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d'ailleurs il a femme et enfant pouvant être réduits à la misère par un accident de guerre. Il s'agit sans doute ici de la petite Jeanne dont les registres paroissiaux d'Upham mentionnent l'enterrement le 7 février 1682. Peu après cette première naissance se produisit celle de Judith Young, baptisée le 14 juillet 1681, celle du futur poète en 1683 et celle d'une troisième fillette, Anna Young, dont le baptême est du 13 décembre 1684. On s'explique que le pasteur, dans une lettre datée de Londres le 16 février 1686 et dans laquelle il accepte l'invitation de l'archevêque de Canterbury à prêcher le carême, puisse parler des « impedimenta » ou charges de famille qui l'empêchent de voyager 1. La mort pourtant n'épargna pas les enfants et si le jeune Edouard ne connut jamais sa sœur Jeanne, il eut le temps de jouer avec la petite Judith et de ressentir dès ses premières années la tristesse d'une séparation suprême puisque Judith fut enlevée aux siens vers l'âge de neuf ans et ensevelie à Upham le 6 juin 1690.

Le père, tout naturellement, s'efforçait de faire face à ses dépenses croissantes en obtenant la promotion ecclésiastique dont son talent le rendait digne. Sur les instances du poète Edm. Waller il fit traduire son « Concio ad clerum » sous le titre de l'Idée de l'Amour chrétien et le publia avec quelques poèmes religieux d'une de ses admiratrices, Mrs Anne Wharton, la première femme du futur marquis. Ce sont là les traces les plus anciennes d'une amitié dont le fils saura profiter plus tard. De plus hautes protections ne faisaient pas non plus défaut, si l'on en croit Giles Jacob écrivant en 1720 et d'après lequel la princesse Anne consentit à être la marraine du jeune Edouard 2. Peut-être est-ce pour répondre à ce gracieux patronage que le pasteur soutint, autant que le permettaient ses convictions, la

1. Bibl. Bodléienne, Tanner Mss. 37 f. 249. Le fait que l'âge d'Anne Young concorde avec celui qui lui est assigné sur la plaque commémorative placée en 1714 dans la cathédrale de Winchester prouve qu'il s'agit bien sur les registres d'Upham des enfants du recteur.

2. C'était peut-être un résultat dû également à Mrs Anne Wharton (morte seulement le 24 octobre 1685), puisque la même princesse fit, en 1698, avec Guillaume III et le duc de Shrewsbury, le même honneur à Philippe, fils du marquis de Wharton. The Complete Peerage, by G. E. C., vol. VIII, p. 127. — G. Jacob dit seulement << the late Queen,» mais ces mots s'appliquent tout naturellement à la reine Anne, dont le poète vante les bienfaits dans la dédicace de The Last Day.

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politique conciliante du Gouvernement à l'égard des dissidents. C'est ainsi qu'il prêcha le 26 mai 1688 un sermon devant le lordmaire à Bow-Church pour exhorter à l'unité en matière de foi et qu'à la demande de ses auditeurs il dut le faire imprimer la même année. Mais on n'a pas de peine à comprendre qu'il partageait les opinions du haut clergé anglican et qu'il approuvait la conduite de son ami l'évêque Ken emprisonné à la Tour de Londres au mois d'avril, sur l'ordre du roi, avec six autres prélats pour avoir refusé de signer la nouvelle déclaration d'indulgence religieuse. Il alla plus loin que Thomas Ken resté jacobite impénitent, il accepta le régime inauguré par la révolution de 1688, d'accord en cela avec les filles même de Jacques II, avec la famille Wharton et la majorité de la noblesse et du pays. Il obtint alors, le 14 janvier 1688-89, à la place de sa pauvre prébende de Gillingham Minor celle de Combe et Hernham et un peu plus tard il fut nommé chapelain de Guillaume III et de la reine Marie. C'est à cette époque qu'il dut entretenir des rapports assidus avec le nouvel archevêque de Canterbury, J. Tillotson, qui en 1689 remplaça Sancroft, partisan attardé des Stuarts. Il le connut assez intimement pour songer à écrire sa vie quelques années après, ainsi que nous l'apprend une biographie de Tillotson publiée en 1717 « sur les notes du Rev. Mr Young, Doyen de Salisbury, » et la préface de l'ouvrage déclare qu'il en était à peu près à la moitié du travail quand il fut appelé pour affaires pressantes à l'étranger, peut-être en Flandre où l'on sait qu'il fut aumônier militaire du comte d'Ossory. Désormais son avenir était assuré par ses hautes relations et par l'importance du rang qu'il occupait dans l'église.

