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sèrent la soirée. Mais il avait noté son homme, et l'abordant dans une allée obscure, il lui donna rendez-vous pour le lendemain matin avec l'épée comme arme de combat. Lors de la rencontre, Young, à la surprise de son adversaire, tira un pistolet d'arçon et le menaça d'une balle dans la tête, s'il ne dansait aussitôt un menuet. L'officier dut s'y soumettre et présenta des excuses en avouant qu'il méritait la leçon. Comme Erasmus Philipps, le poète, éminemment sociable, assista sans doute à des combats de coqs, aux courses de chevaux sur les bords de l'Isis, où figurait le jeune duc de Wharton 1, et fréquenta les réceptions et les bals 2. Mais il semble qu'on remarque chez lui une prédilection, assez peu commune à cette époque, pour les exercices physiques. Il aime la promenade et le canotage, il pratique même l'équitation, jusque-là sport de quelques jeunes gens riches, et plus tard, à Welwyn, il sort habituellement à cheval et compose des vers tout en chevauchant. Contrairement à la plupart de ses confrères, et notamment à Pope, il est loin d'être sédentaire, et l'existence qu'il menait au grand air contribua certainement pour une bonne part à l'excellente santé dont il jouit si longtemps.

On peut aussi se demander ce qu'il doit à l'Université au point de vue des habitudes intellectuelles. Il semble que son influence se montre dans ce besoin d'arranger un raisonnement en séries de propositions logiques, qui se trahit dans la prose de l'écrivain, et trop souvent même dans ses vers, par des syllogismes, des dilemmes, des divisions numérotées ou marquées nettement. Peutêtre lui prit-il autre chose encore qu'une simple méthode d'exposition. Au XVIII° siècle, comme de nos jours parfois, Oxford paraît encourager ses étudiants à la recherche de l'esprit, de la réplique paradoxale, du mot à l'emporte-pièce. Ceci se retrouve dans toutes les productions de notre auteur et, bien qu'il ait apporté de Winchester des dispositions plutôt favorables à cette escrime savante, il les développe au cours de ses joûtes oratoires

1. Par exemple en 1721. Voir le journal d'Er. Philipps dans Notes and Queries, 24 Series, vol. X, p. 445.

2. Il ne semble pas s'être livré au jeu qui, d'après N. Amherst (Terræ Filius, no 47), était fort en honneur auprès des membres les plus âgés de l'Université.

et poétiques. Sa réputation à Oxford est prouvée par un distique 1 connu où il figure avec quelques amis parmi les beaux esprits de son « alma mater » qui taquinent le mieux la muse :

<< Alma novem genuit celebres Rhedycina poetas,

Bubb, Stubb, Cobb, Crabb, Trapp, Young, Carey, Tickell, Evans. »

Et les anecdotes qui lui attribuent des vers impromptus confirment son talent d'improvisation. Qualités naturelles, si l'on veut, mais renforcées et cultivées par la fréquentation de ce milieu spécial. D'après un censeur sévère 2 qui marque le contraste et fait la critique des universités d'Oxford et de Cambridge au siècle dernier, si celle-ci s'applique surtout aux connaissances théoriques et néglige les lettres, celle-là vise à la correction classique jointe au goût et à l'élégance, bien que déparée par une certaine affectation. Et ce même mélange se retrouve fréquemment dans les écrits d'Young.

1. Ce distique est cité en note par Elwin et Courthope dans leur édition des œuvres de Pope en 1871, vol. IV, p. 137.

2. Voir An Estimate of the Manners and Principles of the Times by J. Brown. Londres, L. Davis and C. Reymers, 1758, in-8°, vol. II, p. 68. Il ajoute même à propos d'Oxford « superficial taste and puerile elegance... without any sound foundation laid in severe reasoning and philosophy. »

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L'année 1716 vit la fin de l'insurrection jacobite et le commencement d'une réaction d'autant plus violente que les craintes avaient été plus grandes. George Ier maintint résolument les libéraux au pouvoir et le ministère, pour prévenir tout retour offensif du parti conservateur, fit passer une loi fixant à sept ans au lieu de trois la durée légale du Parlement. A Oxford on persécuta plus ou moins les « non-jurors » avérés qui, à leur tour, provoquèrent des rixes à l'occasion des fêtes officielles 1. On s'explique qu'à cette époque agitée le travail littéraire accompli à l'Université ait été peu considérable. Young cherchait sans doute à affermir sa situation et à ménager les influences qui pouvaient lui être utiles. Il était intimement lié avec Thomas Tickell de Queens' College 2, le protégé d'Addison, au point même qu'ils échangeaient entre eux tous les vers qu'ils composaient, jusqu'aux plus insignifiants, si l'on en croit les anecdotes de Spence. Mais, ami de Pope, il se contente d'exprimer sa surprise lors de la querelle en 1715, à propos de la traduction du premier livre de l'Iliade, soit qu'il ait vraiment cru, comme l'affirme J. Warton 3, que cette traduction fût l'œuvre d'Addison

1. C'est ainsi qu'il y eut une rixe avec les membres du Constitutional Club le 30 octobre 1716, jour anniversaire du prince héritier; rixe dont un ministre dissident, le Rev. E. Calamy, vit les traces lors de son passage à Oxford en revenant de Bath ȧ Londres. A History of my own Life by E. Calamy. Londres, H. Colburn, 1829, in-8o,

vol. II, p. 362.

