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habiles. Les exercices oratoires de ce genre étaient fréquents et, quelques années plus tard, Joseph Warton, le nouveau « headmaster, » ne causa pas d'étonnement mais un simple mouvement d'admiration en improvisant une harangue latine en réponse à l'allocution de bienvenue du premier des « prefects. » La connaissance des poètes de Rome se montre surtout chez Young dans les épigraphes nombreuses empruntées à Virgile, à Horace ou à Juvénal, dans des allusions rapides au cours de sa correspondance intime, enfin dans des réminiscences et des imitations presque inconscientes. Il a même pratiqué et l'on peut supposer qu'il suit plutôt ici son goût personnel que la tradition de son école les moralistes de l'empire et notamment Sénèque, dont les Nuits portent l'empreinte ineffaçable. Le précepteur de Néron l'a sans doute charmé par la recherche de l'esprit et le maniement des antithèses brillantes, il lui a, dans une certaine mesure, transmis jusqu'à son style, si l'on en juge par le discours prononcé au Collège d'All Souls à l'inauguration de la biblio-thèque Codrington et sur lequel nous aurons l'occasion de revenir.

On aimerait à connaître l'impression que conserva Young de ses années de classe. Il ne nous reste à ce propos que quelques remarques sur l'enseignement à Winchester faites par lui lorsqu'il parla à Spence de son ancien camarade Wm Harrison. Ce dernier, à la mémoire duquel notre auteur consacra quelques vers touchants dans son épître à lord Lansdowne, était fils du Dr Harrison, maître de l'hôpital de Saint-Cross, aux portes de Winchester, et se fit connaître par sa facilité d'improvisation poétique. On habituait, paraît-il, les élèves à composer sur-lechamp des hexamètres ou des distiques élégiaques latins sur un sujet donné. Le jeune homme, au dire de son ami1, déployait tant de virtuosité dans ces exercices, qu'il releva le niveau de la versification scolaire et que l'amélioration due à son exemple persista pendant quelques années après son départ. Il faut croire que la poésie attirait tout particulièrement les boursiers de la fondation, car Harrison, d'après son condisciple, composa pendant

1. Spence's Anecdotes. Young se rappelait encore quelques vers à propos d'une femme achetée par des présents et morte ensuite de chagrin «... Tarpeiæ virginis instar Obruitur donis accumulata suis. >>

le cours de ses études, une satire sur les dames de Winchester et à peine élu à New College, il publia un morceau plus ambitieux intitulé Woodstock. Addison, dont cette pièce de vers mérita les éloges, déclara que l'adolescent, pour son début, avait dépassé quelques-uns des meilleurs écrivains de l'époque et, avec sa bonne grâce habituelle, il intervint auprès de ses amis politiques pour lui obtenir un poste honorable et lucratif. Et c'est ainsi que les Muses servirent la fortune de leur jeune admirateur.

Pour Young c'était encore un des avantages du Collège que de le mettre en contact avec tant d'esprits sérieux dont plusieurs se distinguèrent plus tard dans des domaines divers. Il connut ainsi parmi ses camarades son futur beau-frère, John Harris, entré en 1693, Ed. Cobden, qui devint archidiacre de Londres, et George Lavington, qui devait être évêque d'Exeter. Encore ne s'agit-il ici que des boursiers de Winchester, alors qu'il y avait dès cette époque un contingent d'élèves payants réunis dans un bâtiment à part sous la direction spéciale du proviseur. Il compta sans doute des amis parmi eux; en tout cas, il y trouva un de ses intimes, George Bubb1, dont le nom figure parmi les « commensales à titre de « præfectus » en 1706, et qui devint un de ses protecteurs. Mais l'influence littéraire de l'école n'est pas non plus à négliger. Winchester avait déjà produit deux poètes d'une grande valeur, John Davies, à la fin du siècle précédent, dont l'ouvrage en stances rimées sur l'Immortalité de l'âme est resté célèbre, et Thomas Otway (1651-85), dont elle gardait le souvenir, bien qu'il n'eût pas été boursier, et qu'Ed. Young (il l'écrit à Richardson en 1744), estimait l'un des premiers dramaturges anglais. Parmi ses condisciples mêmes, il faut noter John Philips (1676-1708), l'auteur du « Splendid Shilling, » qui reprit après Milton l'emploi du vers blanc ailleurs qu'à la scène et Lewis Cibber (frère et non fils de Colley Cibber, comme l'indique T.F. Kirby dans « Winchester Scholars), » qui put initier son camarade aux mystères du théâtre et que celui-ci eut tant de plaisir à rencontrer en 1745 à Tunbridge Wells, au grand éton

