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au doyen des agrégés, le D' Clarke, qui travaillent à l'agrandissement du Collège; il célèbre les lettres et les sciences comme bases de la prospérité nationale : « pax, salus, honor, imperium, ecclesia, scientiis et artibus innituntur, » et termine par un éloge chaleureux du soldat qui a su concilier l'érudition et le métier des armes et qui a accumulé année par année pareil trésor pour ses anciens collègues.

Au moment de l'impression, Young ajouta un avant-propos à son discours sous la forme d'une dédicace anglaise aux dames de la famille du colonel, qui avaient assisté à la cérémonie inaugurale. Cette dédicace, d'après le journal de Hearne déjà cité, est « very vile and miserable, disons plutôt, pour rester équitables, pleine d'afféterie et d'adulation. Elle était dans le goût du jour, si elle n'est plus du nôtre, et ne contient de remarquable qu'une protestation contre l'abus des traductions d'œuvres classiques. (the immoderate use and usurpation of translation amongst us) à l'époque même où Pope, de l'avis de certains critiques contemporains, semblait devoir faire oublier le texte original de l'Iliade. Mais pour ce qui est de l'érudit mécontent, on s'explique facilement sa colère sans qu'il faille y voir la douleur du latiniste ou les passions politiques du réactionnaire. Car il est question dans le corps du discours d'un nouveau Hearne qui s'applique à déchiffrer des inscriptions et une note malicieuse commet un anachronisme formidable pour donner plus de sel à la satire : « Hearnius fuit doctus antiquarius, et industriæ summæ; vixit A. D. 1443. Hic talpa eruditus egregia e tenebris eruit. » Cette allusion aux erreurs commises par lui au cours de ses recherches blessait au vif le vieux savant et ne contribua certainement pas à améliorer ses rapports avec le Warden et les agrégés d'All Souls' College.

Sans parler de l'honneur fait au poète, le discours latin d'Young est intéressant à titre d'indice. C'est ainsi qu'une citation du livre de Job dans les premières pages semble montrer qu'il se préoccupe toujours de l'Ancien Testament et de sa paraphrase poétique. Nous avons déjà relevé sa critique des traductions qui contient les germes d'un désaccord futur avec l'école néo-classique anglaise. Mais il lui appartient encore tout entier par une ten

dance grandissante à la satire qui se montre audacieuse ou voilée dans la description du pédant érudit, du Mécène ignorant ou des commentateurs trop zélés. Il y a là un trait qui se retrouvera plus tard dans toutes les œuvres de notre auteur. Enfin la mention directe de Sénèque, dont le style lui a visiblement servi de modèle, et le retour fréquent des antithèses et des énumérations comme procédés de rhétorique trahissent les lectures d'Young et laissent prévoir les qualités et les défauts dont ses vers et sa prose présenteront le reflet. Sa pensée et sa phrase portent l'empreinte du moraliste latin.

Il faut croire que la préparation de ce morceau d'éloquence et de son avant-propos aux dames de la famille Codrington occupèrent tous ses loisirs jusqu'en janvier 1716-17, car il n'a rien fait paraître d'autre depuis 1714. Il est probable aussi qu'il retouchait sa pièce de théâtre annoncée depuis plusieurs années déjà, et qu'il cherchait à se créer des relations profitables dans les cercles littéraires et politiques. Il fréquenta sûrement, à Londres, Button's Coffee-house où Addison venait retrouver ses intimes. y compris Thomas Tickell et ce colonel Henry Brett, second mari de la fameuse comtesse de Rivers, aux aventures romanesques que le poète raconta à son ami Jos. Spence1. Ses opinions libérales et le triomphe de la dynastie de Hanovre durent aussi l'attirer au Kit-Kat Club où se réunissaient vers 1714 les chefs du parti whig, le duc de Newcastle, les comtes de Dorset, de Sunderland, de Manchester, de Wharton et de Kingston, Sir Robert Walpole, les nobles Mécènes Lord Halifax et Lord Somers et même des littérateurs en vue tels que Congreve, Addison, Vanbrugh, Granville (Lord Lansdowne) et Garth. Si l'on en croit la tradition, il aurait été à cette époque protégé par Lord Somers et c'est à Young que Goldsmith ferait allusion quand il écrit : « J'ai entendu dire à un vieux poète de cette période glorieuse qu'un dîner chez Sa Seigneurie lui a valu des invitations pendant toute la semaine suivante et qu'une course dans le char de son Mécène lui a procuré une voiture de bour

