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au 1er novembre suivant et les souvenirs d'Atterbury 1 qu'il confia plus tard à son vicaire, Mr Jones, lui disant « que c'était un orateur admirable tant dans la chaire qu'à la Chambre des Lords et l'un des meilleurs qu'il eût entendus,» indiqueraient qu'il assista au procès de l'évêque devant les pairs assemblés. Mais il est certain qu'il refusa de suivre Ph. Wharton quand il devint l'ennemi de la maison de Hanovre et qu'à partir de ce moment il se tourna plutôt vers la cour 2. Ce fut le commencement d'une divergence qui ne fit que s'accroître et qui, au moins autant que la question d'intérêts, explique pourquoi le poète se détacha complètement du duc. Celui-ci l'avait probablement trompé sur ses intentions plus facilement encore qu'il ne trompa le premier ministre, mais la rupture fut irréparable quand elle se produisit, et dès la condamnation d'Atterbury il n'y a plus de traces certaines de relations quelconques entre eux. On a cru retrouver la verve et le style d'Ed. Young dans The True Briton, journal lancé par Wharton du 3 juin 1723 au 17 février 1724, pour combattre le gouvernement et que Sam. Richardson convint d'imprimer. Mais cette collaboration peu vraisemblable resta, en tout cas, anonyme et la feuille cessa bientôt de paraître. D'autres mobiles moins élevés exercèrent également leur influence et l'habile Bubb Dodington lui conseilla sûrement la prudence. Mais le trouble dut être grand dans la vie intime de l'écrivain et c'est à cette époque qu'il nous reste le moins de détails sur lui. Le silence se fait sur une triste déception.

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On peut se demander comment il occupait ses loisirs puisque, du 25 novembre 1723 au 1er septembre 1727, il fait renouveler presque tous les ans son congé à All Souls'. Nous inclinons à penser qu'il revint à la littérature et que pour éviter tout d'abord de trop s'exposer aux commentaires du public, il collabora, comme autrefois, à des revues. On l'a accusé de s'être mis comme pamphlétaire au service du gouvernement, chose qui eût été délicate et hasardeuse à ce moment, et l'on n'en a pas la moindre

1. J. Nichols's Anecdotes, vol. III, p. 760.

2. Le désir de faire fortune précipita du reste vers 1723 cette évolution, ainsi qu'il le reconnaît dans N. Th. IV, v. 66-8, publié en 1743.

3. Ce serait alors l'origine de l'amitié durable entre Young et Richardson.

preuve. Mais au début de 1724, précisément vers l'époque où le duc de Wharton, sous prétexte d'économies, se retirait sur le continent, un ami d'Young, Aaron Hill, commençait son FrancParleur (the Plain Dealer). C'est là que nous croyons retrouver la trace des méditations, assez sombres désormais, de notre auteur. En effet, il y paraît nombre d'articles sur des sujets qui lui tenaient à cœur. Par exemple le n° 32, du vendredi 10 juillet 1724, traite du temps en termes qui rappellent presque textuellement les Nuits : « Le temps est le plus grand des trompeurs, mais il nous trompe sans nous flatter. Il a une langue dans chaque clocher d'église... mais d'heure en heure nous négligeons ses appels et un peu plus loin l'essayiste parle de la vie présente comme d'une prison de l'âme dont la mort la délivre pour la mettre en rapport avec les grands hommes du passé 1. Le n° 87, du 18 janvier 1724-25, contient une lettre sur l'emploi des passions et sur la manière dont elles doivent être soumises à la raison, où la morale de Job est comparée à celle de Caton d'Utique et où la conclusion, c'est que la prudence elle-même conseille d'ajouter foi à la religion révélée et de se conformer à ses préceptes. Le n° 116 décrit le ciel étoilé avec les comètes et renferme de beaux vers sur le système de Newton. Il s'y ajoute une appréciation pessimiste de l'existence humaine, « espèce d'intervalle sombre et vague dont la mort vient seulement nous réveiller et nous affranchir 2. » Il nous semble bien que ces diverses pages sont de la plume d'Ed. Young et portent l'empreinte de ses préoccupations habituelles. Et nous voyons en quelque sorte une confirmation de notre conjecture dans ce fait qu'il étudierait la philosophie des passions au moment où il travaille à ses Satires, que la première Satire est citée au no 92 (du 5 février 1724-25) comme « l'œuvre de quelque génie considérable » et que la seconde, a mise en vente la semaine dernière, » dit le numéro du 9 avril 1725, est louée comme étant pleine « de la plus vive énergie et d'un mélange absolument naturel de couleurs puissantes. >> Aaron Hill semble ici rendre à son tour service à son collaborateur.

1. Cf. N. Th. I, v. 55, etc., et surtout The Revenge, acte IV, au début de la dernière scène.

2. Notons aussi le n° 67 qui finit par une citation d'Ezéchiel et qui renferme l'éloge du duc de Chandos avec lequel Young aura des relations un peu plus tard.