2. Il avait pu le connaître par l'entremise de son collègue Dalton ou même directement, car Tickell travaillait souvent à la bibliothèque d'All Souls' College.

3. J. Warton, An Essay on the Genius of Pope, édit. de 1772, vol. II, p. 309. Pour le récit du Dr Spence, voir Spence's Anecdotes, édit. J. Underhill. Londres, W. Scott, pp. 8 et 9.

parue sous un prête-nom, soit plutôt qu'il ait voulu ne pas prendre parti. Sa visite à Londres où Pope le rencontre, est un indice qu'il se met en quête de relations favorables pour faire fortune et c'est sans doute vers cette date qu'il fréquente assidument le café de Nando, dont il parle dans une lettre inédite à George Keate, du 12 février 1764, et qui lui était familier depuis plusieurs années déjà 1. Il s'y trouvait tout à côté de la boutique du célèbre libraire, Bernard Lintot, et au milieu de jeunes avocats d'avenir. Agrégé de droit à All Souls' et encore indécis quant au choix d'une carrière, il a pu se flatter de rencontrer en cet endroit des appuis lui permettant d'atteindre la gloire littéraire ou quelque haute position dans la magistrature 2.

Au reste son mérite commençait à percer et non seulement Steele et Addison, mais encore son Collège, surent lui rendre justice. L'occasion se présenta bientôt de le montrer. En 1710, était mort à la Barbade un officier distingué, Christopher Codrington qui, né dans cette colonie, avait été envoyé à Christ Church à Oxford et avait été élu à vingt-quatre ans agrégé d'All Souls', en 1690. Grâce à une dispense régulière il put conserver ses émoluments et prendre part à la campagne de Flandre (1694) où il se signala si bien aux sièges d'Huy et de Namur, que Guillaume III le nomma capitaine du premier régiment des gardes à pied et lui accorda bientôt après de succéder à son père dans le poste de capitaine général des îles Caraïbes aux Indes Occidentales. Il jouissait d'une telle estime auprès de ses collègues, qu'à son retour des Pays-Bas, comme il accompagnait le roi à Oxford et que l'orateur public se trouvait indisposé, l'Université le choisit à sa place pour prononcer l'allocution latine de bienvenue. Hearne lui-même, malgré ses préventions de jacobite forcené, rend hommage aux qualités du colonel en regrettant

1. Nando's was my Coffee-house above three score years ago. » Le vieillard a dû se tromper de quelques années, car on ne voit pas bien comment il aurait été l'un des habitués du Nando, comme boursier de Winchester. Pour ce café, voir J. Timbs, Clubs and Club Life in London. Londres, J. Camden Ilotten, 1872, 1 vol. in-8°, p. 284.

2. Son collègue John Wills, reçu B. C. L. en 1710 et docteur en droit, D. C. L. en 1715, fut nommé conseiller du roi en 1719, juge suppléant (puisne judge) en 1726, «< chef justice » en 1728 et avocat général en 1734. Voir J. Foster, Alumni Oxonienses.

seulement qu'il les eût compromises par son adhésion aux rebelles soulevés contre le souverain légitime, Jacques II. C'est cet ancien agrégé d'All Souls' qui, par un testament daté de 1702, légua au Collège la somme de dix mille livres sterling qu'une gestion habile des fonds éleva à douze mille livres et des volumes d'une valeur totale de six mille livres, soit ensemble un legs d'environ 1,250,000 francs de notre monnaie actuelle. Avec cet argent l'on décida de construire, sous la surveillance du Dr Clarke et de Sir Nathaniel Lloyd, une bibliothèque superbe. Le corps du colonel fut ramené de la Barbade en 1716 et enterré le 19 juin dans la chapelle du Collège après une cérémonie solennelle où Digby Cotes, l'orateur public, prononça un panégyrique en latin, et le mercredi 20 juin eut lieu la pose de la première pierre du nouvel édifice projeté.

Ce jour-là il y eut un banquet dans le réfectoire des agrégés, suivi d'un discours latin en l'honneur du fondateur de la bibliothèque. Ce discours, Ed. Young fut chargé de le prononcer dans la chapelle d'All Souls'. Peut-être songeait-on, en lui confiant cette tâche, qu'il était l'ami d'Addison qui avait connu et aimé le colonel Codrington, mais assurément aussi l'on voulut honorer le poète dont les œuvres jetaient un nouvel éclat sur la corporation. Nous ne savons rien de la solennité si ce n'est par quelques lignes d'un critique acerbe, Thomas Hearne, qui, à la date du 16 juin, relate sèchement le fait même de l'inauguration. Un peu plus tard il se plaint, avec quelque raison, de l'absence de tous rites religieux lors du second enterrement des restes mortels du vaillant officier. Enfin, le 7 janvier 1716-17, quand les deux discours eurent été publiés, il les déclare pitoyables et dépourvus de bonne latinité autant que de bon sens. Nous n'avons pas à nous occuper du discours de Digby Cotes. Quant à Young, il est incontestable que son latin n'est pas très classique et qu'il se ressent plutôt du style de Sénèque et des auteurs de la décadence. Mais s'il écrit en petites phrases hachées et haletantes, il ne mérite pas tant d'épithètes malveillantes. Son panégyrique plut du moins à l'auditoire puisqu'il dut paraître à la demande de l'héritier, a rogatu hæredis dignissimi. » Il y rend très justement hommage, en même temps qu'à Codrington, au Dr Gardiner et

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