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léienne, après quoi il était à peu près libre de tout souci en ce qui touchait à sa carrière universitaire.

Sans doute il restait bien quelques obligations relatives aux études, mais elles étaient légères et l'autorité bienveillante n'y insistait pas trop. En principe, le jeune homme était tenu de suivre des cours publics et de prendre part aux argumentations privées qui avaient lieu dans chaque Collège, sous la direction. d'un agrégé, deux ou trois fois par semaine, parfois même tous les jours. En fait, l'enseignement était si peu en honneur au début du XVIII° siècle, à Oxford, quand les discussions politiques préoccupaient et divisaient les meilleurs esprits, qu'il ne s'y faisait plus de cours. Un journal du temps, le Terræ Filius, fondé en 1720 pour exposer ces abus, par un certain Nicholas Amherst de St John's College, rapporte expressément, dans une lettre du 22 janvier 1720-21, que plusieurs jeunes gens de Wadham s'étant rendus comme auditeurs aux « écoles,» bâtiment réservé aux conférenciers universitaires, à l'heure où la cloche les y invitait, n'avaient trouvé personne chargé de les instruire. Le préposé des salles (the major) leur déclara même que depuis trois ans aucun professeur ne s'était présenté à cet effet, sauf les professeurs de musique et de poésie 2. En 1710, un jeune étranger, Zacharias Conrad von Uffenbach 3 écrit également « Nous fûmes surpris d'apprendre qu'il n'y a pas de conférences (collegia), il s'en donne trois ou quatre en hiver seulement faites par des professeurs qui parlent pour les murs, car on n'y vient pas. » Cet état de choses durait encore en 1750 à en croire J. Brown qui se plaint dans son « Estimate of the Manners and Principles of the Times » que l'on ait transformé en sinécures les chaires d'enseignement supérieur et l'assertion n'a rien d'exagéré quand on constate qu'un homme aimable et consciencieux comme le Rev. Jos. Spence, élu professeur de poésie à Oxford en 1728, put quitter l'Angleterre pendant plusieurs années sans qu'il soit cer

1. Ce sont les sommes exigées d'Erasmus Philipps à Pembroke lors de son immatriculation en 1720. Voir Notes and Queries, 24 series, vol. X, p. 365, etc.

2. Ce dernier était alors (de 1718 à 1728) Thomas Warton, l'ami d'Young. 3. Voir ses Voyages publiés à Ulm en 1754 et cités par Chr. Wordsworth dans «Social Life at the English Universities in the 18th century, » p. 113.

tain qu'il ait eu un remplaçant1 et qu'à son retour il n'eut pas de peine à se faire réélire (en 1733) aux fonctions dont il s'était si facilement acquitté.

La conséquence naturelle de cette indolence des titulaires fut la création dans chaque Collège de cours privés pour les étudiants de l'établissement. L'assiduité n'en fut pas plus grande comme en témoigne le journal d'un jeune homme de qualité, Erasmus Philipps, « gentleman commoner» de Pembroke 2, où il est question de tout sauf d'études sérieuses. Von Uffenbach signale le nouveau système en ces mots : « Quelques-uns des élèves ont un professeur du Collège qu'ils appellent tutor, » mais il ajoute qu'il ne se fait presque pas de travail en été, vu que les uns et les autres s'en vont à Londres ou à la campagne. L'agrégé n'était même pas toujours compétent pour donner l'instruction requise. A Pembroke l'un d'eux s'avouait moins fort que Samuel Johnson et J. Brown déclare avec amertume que « les grandes lignes de la science sont brisées et les débris en sont distribués à l'aventure par tout membre de Collège qui veut bien s'ériger en professeur universel. » Le corps enseignant officiel, ainsi que celui des nombreuses fondations d'Oxford, faisait donc bien peu d'efforts pour répandre autour de lui la lumière à cette époque.

