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cesseurs et cherchent bien rarement à les vérifier au moyen de documents authentiques.

Et cependant les détails ainsi recueillis ne sont parfois ni précis, ni suffisants. On le voit surtout en ce qui se rapporte à la famille même du poète. A part quelques notes sommaires sur la carrière du père, les érudits du XVIII° siècle ne nous ont presque rien transmis. Le continuateur d'Anthony à Wood, dans Athenæ Oxonienses donne le seul renseignement connu jusqu'à présent sur le grand-père d'Ed. Young - il nous est impossible de remonter au delà de la troisième génération

à savoir qu'il se nommait John Young, qu'il résidait à Woodhay dans le Berkshire et qu'il s'intitulait « gentleman. » Si l'on en rapproche ce fait que le poète, comme en témoigne la plaque commémorative de l'église paroissiale de Welwyn, portait des armes nobiliaires personnelles 1, il est permis de supposer que ses ancêtres étaient tout au moins gentilshommes et que Lady Eliz. Lee, en l'épousant, ne s'est pas rendue coupable de mésalliance, comme on l'a prétendu. Je dois à l'extrême obligeance de Mr G. E. Cokayne du Collège Héraldique (College of Arms) de Londres, de pouvoir ajouter que ces armes sont celles de la famille Young de Bristol, telles qu'elles ont été officiellement établies en 1531. Il faut croire que notre auteur, ou tout au moins son fils, possédait une généalogie dont il ne reste plus de trace aujourd'hui et se rattachait par une série d'ascendants oubliés, à des aïeux jadis anoblis. Ce sont là les seules indications, vagues mais intéressantes, que nous avons pu découvrir sur sa parenté avec une branche du même nom, dont l'origine remonte au delà du XVIe siècle.

1. En voici la description: « Lozengy argent and vert, on a bend azure two Ibexes' heads erased of the first, attired or, for Young; impaling, Argent, a Fess between three Crescents sable, for Lee [Hist. of Hertfordshire, by J. E. Cussans, in-folio, vol. II, p. 219].

2. Voici ce qu'écrit le savant érudit dans une lettre du 13 juillet 1900, qui contient également une courte généalogie de la famille d'Ed. Young, inserite vers 1776 au Collège héraldique de Londres : « The arms on his monument are those of the family of Young of Bristol as recorded in the Heralds' Visitation in 1531. He possibly claimed descent therefrom. » Ces armes furent « quartered by Malet of Enmore, co. Somerset, in the visitation of that county, 1531, (Wm. Malet having married Alice daughter and heir of Thomas Young of Bristol, and having had issue Hugh Malet who married and had issue at the above date). »

Mais si nous revenons au seul ancêtre certain du poète, à John Young son grand-père, il convient de noter que la vocation ecclésiastique n'est qu'accidentelle dans la famille qui paraît avoir eu des terres domaniales dans le comté agricole du Berkshire. Peut-être même la proximité de la ville universitaire d'Oxford sur l'autre rive de la Tamise suggéra-t-elle au gentilhomme campagnard de Woodhay l'idée d'y envoyer plus tard son fils. Celui-ci, qui naquit probablement en 1643, ne vint pas au monde dans le village paternel, mais, si l'on en croit le registre d'inscription des boursiers de Winchester College, à Brampton dans le Yorkshire 1. Sa mère s'était sans doute retirée chez des parents pendant la période des troubles civils, et la crainte des troupes royales établies à Oxford et à Reading serait l'indice chez John Young des tendances libérales que l'on distingue également plus tard chez son fils, le futur doyen, s'il n'était naturel en temps de guerre d'éloigner les femmes du théâtre de la lutte. Nous n'avons pas d'autre détail sur ces premières années. La fin des hostilités, en 1645, dut amener le retour des exilés au manoir familial, mais il n'y a plus de traces du jeune Edouard avant son admission, à l'âge de treize ans, au Collège de Winchester.