Il fallait maintenant songer à l'éducation du fils. Regrettant sans doute d'être entré lui-même un peu tard à Winchester College le pasteur obtint qu'il fût inscrit de bonne heure, soit à peine âgé de onze ans, en août 1694, sur la liste des boursiers

1. D'après Anth. à Wood. il précha le dimanche de Pâques, 30 mars 1693, à Whitehall devant la reine Marie et de nouveau à Whitehall les 15 et 22 avril 1695. Son dernier sermon publié sous ce titre : « Le grand avertissement qu'une vie religieuse est le meilleur moyen d'atteindre le bonheur présent, » semble avoir en partie inspiré les Nuits [cf. le vers « Virtue alone is happiness below »]. Peut être le futur poète entendit-il prononcer ce discours.

élus. Le nom d'Edouard Young y figure à la onzième place sur seize admis', mais il ne commença ses études qu'au début de 1695. L'enfant ne paraît pas avoir été un élève brillant jusqu'à sa sortie définitive en 1702, si l'on en juge d'après les indications que fournit le « long roll ou l'ordre de classement annuel établi pour les boursiers du Collège. Peut-être la nostalgie de la maison paternelle, pourtant si voisine Upham n'est pas éloigné de trois lieues s'empara-t-elle de lui, malgré les visites. assez fréquentes du recteur 2, et les deux vacances octroyées par an ne suffirent-elles pas à relever son courage. Quoi qu'il en soit, l'internat à la fin du dix-septième siècle ne devait pas avoir de grands charmes pour le poète car les souvenirs de classe ne reviennent jamais sous sa plume, du moins dans ce que nous connaissons de sa correspondance.

C'était d'ailleurs une éducation austère que celle qui prévalait à Winchester. Le Collège de Sainte-Marie, vocable sous lequel se trouvaient placés à la fois cette école secondaire et l'établissement connexe d'Oxford. était à l'origine une fondation strictement ecclésiastique. L'ancien chancelier de l'Echiquier, William de Wykeham, par une charte en date du 20 octobre 1382, en avait confié la direction à un directeur ou « Warden assisté d'un conseil de dix prêtres séculiers (presbyteri saeculares) nommés à vie (perpetui) et se recrutant par cooptation et de trois chapelains avec des clercs et des enfants de choeur. Les boursiers au nombre de soixante-dix se préparaient tous à entrer dans les ordres et recevaient l'instruction d'un régent ou « schoolmaster aidé d'un sous-régent. Ils devaient être élus annuellement, au fur et à mesure des vacances, par un comité composé des directeurs des deux maisons de Winchester et d'Oxford, du sous-directeur ou « sub-warden» de Winchester et du régent, appelé plus tard le proviseur ou « head-master» (hostiarius),

1. Ces détails empruntés aux Winchester Long Rolls et que j'ai pu y vérifier, m'ont été gracieusement transmis par Mr Leslie Stephen. Voir aussi Winchester Long Rolls, 1653-1721, transcribed and edited with an historical Introduction on the development of long roll by Clifford Wyndham Holgate. Winchester, P. and G. Wells, 1899, in-8°. 2. Il y a au Brit. Mus. des lettres manuscrites du père, adressées de Winchester à John Ellis, secrétaire à Whitehall, à la date du 6 septembre 1698, du 31 mai 1699, du 16 mars 1701-2 et il prêche aux assises de Winchester le 11 juillet 1695.

