit ou de sa philosophie, et mettre en œuvre ses rares conceptions; car, soit qu'il parle ou qu'il écrive, il ne doit pas être soupçonné d'avoir en vue ni le vrai ni le faux, ni le raisonnable ni le ridi cule, il évite uniquement de donner dans le sens des autres, et d'être de l'avis de quelqu'un : aussi attend-il dans un cercle que chacun se soit expliqué sur le sujet qui s'est offert, ou souvent qu'il a amené lui-même, pour dire dogmatiquement des choses toutes nouvelles, mais à son gré décisives et sans réplique. Cydias s'égale à Lucien et à Seneque, se met au-dessus de Platon, de Virgile et de Théocrite; et son flatteur a soin de le confirmer tous les matins dans cette opinion. Uni de goût et d'intérêt avec les contempteurs d'Homere, il attend La Bruyere. I

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