On ne s'étonnera pas que John Young ait songé à faire entrer l'enfant dans un des grands Collèges anglais, situé à quelque neuf lieues seulement de Woodhay, surtout s'il a pu compter sur la faveur du gouvernement républicain. Cet établissement, déjà renommé, avait été fondé vers 1376 par William de Wykeham, alors évêque de Winchester et Chancelier de l'Echiquier, pour donner l'instruction gratuite à soixante-dix boursiers destinés au service de l'Eglise. Ils étaient soumis à l'autorité d'un directeur (ou Warden), qu'assistaient dix prêtres séculiers (ou Fellows) agrégés à la fondation, trois chapelains, trois clercs et seize enfants de chœur. D'après les statuts, et sauf pour les parents de William de Wykeham, les boursiers étaient choisis

1. La plaque commémorative de Salisbury Cathedral dit qu'il est mort le 9 août 1705, dans sa 63 année, et le registre de Winchester College lui attribue 13 ans en 1657. Malheureusement le registre paroissial de Brampton, très mal tenu vers 1643, ne porte pas son nom.

entre huit et douze ans et devaient être « pauperes et indigentes. » Mais, avec le cours des siècles, l'obligation de la pauvreté tomba en désuétude et la limite d'âge, plus strictement observée - les registres d'inscription en font foi pouvait être dépassée de quelques mois si l'on était l'objet d'une recommandation spéciale. Le voisinage de Winchester, chef-lieu de comté important à cette époque, et du village de Woodhay permet d'ailleurs de supposer des relations d'amitié, comme nous en constaterons plus tard, entre la famille Young et les membres du Collège chargés de l'élection des boursiers. Et six places vacantes se trouvant à pourvoir en 1657, Edouard Young fut élu troisième.

Les détails manquent sur la carrière scolaire du jeune homme. Il se prépara, suivant l'usage, à l'Université d'Oxford, où le fondateur avait créé un établissement correspondant, New College, destiné à recueillir les élèves sortant de Winchester et à compléter leur éducation en vue de la prêtrise. C'est ainsi qu'Ed. Young, en 1661, à l'extrême limite d'âge, fut boursier et « probationary fellow » (agrégé provisoire) de New College1 où il devint maître ès arts (A.M.) et le 1er avril 1668 bachelier en droit (B.C.L.) et où il toucha jusqu'en 1679 les émoluments de l'agrégation. Il se fit bientôt apprécier pour son talent oratoire, puisqu'il fut appelé le 17 février 1677 à prêcher au Guildhall, devant le lord maire de Londres et les échevins, un sermon qu'il publia l'année suivante et qu'il fut choisi quelque temps après comme chapelain par le comte d'Ossory, général en chef des troupes anglaises au service des Pays-Bas 2. C'est ce qu'indique l'énumération de ses titres en tête d'un in-quarto de 1679 et ce livre même, réimpression d'un sermon prononcé à Whitehall, le 29 décembre 1678, devant le roi Charles II, témoigne à la fois de sa réputation grandissante et de ses hautes protections.

1. D'après Anthony à Wood, ce fut à l'âge de 19 ans. Voir Athenæ Oxonienses, édit. Ph. Bliss, 1820, in-4°, vol. IV, p. 551. Br. Mus., 2036 r.

2. Le comte d'Ossory était fils du duc d'Ormond et mourut le 30 juillet 1680, au moment où il allait se rendre à Tanger dont il avait été nommé gouverneur. Dryden, en 1681, lui consacra quelques vers émus dans la première partie d'Absalon and Achitophel (v. 830-44), sous le nom du fils aîné de Barzillai. C'est en février 1678 qu'il reçut le commandement en chef des troupes anglaises en Hollande [Voir The Complete Peerage of England, etc., by G. E. C (okayne), yol. VI, p. 150].

Sa carrière ecclésiastique se poursuivait avec succès. En 1679 il échangea son agrégation d'Oxford (si même il n'y avait pas renoncé déjà en se mariant) contre celle de Winchester, son ancienne école, et reçut de New College le rectorat de Newnton Longville dans le comté de Buckingham. C'est bien, semble-t-il, à ce moment qu'il prit femme et l'année suivante, comme le prouve sa signature sur le registre paroissial, il obtint la cure d'Upham, petit village voisin de Winchester, où il vécut désormais jusqu'à ce qu'il fut appelé à Salisbury. La renommée et la faveur dont il jouissait croissaient toujours. Le 4 février 1682 il prêchait encore une fois devant la corporation de Londres un sermon qu'il fit paraître l'année suivante et au mois de septembre 1682, l'évêque Ward le fit pourvoir d'un canonicat à la cathédrale de Salisbury (ou Sarum) avec la prébende de Gillingham Minor. Il fut même désigné pour suppléer son protecteur quand celui-ci se vit empêché par l'âge d'exercer ses fonctions. Anth. à Wood ajoute qu'il dut, à la place de Ward, adresser un discours latin au clergé le 12 juillet 1686, lors de la visite du Dr Thomas Sprat, évêque de Rochester, discours publié ensuite sous le titre de « Concio ad clerum » et que l'inspecteur, frappé de son talent, exprima ses regrets au chapitre assemblé de ce que l'orateur n'eût qu'une des plus pauvres prébendes du diocèse 1. Au reste, le primat d'Angleterre l'avait déjà distingué en l'invitant à prononcer, en janvier 1685, à Lambeth, le sermon d'usage pour la consécration de l'évêque Ken, élève, comme Young, de New College et de Winchester, qui avait composé, en 1681, à l'intention des. boursiers de son ancienne école, un manuel de prières encore employé. L'honneur que lui faisait l'archevêque de Canterbury 2 était significatif et doublement flatteur.

