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vague qui paraît se dégager, comme un parfum subtil, de l'ensemble de leurs œuvres. Certains esprits chagrins, celui d'Young entre autres, subiront plus fortement son influence, elle ne laisse pas toutefois de se montrer chez bon nombre de ses condisciples. Il ne reste pas de détails sur les dernières années que le poète passa comme écolier. Peut-être ne fut-il que peu frappé en août 1698, époque de vacances, du coup subit qui atteignait son camarade John Harris, dont le père, Sir Richard Harris, Recorder de Winchester et très aimé dans la ville, mourut, d'après l'inscription latine consacrée dans la cathédrale à sa mémoire, quelques heures seulement après avoir assisté au culte public: « precibus publicis (paucissimas ante mortem horas) interfuit, in Ecclesia vovens animam Deo ad quem erat abiturus. » Mais il dut se sentir ému quand, deux ans plus tard, une catastrophe analogue se produisit dans la même famille, enlevant au Collège son proviseur William Harris, en fonctions depuis 1689, et qui, comme le recteur d'Upham, était agrégé de New College et de Winchester. L'année 1702, celle où Young faillit être au nombre des « prefects, » fut marquée par des événements importants à la fois pour le pays et pour ses parents. Son père qui avait déjà fait paraître deux sermons prêchés à Whitehall, en avril 1699, publia, peu après la mort de Guillaume III (8 mars 1702), une collection en deux volumes de ses sermons, avec une dédicace très modeste à Lord Bradford 1. La reine Anne, auprès de laquelle ce dernier occupait le poste de trésorier de la maison royale, écouta sans doute une recommandation amicale du comte 2 et nomma aussitôt l'auteur au doyenné de Salisbury, que le décès du Dr Woodward laissait vacant. Le départ eut probablement lieu en automne, car le nouveau doyen paya les dîmes réglementaires de sa charge le 25 novembre 1702 et fut officiellement installé

1. Francis (1620-1708), fils de Richard, baron Newport, fut nommé comte de Bradford le 11 mai 1694. Son fils Richard, second comte de Bradford (1645-1723) épousa Marie, troisième fille de Sir Thomas Wilbraham de Woodhay.

2. Le recteur d'Upham, dans une lettre du 16 février 1701-2, datée de Winchester et conservée au Brit. Mus., prie John Ellis d'aller voir Lord Bradford pour que ce dernier agisse en sa faveur auprès de l'évêque de Salisbury et de l'archevêque de Canterbury en vue de lui obtenir le doyenné.

deux jours après. La famille quittait Upham presque en même temps que le fils se rendait à Oxford.

Il s'en faut cependant que ce dernier déplacement fût également joyeux. Ed. Young avait été porté huitième sur la liste des élèves devant être promus à New College. Selon toute probabilité il allait, comme autrefois son père, obtenir une bourse d'université suivie dans un laps de deux ans d'une agrégation bien rétribuée. Malheureusement, ainsi que nous l'apprend la Biographia Britannica, d'après l'information du Dr Eyre, il ne se produisit pas de vacance à New College dans les délais voulus et le jeune homme fut atteint par la limite d'âge. Il dut se faire inscrire au Collège le 3 octobre 1702 2, à titre d'étudiant ordinaire ou « commoner. » Son séjour à Winchester se terminait donc par une déception qui pouvait compromettre tout son avenir. Ici encore il était la victime des circonstances et arrivait quelques années trop tôt pour son bonheur. En 1729, une donation fut faite pour fournir des ressources aux boursiers dans son cas, tandis qu'il dut, au dire d'Herbert Croft, prendre pension chez le Warden de New College, vieil ami de son père. Ce dernier, en raison sans doute des lourdes redevances dont il avait eu à s'acquitter, ne pouvait suffire aux frais d'une éducation universitaire, toujours fort coûteuse. Ed. Young laissa, suivant l'usage, son nom gravé sur une plaquette de marbre à Winchester 3, mais en partant il vit s'évanouir le beau rêve d'une tranquille carrière d'érudit et désormais il lui fallait songer à s'assurer par ses propres efforts une profession libérale et les éléments de sa fortune future.

1. J. Le Neve, Fasti Ecclesiæ Anglicanæ, vol. II, p. 619. Voir aussi une lettre adressée par l'évêque Kennett, le 17 mars 1702, au Dr Charlett, Master of Univ. Coll. Oxford, Bibl. Bodléienne, Ballard Mss., vol. VII, p. 53.

2. C'est la date portée sur le registre universitaire qui lui attribue correctement 19 ans, et non le 13 octobre, comme le rapportent la Biogr. Britannica et Herbert Croft.

3. Ce nom « Edward Young, 1702, » doit, paraît-il, se trouver dans la cinquième chambrée, où il nous a pourtant été impossible de le découvrir.

Éd. Young à Oxford.

d'All Souls.

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CHAPITRE II

Les études universitaires. Le collège
Relations et débuts littéraires du poète.