Herbert Croft, par contre, attribue à cette période la rédaction de la troisième pièce d'Young, les Frères, et quelques biographes prétendent qu'il la soumit aux acteurs dès 1723. C'est l'assertion de la Biographia Britannica. Que faut-il en penser? Elle est en contradiction formelle avec les renseignements que fournissent les écrivains les plus au courant de la scène anglaise. Davies, dans sa Vie de Garrick, et Genest déclarent tous deux que cette tragédie fut composée vers 1726 et répétée bientôt après à Drury Lane. D'après Davies elle aurait été mise sur l'affiche à l'occasion d'une représentation au bénéfice de l'acteur Henderson, mais retirée par l'auteur avant le jour fixé. Il y a plus. Deux lettres d'Young à Lady Mary Wortley Montagu, qu'il avait pu connaître par l'intermédiaire de Pope et à qui il recommanda vers cette époque un précepteur 2 pour son fils, traitent précisément des Frères et de leurs chances de succès. Or l'une de ces lettres est certainement de février 1723-24, puisque le poète y cite, comme étant en répétition, le drame d'Edwin (par George Jeffreys) qui parut au courant de ce mois à Lincoln's Inn Fields. On ne saurait admettre qu'une pièce, comme celle d'Young, dont les péripéties principales sont encore en discussion, ait pu être déjà livrée aux personnes chargées de l'interpréter. La date de 1723, assignée à la première mise en scène des Frères, doit donc être erronée, et de même celle de 1726 indiquée par Davies, pour sa composition, semble relativement tardive. Mais en tout cas, les pronostics de Chr. Pitt se réalisent et notre auteur travaille de nouveau pour le théâtre. Il y voyait sans doute, comme tant d'autres, la meilleure source de profit à cette époque, car il parle à sa correspondante de la Marianne de Fenton et des Captifs de Gay, comme ayant rapporté 1,500 et 1,000 livres respectivement, tandis qu'Edwin, avant d'être joué, en a déjà produit plus de mille. Pareille rémunération n'était pas pour lui déplaire à un moment où la pension du duc ne lui était plus payée, d'autant plus que le

1. Voir Memoirs of the Life of Dav. Garrick, by Th. Davies. Printed for the Author. London, 1784, vol. I, p. 177 et Some Account of the English stage... by Genest, Bath, H. E. Carrington, 1832, vol. IV, p. 360, etc.

2. Voir J. Nichols' Literary Anecdotes, op. cit., vol. IV, p. 626. C'était un M. Forster qui devint plus tard chapelain de la duchesse de Kingston.

patronage d'une grande dame, peut-être même le bruit discrètement répandu de sa collaboration à l'œuvre tragique, pouvaient lui valoir à son tour une vogue triomphale et surtout profitable auprès d'un public mondain.

L'année 1724 le trouve ainsi en pleine fièvre d'activité littéraire. Il écrit dans une des revues nouvelles, prépare les éléments d'une tragédie pour la scène de Drury Lane, et cultive assidûment ses relations avec les cercles aristocratiques et lettrés de la capitale. Etabli à Londres, ou peut-être à Hampstead, chez G. Bubb Dodington, dont il parle dans une lettre à Lady M. Wortley Montagu, il profita de sa situation pour observer les hommes et l'idée lui vint bientôt de les dépeindre. Le désenchantement qu'il avait éprouvé dans ses rapports avec Philip Wharton, joint à ses pertes pécuniaires effectives et virtuelles, développa en lui une veine d'ironie qui produisit tout naturellement de la satire. Ce furent donc les circonstances elles-mêmes qui le poussèrent vers ce genre de composition, au moins autant que le souvenir de son ami Harrison de Winchester, dont il avait lu les poèmes juvéniles. La satire convenait du reste à cette époque factice où les vices et les travers abondaient dans la société mondaine. Elle formait même en quelque sorte le couronnement inévitable et attendu de la littérature pseudo-classique, vouée à l'étude du cœur humain plutôt qu'à la contemplation de la nature, et recherchant de préférence le trait d'esprit et le distique vengeur.

CHAPITRE IV

Les mœurs anglaises au début du XVIIIe siècle, d'après les écrivains et les observateurs contemporains. Libre-pensée et anglicanisme orthodoxe. L'évolution sociale et littéraire. réaction. Les Satires d'Young.

Symptômes de

Nous nous arrêtons à l'année 1725 comme à une date décisive dans l'évolution des lettres et de la pensée anglaises, nous fixant ainsi un point de repère commode sans qu'il faille y voir une ligne de démarcation fatidique et immuable. Cette date a l'avantage de coïncider avec un changement important dans l'existence de notre auteur y compris son entourage, ses amitiés et ses aspirations. Jusque-là, en effet, il a vécu, et surtout il a voulu vivre, pour le monde et en vue du succès mondain. Soutenu par une ambition légitime, sinon toujours bien avisée, il a travaillé sans relâche, à l'Université comme au dehors, à se créer une position brillante. En 1722, le succès semble assuré, un Mécène puissant lui promet de grands revenus, lui-même aspire à jouer au Parlement un rôle politique et quitte Oxford pour Londres. Mais les mirages de la spéculation l'ont trompé, les électeurs ne savent pas apprécier son mérite, les influences sur lesquelles il comptait lui font défaut, et assagi par l'expérience sans avoir complètement appris la leçon qu'elle lui présente, il sonde le cœur humain et ses folies.

Et certes jamais époque ne fournit au moraliste de matière plus abondante. D'autres pays et d'autres temps ont eu de l'attrait pour l'observateur curieux. Lucien a pu étudier les Grecs de la décadence, Juvénal les Romains dégénérés de l'empire, Machiavel les princes et les républiques de l'Italie médiévale, La Bruyère les courtisans et les bourgeois du règne de Louis XIV. Mais on a rarement vu un assemblage plus varié d'originaux de tout genre qu'à Londres pendant le premier quart du XVIII° siècle.

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