1. La comtesse de Rivers était la grande dame dont le malheureux Rich. Savage se prétendit le fils adultérin.

geois dans toutes les occasions futures 1. » Et si l'on se demande qui avait pu l'introduire en si haute société, il suffit de se rappeler qu'il avait pour le présenter, non seulement les célèbres essayistes du Spectateur, mais encore George Bubb, mieux connu sous le nom de George Dodington, qui avait été son camarade à Winchester et à Oxford 2 et que le gouvernement chargea, en 1715, d'une mission politique en Espagne. Il fut également reçu, si l'on en croit les Anecdotes de Spence, au club élégant « The World qui tenait ses séances à l'enseigne de la Tête du Roi dans le Pall Mall. Là il rencontrait Lord Stanhope, l'arbitre des bienséances mondaines, qui devint comte de Chesterfield en 1726, Lord Herbert et bon nombre de jeunes aristocrates. L'usage voulait que chacun écrivît une épigramme sur son verre à la fin du banquet et lui-même rapporte qu'il s'y refusa d'abord, faute de posséder un diamant, mais que son voisin lui ayant passé une bague, il improvisa le distique suivant :.

Accept a miracle, instead of wit;

See two dull lines, with Stanhope's pencil writ. »

[Acceptez un miracle au lieu d'un trait d'esprit ; voyez deux vers ennuyeux écrits avec le stylet de Stanhope 3.]

Son à-propos, ses manières aimables et sa réputation d'écrivain lui ouvraient ainsi les meilleurs cercles de la capitale.

Une occasion plus brillante encore de pousser sa fortune naissante ne tarda pas à se présenter. Au début de 1717, Philippe

1. Voir Goldsmith's Works, edit. P. Cunningham, Londres, Murray, vol. II, p. 42, note. La citation est de l'opuscule intitulé The Present State of Polite Learning et Goldsmith a pu parler à Young chez Richardson, où il fut quelque temps apprenti. Quant à Lord Somers, il mourut le 26 avril 1716. Il avait protégé les débuts d'Addison qui, avec Steele, lui dédia en 1712 la réimpression du premier volume d'Essais du Spectateur. Sur le Kit-Kat, Club, voir J. Timbs, op. cit., vol. I, p. 55.

2. Le séjour de Bubb Dodington à Oxford est prouvé par une lettre inédite que lui écrit Tickell en Espagne le 20 juin 1717 et où il lui parle de ses années passées à l'Université et de son ami Young. Brit. Museum Egerton Mss. 2174, f. 310.

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3. Spence's Anecdotes, op. cit., p. 377. Philip Dormer Stanhope, quatrième comte de Chesterfield (1694-1773), avait été nommé en 1715 gentilhomme de la Chambre auprès du prince de Galles, le futur George II; en 1716-17, il se tint à l'écart de la politique pour éviter de se compromettre dans la querelle entre le souverain régnant et son fils.