Le jeune écolier, à son arrivée dans la ville d'Oxford, paraît avoir eu des débuts plutôt pénibles. S'il est vrai que la position et le renom de son père lui valurent des amitiés précieuses, il n'en eut pas moins à subir quelques déboires. Sa première année d'université n'était pas achevée encore quand la mort lui ravit son protecteur, le Warden Thomas Traffles, décédé le 30 juin 17031. D'après Herb. Croft, Young fut alors invité par le président de Corpus Christi College, Thomas Turner, qui, par égard pour le doyen, voulut réduire les frais de séjour du fils, tandis que d'autres trouvent à ce changement une raison toute personnelle, ce Collège ayant la réputation d'être celui où la dépense ordinaire des étudiants était la moins forte. Comme il y entra à titre de simple gentleman commoner,» sans doute au mois d'octobre, il ne figure pas sur les listes des boursiers mais on retrouve le nom d'Young (presque certainement le sien) avec celui de six camarades en 1704, sur le livre de comptes du réfectoire (butterybook) et la série doit être complète puisqu'elle se rencontre sans modification dans le registre des Actes établi vers 1783 2. Voilà les seuls renseignements que nous possédions sur lui à cette époque, avec l'indication de deux connaissances faites à Corpus Christi, John Anstis, fils et successeur du héraut d'armes (Garter King of arms) et Thomas Colburn, plus tard recteur de l'église

1. J. Foster, Oxford Men and their Colleges. Oxford, J. Parsons, 1893, 2 vol. in-4o, vol. I, p. 202. Le Warden était d'une famille de Winchester. Il fut enterré dans la chapelle de New College.

2. C'est du moins ce que suppose le président Fowler dans son Histoire de C. C. C., p. 440, n. 10.

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Saint-Pierre à West Lynn dans le Norfolk 1. Mais nous savons que le président Turner était jacobite dans l'âme et n'avait que peu de sympathie pour le clergé rallié au gouvernement. Cela explique suffisamment, sans même parler de l'absence de grades, que le futur poète n'ait pas recherché une agrégation dans son nouveau Collège. Il pouvait et il devait préférer l'appui des amis de son père.

D'ailleurs le doyen avait une carrière de plus en plus brillante. Il venait, d'après Giles Jacob, d'être nommé chapelain privé de la souveraine (chaplain and clerk of the closet to the late Queen) 2, dont la protection ne ferait défaut ni à lui ni aux siens. Quant au fils, il semble avoir fréquenté surtout les étudiants de New College, ce qui n'a rien d'étonnant pour un élève de Winchester, ni surtout pour celui-ci dans la situation anormale où il se trouvait. Il y rencontrait sans doute son ancien camarade John Harris, agrégé de la fondation depuis peu, qui allait devenir son beau-frère par son mariage prochain avec Anne Young. En effet, le père du poète, non seulement approuva cette alliance, mais se démit même, le 26 mai 1704, de ses fonctions d'agrégé de Winchester College en faveur de son gendre et lui fit confier presque aussitôt la cure de Chiddingfold, près de Godalming, dans le comté de Surrey. Elle dépendait depuis le règne d'Henri Ier du chapitre de Salisbury qui nommait les titulaires et le village servant de résidence d'été aux doyens de la cathédrale 3, la famille n'en resterait pas moins au complet. Pour le jeune Edouard, ce mariage, qui dut coïncider avec les changements indiqués, créait des attaches nouvelles avec l'école dont il sortait. Son beau-frère, né à Winchester même, faisait en quelque sorte partie du conseil d'administration par droit d'hérédité avant d'y être élu. Il descendait de John Harris, ancien professeur de grec à Oxford et Warden de Winton College, de 1630 à 1658, qui, sous Charles Ior,

1. Young mentionne le premier, dans sa satire I, v. 155 (ou du moins son père) et parle de Colburn, mort en 1761, comme d'un de ses derniers amis, dans une lettre du 25 novembre 1762, au Rev. Th. Newcomb.

2. G. Jacob: «An historical Account of the Lives and Writings of our most considerable English Poets. » Londres, E. Curll, 1720, in-8°, p. 241.

3. Je dois la plupart de ces détails à l'obligeance du recteur actuel de Chiddingfold, le Rev. C. Sloggett.

bâtit l'infirmerie pour les boursiers malades; il était fils du « recorder Sir Richard Harris, dont ses concitoyens n'avaient oublié ni la charité ni les services; il avait deux frères, dont l'aîné, Roger, entré avant lui à New College, allait bientôt représenter les intérêts de la région au Parlement comme député de Southampton et dont l'autre, Richard, poursuivait encore ses études en vue de l'Université. Young était apparenté maintenant à une vieille famille du Hampshire qui, depuis plusieurs générations, avait fourni des éducateurs et des ecclésiastiques, et désormais l'Eglise dut plus que jamais lui apparaître comme carrière privilégiée et presque traditionnelle.

En attendant qu'il se décidât pour une profession, le jeune homme vivait au Collège de Corpus Christi. Sa qualité de « gentleman commoner » lui épargnait les ennuis que subissaient ses camarades plus pauvres. Il eut sans doute, suivant l'usage du temps, un ou deux compagnons de chambrée 1, mais il échappa au sort des servitors » ou boursiers indigents, tels que G. Whitefield quelques années plus tard à Pembroke, obligés de se faire les valets de leurs voisins plus riches quand ils ne les aidaient pas, moyennant finances, à préparer leurs travaux scolaires. La vie qu'il eut à mener pendant trois ans n'était pas de nature à l'exténuer, si l'on en juge par les documents contemporains. L'étudiant, une fois immatriculé, devait prêter serment conformément à la loi du 2 mars 1702, c'est-à-dire jurer fidélité au souverain régnant, accepter sa suprématie temporelle et spirituelle et promettre obéissance aux lois et règlements de l'Université; enfin adhérer par écrit aux trente-neuf articles fondamentaux de l'église anglicane et rejeter les doctrines romaines sur la transsubstantiation, la messe et le culte de la Vierge. et des saints. Il s'acquittait ensuite de quelques redevances de rigueur deux livres à l'appariteur (esquire bedell) de la faculté de théologie, dix livres de cautionnement versées au Collège et dix shillings pour être admis à fréquenter la Bibliothèque Bod

1. C'était du reste un progrès sur les statuts primitifs de Corpus Christi qui prescrivaient à chaque boursier de coucher sur un grabat placé sous le lit d'un agrégé. Hist. Mss. Comm., vol. II, p. 126.

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