Au moins pourrait-on supposer que les examens pour l'obtention des grades seraient une sanction efficace du travail des candidats. Les documents contemporains ne confirment pas cette hypothèse charitable. Un observateur, peu sympathique, il est vrai, et chagrin, l'érudit Thomas Hearne, note, à la date de juin 1726, qu'à la dernière ordination à Oxford, le dimanche de la Trinité, « quinze postulants ont été refusés pour instruction insuffisante, chose d'autant plus remarquable que les évêques et leurs délégués sont eux-mêmes en général illettrés. » On peut admettre de la part de l'obstiné jacobite une certaine malveil

1. On suppose seulement, d'après une lettre de lui à sa mère, au printemps de 1731, où il parle de « my dear deputy at Oxford (Capt. Rolle) » que ce dernier le suppléait. 2. Voir ce journal dans Notes and Queries, 24 series, vol. X, p. 365 et passim. Il était fils de Sir John Philipps, quatrième baronnet, de Picton Castle, dont Sir Robert Walpole épousa en premières noces la nièce, Katherine Shorter.

lance à l'égard du clergé rallié, mais voici, d'après un whig, N. Amherst, [dans le n° 42 du Terræ Filius], la manière dont on parvient à se procurer un titre universitaire en l'an de grâce 1720. Pour devenir bachelier ès arts (A.B.) il faut soutenir publiquement une thèse sur un sujet affiché au jour convenu avant huit heures du matin sur les deux portes du bâtiment officiel (the schools) et approuvé par l'autorité compétente. Le drame qui se joue comporte trois personnages, l'opposant (the opponent), le répondant (the respondent) et le président du débat (the moderator). Le premier commence l'attaque sur la question proposée et doit fatalement avoir le dessous, comme l'avocat du diable dans les controverses théologiques du Moyen-Age. L'autre s'assied en face de lui pour réfuter tous ses arguments, quels qu'ils soient, et finit toujours par remporter la victoire. Entre les deux s'agite le président dont le rôle est de ramener les adversaires au point en litige, dès qu'ils s'en écartent, et de clore la discussion quand elle lui paraît avoir été approfondie et concluante. En théorie l'épreuve exige du jugement, de l'à-propos et des connaissances réelles. Dans la pratique il en était autrement. Tout se bornait, au dire du critique, à la répétition machinale d'une série de syllogismes sur quelque vétille de logique 2. La plupart des candidats les apprenaient par cœur ou mieux encore les lisaient dans leur toque renversée placée devant eux et contenant des notes qu'ils avaient au préalable rédigées ou fait rédiger par un ami complaisant. Ces arguments disposés en groupes commodes portaient le nom de « ficelles » (strings) dans l'argot du jour et se transmettaient d'une génération à la suivante avec autant de soin que la clef du jardin collégial permettant d'échapper à la vigilance du portier 3. Steele résume

1. On écrit A. B. dans les formules latines et A. M. pour maitre ès arts, tandis qu'aujourd'hui l'usage anglais prévaut (B. A. pour bachelor of arts et M. A. pour master of arts).

2. Jos. Butler, immatriculé en mars 1715 à Oriel College, se plaint au Dr Clarke de Cambridge, dans une lettre du 30 septembre 1717, des « conférences frivoles et des discussions inintelligibles dont il est excédé à Oxford ». Dict. of National Biography, art. J. Butler.

3. Erasmus Philipps, par exemple, à peine arrivé à Pembroke Coll. paya 10 sh. une clef de ce genre le 4 août 1720 et la remit en partant (septembre 1722) à un boursier, M. Andrew Hughe.

ainsi cet exercice : « la question est l'objet du débat et celui-là reste vainqueur qui peut faire voler la balle le plus longtemps. Un syllogisme la passe au répondant, une négation ou un distinguo habile la renvoie à l'opposant jusqu'à ce que l'arbitre du jeu l'arrête d'un coup d'autorité. » Malheureusement le joueur principal, loin de se préoccuper de science et d'adresse, ne s'appliquait guère qu'à tricher.