1. Plus jeune que l'auteur, G. Bubb parait être entré à Winchester quatre ans après lui. Il prit le nom de Dodington à la mort d'un oncle dont il hérita. Son nom se trouve dans les Winchester Long Rolls [op. cit.], p. 105.

nement de la future Mrs Montagu, les années n'ayant nullement assagi ce singulier personnage 1. D'autres enfin précédèrent Young à l'Université et leurs succès stimulèrent son ambition au moment où il se préparait aussi à quitter Winchester. Tel fut sans doute, sinon le D' Eyre2 qui fournit à la Biographia Britannica plusieurs détails sur la jeunesse de l'écrivain, du moins Thomas Dalton qui avait obtenu une bourse sur la recommandation de la reine Marie et qui, en 1698, passa à Queens' College, Oxford, d'où il entra en 1706 comme agrégé à All Souls' et John Harris, élu à New College en 1699. Si l'école secondaire, d'après les traditions d'Outre-Manche, doit permettre aux enfants de se créer des relations utiles pour une carrière future, le but, on le voit, fut atteint dans le cas particulier de notre poète.

Grâce à la solidarité qui unit en Angleterre les membres d'institutions connexes, comme le sont l'établissement de Winchester et New College, les rapports d'amitié ne se restreignent pas à une seule génération d'élèves. Ed. Young, qui se liait facilement et dont les manières affables et l'esprit faisaient un compagnon charmant, en fournit la preuve. Il a, en effet, fréquenté bon nombre de ceux qui l'ont suivi à plusieurs années d'intervalle, dans la petite ville des bords de l'Itchen. C'est ainsi qu'il connut Christopher Pitt, arrivé à Oxford en 1719 et qu'il appelait familièrement son fils. On s'explique de même ses relations avec Joseph Spence, également agrégé de New College en 1720, et peut-être avec les frères Warton, dont le plus jeune, Joseph, élevé à Winchester, dont il devint proviseur, dédia à Young son Essai sur Pope. Il est beaucoup moins certain qu'il ait fait la connaissance de Wm Collins, boursier de 1733 à 1740, mais tous ces indices prouvent amplement qu'il aimait à se retrouver avec des amis dont la jeunesse s'était passée sur les mêmes bancs et que ce titre était une recommandation favorable pour qui voulait obtenir ses bonnes grâces et son appui.

1. C'est lui qui, suivant une amusante anecdote rapportée par Spence sur la foi d'Young, étant à bout de ressources, alla trouver le Dr Sim. Burton et lui dit « qu'à sa connaissance il s'était rendu coupable de tous les péchés capitaux sauf un, à savoir l'avarice, et que si le docteur voulait bien lui donner une guinée, il ferait son possible pour s'en rendre coupable aussi. »

2. Il s'agit probablement de Robert Eyre D.D. (docteur en théologie) qui entra comme boursier à Winchester en 1702 et devint agrégé d'All Souls' College.