C'est donc au sein d'une famille ecclésiastique prospère et heureuse du succès de son chef que le futur poète, Edouard Young, vint au monde. Il naquit vraisemblablement dans la

1. Cette anecdote est confirmée par une lettre en date du 24 juillet 1686, de Robert Woodward, à l'archevêque de Canterbury, où il recommande le pasteur d'Upham pour une promotion au nom de la commission tout entière. Bodleian Libr., Tanner Mss. xxx, f. 89.

2. C'était Sancroft, à qui le prédicateur dédia son sermon la même année.

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seconde quinzaine du mois de juin 1683, puisque son baptême est rapporté en ces termes dans le registre paroissial d'Upham : 1683 - Edvardus, Filius E[dvardi] & J[uditha] Young bapt [izatus] July 3° » et que, sauf empêchement majeur, le baptême devait suivre de près la naissance d'un enfant dont le père était ministre anglican 1. Ainsi se trouve tranchée par un document décisif, dont je dois une copie à l'obligeance du Rev.E.L.H. Tew, recteur d'Upham, une controverse qui a partagé les biographes jusqu'à présent. Tous ont adopté des dates erronées, les uns préférant 1681 avec Herbert Croft, les autres 1684 à la suite de la Biographia Britannica 2. Cette dernière n'a pas besoin d'être discutée; l'autre, comme on l'a fait remarquer 3, est démontrée fausse par Croft lui-même qui mentionne l'entrée d'Young à New College, Oxford, le 13 octobre 1703, dans sa dix-huitième année, et le fait est confirmé par le registre des boursiers de Winchester qui lui attribue dix ans en août 1694, le rajeunissant ainsi de quelques mois. Désormais il n'y a plus de doute possible sur la question.

Mais le registre d'Upham nous fournit encore d'autres renseignements. S'il est à peu près certain qu'Ed. Young fut fils unique, il ne l'est pas, comme on l'a prétendu, qu'il n'ait eu qu'une sœur. Déjà une lettre du père adressée sans date, mais vers 1677 ou 1678, d'Oxford, le dimanche des Actes (c'est-à-dire en juillet) à M' John Ellis, secrétaire du comte d'Ossory 4, annonce qu'il a dû refuser d'aller en Flandre parce que son Collège exige qu'il soit présent à l'apurement des comptes en octobre et que

1. Dans les familles aristocratiques à cette époque, l'intervalle ordinaire ne dépasse pas huit jours.

2. Quelques-uns, par exemple Bell dans son édition des poètes anglais (1777-84), le font naître vers 1679. Cette indication est peut-être due à l'inscription suivante sur le registre paroissial de Welwyn : « He died Apr. 5 [1765] in the 85th year of his age,» ou à l'affirmation du Dr Nath. Cotton que le poète, à sa mort, était « in his 86th year » [voir R. Anderson's Works of the British Poets, London, Arch and Bell, 1794. Life of Cotton, vol. XI, p. 1106], ou même au mot d'Young dans son Centaur not Fabulous (1754): « N. B. I am but fourscore » (je n'ai que 80 ans), à la fin de la lettre II. 3. The Penny Cyclopædia, London, 1843, art. Ed. Young.

4. Brit. Mus. Add. Mss. 28894, f. 420. La date de 1677 est possible (mais peu probable), parce que le comte assista, en juillet, avec le prince d'Orange, au siège de Charleroi.

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