et de deux agrégés ou « fellows

de New-College désignés sous le nom de « posers 1. » Ce corps électoral choisissait de préférence des parents du fondateur (consanguinei) dont le nombre fut en 1580 limité à dix-huit dans les deux établissements par une décision de l'évêque Cooper « for ye sett number of 18 Founders in both ye Colledges » jusqu'à la suppression d'un privilège suranné, et ensuite d'élèves « pauvres et besogneux, de bonne conduite, dociles et intelligents. » Ajoutons que dès le règne d'Henri IV d'Angleterre, les souverains imposèrent leurs protégés aux électeurs au moyen de missives royales ou a Kings' letters » dont le Warden Traffles obtint l'abolition en 1702 pour ce qui touchait à l'Université, mais qui se continuèrent jusqu'en 1726 au Collège de Winchester. Les évêques de ce dernier diocèse, en qualité d'inspecteurs officiels ou « visitors » de l'une et l'autre maison, s'attribuaient la même prérogative, en sorte que le comité n'avait nullement le monopole des admissions. Une limite d'âge, rigoureusement maintenue, obligeait chaque boursier à partir aux vacances d'été qui suivaient son dix-huitième anniversaire. On lui accordait une année de plus s'il était porté sur la liste de ceux qui devaient entrer à New College où il devenait de droit agrégé à la fin de ses études universitaires, après un stage de deux ans comme « probationary fellow » (à moins d'être parent du fondateur), mais l'année de grâce expirée, s'il ne s'était produit aucun vide dans les rangs à Oxford, il était « superannuated » et devait quitter Winchester. La succession et le recrutement des boursiers étant ainsi réglés, William de Wykeham avait établi le régime intérieur de sa grande école préparatoire. Chacun d'eux recevait, et reçoit encore, à Noël une pièce de drap suffisante pour confectionner une robe longue descendant jusqu'aux talons (toga talaris) et un capuchon, la façon du costume restant à la charge de la famille. C'était là apparemment une concession aux intérêts de la ville de Winchester, le premier marché anglais pour les lainages au XIVe siècle. Le drap ne devait pas revenir à plus de trois

1. C'est une abréviation d'opposers, terme également connu à l'Université de Cambridge.

shillings quatre pence le yard, prix considérablement, dépassé depuis, et ne devait être ni noir, ni blanc, ni rouge tirant sur le gris, ni bleu marin (glaucus), sans doute parce que ces couleurs étaient réservées à certains ordres religieux du MoyenAge. Il était défendu de porter ce costume neuf, sans l'autorisation du gouverneur, sauf les dimanches ou les jours fériés ou dans des occasions exceptionnelles. Le vêtement usé était remis à l'un des enfants de chœur, jusqu'au moment où le legs d'une personne charitable permît de leur faire également une distribution annuelle de drap. C'était bien un monastère prématuré que Wykeham avait voulu établir à tel point qu'il ne se contenta pas de passer sous silence, dans ses statuts si minutieusement détaillés, la question des récréations et des exercices physiques, mais qu'il défendit expressément la plupart des distractions, telles que le tir à l'arc ou à l'arbalète, en vogue de son temps. Et ce caractère sombre et sévère que le fondateur avait entendu donner à son école n'avait pas encore disparu lorsqu'Edouard Young, le futur poète, y entra.

A vrai dire, l'aspect extérieur de la ville et du Collège n'avait rien de déplaisant. Winchester, la cité blanche (Ca er Gwent) des Celtes Belges, devenue un centre romain de quelque importance comme l'indique son nom formé de Venta Belgarum et du suffixe anglo-saxon ceaster (castra), s'étend au pied de collines crétacées sur un terrain qui descend en pente douce vers la petite rivière de l'Itchen. De forme presque carrée ainsi que beaucoup d'anciennes villes occupées par les soldats de Rome, elle se compose essentiellement d'une grande rue coupée par d'autres plus étroites. A la fin du dix-septième siècle elle avait perdu l'importance politique que lui conférait autrefois un commerce actif de laines avec les ports de France, de Belgique et de Hollande. Son château, symbole, pour ainsi dire, de sa puissance passée, avait été démantelé par l'armée de Cromwell au cours d'un siège dont Young avait dû souvent entendre parler dans sa famille et la peste apportée de Londres en 1666 avait décimé la population. Par un contraste mélancolique, aux ruines anciennes du château bâti par Guillaume le Conquérant correspondait en quelque sorte l'état délabré du palais que Charles II fit com

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