En dehors de ce cercle de relations, le séjour de Winchester a-t-il laissé des traces dans la pensée et les écrits du poète ? C'est une question qui ne semble pas avoir été posée et qui pourtant ne manque pas d'un certain intérêt. Il vaut la peine de s'y arrêter un moment. L'habitude de la conversation latine, les préceptes catégoriques de la salle d'étude avec le double appel à l'ambition et à la crainte, le régime sévère de l'internat à la fin du XVII° siècle ont pu produire quelque impression sur l'enfant. Mais à côté de la routine des classes et du contact des camarades se place l'influence occulte et persistante des localités. Il faut, pour en avoir une idée exacte, se reporter à la réalité telle qu'elle se présentait il y a deux cents ans. Et cette réalité nous fait voir une grande école attenant à un cimetière. Aujourd'hui les bâtiments scolaires ont dépassé les anciennes limites, le champ du repos, rempli depuis longtemps, reste inaperçu dans un coin déserté et les inscriptions ont disparu. Mais vers 1694 cet emplacement, à côté de la chapelle et presque au centre des vieilles constructions, devait forcément attirer les regards. Les épitaphes étaient encore lisibles, puisque dix ans auparavant, un érudit d'Oxford, Anth. à Wood, les avait recueillies et beaucoup d'entre elles étaient frappantes. Telle est l'épitaphe de John Boles, mort le 7 septembre 1610, où le contraste des idées relève la saveur d'un éloge presque ironique :

» Wicchamicae cui cura domus, cui cura peculi,
Cui fuit in studiis irrequieta quies,

Cui corpus sanum, cui mens validissima, velox
Ingenium, et multus, sed sine felle, lepos,
A cura et studiis nolens requiescere vivus,
Mortuus hoc tumulo quo requiescat habet. »

Toutes n'ont pas un aussi grand luxe d'antithèses, mais toutes indiquent en style lapidaire, où le mot final est le mot important, la vanité des choses mondaines et la brièveté de la vie. Notre auteur qui, dans sa vieillesse, se promenait avec prédilection dans le cimetière de Welwyn, qui visitait les tombes de Tonbridge au cours d'une excursion, qui encore jeune à All Souls', écrivait dans une chambre obscurcie en plein midi et à la lumière d'une lampe.

fixée dans un crâne, a dû bien souvent parcourir ce coin de Winchester College et commencer par l'étude des pierres sépulcrales ses méditations sur la mort. Le goût s'en est révélé trop tôt chez lui, au dire des contemporains de sa jeunesse, pour qu'il soit né plus tard seulement de ses deuils. Ce goût s'est développé sous les coups du destin et par l'effet du désappointement, mais il existait déjà chez l'enfant et les premières déceptions de l'école comme la sombre inspiration des tombes du vieux cloître ont contribué pour une part à la mélancolie qui traverse les œuvres d'Ed. Young.

Il nous semble même qu'un sentiment analogue, bien qu'avec des nuances infiniment variées, se découvre chez les autres poètes élevés à Winchester. Sir John Davies, par la nature de son sujet, parle en termes attristés de la fragilité des choses humaines. Thomas Otway mêle partout le pathétique au tragique. Dans le Splendid Shilling de J. Philips comme dans les Odes de Jos. Warton et les Eglogues de Collins, il court une veine d'émotion contenue 1, ou si l'on veut, de romantisme avant la lettre qui en fait un groupe à part. Sans doute il convient de tenir compte des tendances qui, à partir de 1726, se montrent dans la littérature anglaise, mais il n'en est pas moins étrange ou significatif qu'un même établissement, par une coïncidence curieuse, ait donné l'éducation à tant de novateurs. Il n'est pas jusqu'aux plus classiques de ces poètes qui ne recherchent des formes nouvelles. J. Philips, par deux fois, adopte le vers blanc de Milton, sans s'inquiéter de savoir si ce vers s'adapte bien à sa matière. Chr. Pitt, moins écrivain que traducteur, original par tempérament, publie un essai de strophe spensérienne intitulé le Jourdain. Les frères Warton renforcent le mouvement, l'aîné en faisant revivre le sonnet, le second en critiquant le caractère artificiel de la versification de Pope. Winchester College est bien pour quelque chose dans cette liberté de rythme qui séduit les meilleurs de ses enfants et peut-être dans cette sentimentalité

1. On peut en dire autant, bien qu'il ne s'agisse pas d'un poète, de la Religio Medici de Sir Thomas Browne (1605-82) qui, de 1616 à 1623, fut boursier de Winchester et qui légua 12 livres par son testament pour contribuer à l'érection du nouveau bâtiment scolaire commencé en 1683.

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