Wharton, fils du feu marquis et de sa seconde femme revint du continent. Le père et la mère, tous deux peints de main de maître par Swift, s'étaient signalés par leur absence de scrupules et leur dévergondage et le jeune homme suivit de bonne heure le triste exemple de ses parents. Doué d'une vive intelligence, il avait été élevé avec soin en vue de devenir grand orateur et il se peut qu'Ed. Young, qui nous a laissé une anecdote sur l'enfant et sa conduite avec Addison, ait été appelé à lui donner quelques leçons dans le manoir de Winchelsea. Mais cette éducation parfaite, où le développement moral était systématiquement négligé, aboutit à un résultat déplorable. Philip Wharton fut un prodige de grâce et de science, mais la victime d'un esprit fantasque et de passions déréglées. A l'âge de seize ans, il épousa, le 2 mars 1714-15, avec la complicité de quelque ecclésiastique indigent 1, une jeune femme charmante mais pauvre, Martha, fille du major général Holmes, à l'insu du marquis et de la marquise qui moururent, dit-on, de chagrin. Maître irresponsable d'une vaste fortune, il laissa sa compagne en Angleterre pour entreprendre le tour d'Europe, et piqué par on ne sait quelle ambition secrète, il renonça aux traditions libérales de sa famille et se présenta à la cour du prétendant en France. Il passa ensuite quelque temps dans les plaisirs à Paris et, l'hiver de 1716 terminé, il traversa la Manche.

L'idée lui vint alors de se rendre en Irlande. Comme comte de Rathfarnham et marquis de Catherlagh, il put siéger à la Chambre des Pairs de Dublin et son évolution récente lui valut une certaine popularité. Mais ce premier avatar n'était pas définitif. Il est probable que le remaniement qui donna le pouvoir à Lord Sunderland et fit entrer un vieil ami de sa famille, Jos. Addison, dans le ministère, inspira au jeune seigneur des dispositions et des espérances nouvelles. Trompant ses alliés jacobites il soutint les droits de la maison de Hanovre et George Ier, désireux d'effacer le passé, lui conféra le titre effectif de duc de Wharton en raison de son talent et bien qu'il ne fût pas encore

1. C'était un des « Fleet parsons, » dit M. G. E. Cokayne dans son Complete Peerage of Great Britain, etc., sub verbo.

majeur. C'est à ce moment, croit-on, et peut-être sur les instances d'Addison, que notre poète rejoignit le fils de son ancien protecteur. Ce dut être après le 5 juillet 1717, date à laquelle il obtient du Collège un congé « usque ad Festum Omnium Animarum » sans la restriction habituelle « proxime venturum » c'est-à-dire jusqu'en novembre 1718, et sans doute plus tard, car Young avait promis à son confrère Carey de passer une partie de l'été avec lui à Sheen 1. Mais la conjecture d'Herb. Croft au sujet de ce voyage est fort vraisemblable. On s'explique même par l'intervention de notre auteur le rapprochement effectué entre le duc et le doyen de Saint Patrick qui éprouva pour lui une certaine sympathie, comme jadis pour Wm Harrison, et qui lui donna en tout cas d'excellents conseils. « Monseigneur, lui dit-il un jour, après avoir écouté le récit de quelques frasques, vous vous êtes amusé. Laissez-moi vous recommander une espièglerie nouvelle. Prenez pour fredaine d'être vertueux. Croyez-en ma parole, vous y trouverez plus de plaisir qu'aux autres fredaines de votre vie tout entière. » C'est alors sans doute que se passa l'incident rapporté par l'écrivain dans ses Conjectures sur la Composition Originale, quand il vit Swift méditant tristement sa fin devant un orme découronné. Au reste la visite à Dublin fut relativement courte car il reste un billet de Philip Wharton, que Sir W. Scott suppose être de 17182, où il fait ses adieux en termes aimables au doyen et lui annonce qu'il s'embarque pour l'Angleterre le lendemain. Un membre de phrase « as Young is engaged in town » (comme Young est occupé en ville) est intéressant à titre de confirmation presque certaine de l'hypothèse que nous venons d'examiner.

On a fait souvent au poète un reproche de son intimité avec le duc. Elle n'a pourtant rien de blâmable ni de surprenant, à notre avis, si l'on tient compte des relations précédentes entre

1. Voir la lettre inédite de T. Tickell à G. Bubb du 20 juin 1717, déjà citée plus haut, où il dit : «... Mr Carey who is just returned to town... tells me that Mr Young has promised to pass part of the summer with him at Sheen, where Sir Wm Temple was our friend's predecessor... »

2. Voir The Works of J. Swift éditées par Walter Scott, Edinburgh, Arch. Constable, 1824, in-8', vol. XVI, p. 311.

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