Restait l'examen proprement dit qui terminait ces premières épreuves. La veille du jour fixé le candidat affichait aux endroits réservés à cet effet un « programma» ou bulletin portant son nom, celui de son Collège et le grade auquel il se présentait. De son côté, le plus ancien des procureurs de l'Université (the senior proctor) désignait les examinateurs et leur faisait prêter serment. Le lendemain on s'assemblait dans une salle des << schools (ou bâtiment universitaire) et l'interrogatoire commençait en latin que l'impétrant était censé posséder pleinement et manier comme sa langue maternelle. Ici encore, d'après le Terræ Filius, la corruption se pratiquait ouvertement. Quelquesuns obtenaient du procureur, moyennant une couronne, la faculté de choisir leur jury, d'autres donnaient simplement une pièce d'or à leurs juges ou les invitaient à un banquet. Il ne s'agissait plus alors que d'une vaine formalité et le séjour réglementaire à Oxford, réduit parfois à deux ans, avec le paiement de certaines redevances légales ou traditionnelles, suffisait pour l'obtention du grade convoité.

Mais le baccalauréat ainsi conquis n'était un titre définitif qu'après une nouvelle série d'exercices ou « determinations » qui avaient lieu pendant le carême de la dernière année d'études. Il fallait prendre part à deux débats publics dans le bâtiment universitaire et c'étaient des bacheliers appelés a collectors » et désignés par l'un des deux procureurs qui répartissaient leurs camarades par groupes et indiquaient la salle où ils devaient argumenter. La distribution des candidats présentait quelque importance. Certaines salles peu fréquentées par les auditeurs imposaient moins d'efforts aux jeunes gens en présence. Certains jours également favorisaient la paresse parce que la séance se trouvait écourtée. C'étaient là les jours de grâce (gracious

days) tandis que le premier et le dernier jour de carême passaient pour les plus pénibles. Il y avait ainsi l'occasion de mille intrigues afin d'éviter de figurer soit en tête soit en bas de la liste (c'est-à-dire d'être posted ou dogged) et de pouvoir profiter des circonstances favorables complaisances qui, selon N. Amherst, valaient parfois aux « collectors » la bagatelle de quatre-vingts ou cent guinées. Il fallait encore assister au culte officiel tous les samedis matins à l'église de Sainte-Marie pour être en règle avec l'Université. Enfin le grade de maître ès arts comportait une dernière formalité depuis longtemps abolie, le << circuit (circuiting) prescrit par les statuts 1. L'impétrant précédé des appariteurs et d'un agrégé de son Collège chargé de l'introduire allait tête nue au domicile du vice-chancelier et des deux procureurs pour les prier d'assister le lendemain à l'assemblée plénière où le titre d'A.M. lui serait solennellement conféré et à partir de laquelle il prenait rang parmi les gradués d'Oxford 2.

On comprend qu'un enseignement dont la rigueur était tempérée par de tels accommodements ne donnât pas toujours des résultats excellents et qu'il suffit de peu de temps pour se l'assimiler. Le futur Sir Erasmus Philipps, qui pourtant ne séjourna à Oxford que du 4 août 1720 au mois de septembre 1722, n'était pas à ce point accablé de travail qu'il ne put être présent pendant trois jours de suite et à plusieurs reprises à des courses de chevaux le long de l'Isis à Portmeadow, suivre des combats de coqs et des chasses au renard et prendre part à des réceptions et à des soirées. Le commun des mortels faisait trois ans d'études sans que l'application semble y avoir beaucoup gagné. Ceux à qui l'exiguïté de leur bourse défendait les plaisirs coûteux se distrayaient par de longues promenades agrémentées, surtout aux jours de fêtes ou de réjouissances publiques telles que le 5 novembre, de querelles avec la populace ou par des stations interminables dans les cafés oxoniens. Anthony à Wood le constatait

1. Erasmus Philipps, d'après son journal, s'en acquitta le 4 avril 1722.

2. Ajoutons que si le candidat, pour quelque affront fait à l'Université ou à l'un des procureurs, se trouvait inscrit par lui sur le livre noir (the black book), il lui fallait réparer son offense et le faire constater sur le registre par le même procureur.

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