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leurs, vient, sans s'en douter, de porter une nouvelle atteinte, en s'efforçant d'en déprécier les principes et les doctrines.

Nous répétons, pour la deuxième fois, que nous ne nous serions pas occupé de lui, si nous n'avions affaire qu'à lui. M. de Bonald seul, ainsi qu'il a eu le soin de le prouver lui-même par ses écrits philosophiques, n'est pas un adversaire bien sérieux ni bien redoutable en philosophie. Mais derrière lui et avec lui il y a toute une école, l'école rationaliste, qui, sous prétexte de défendre Descartes et sa méthode, fait, dans ce moment, les plus grands efforts, en réduisant tout à la raison, pour tuer la foi. Nous devons donc, à la CAUSE de la philosophie de la foi, de combattre cette école ; et puisque ses doctrines et ses procédés sont tout à fait semblables à ceux que M. de Bonald a étalés dans son dernier écrit, en faisant justice de ces doctrines et de ces procédés à l'occasion de l'écrit de M. de Bonald, nous aurons fait justice en même temps des doctrines et des procédés de l'école qui, ayant l'air de n'être que cartésienne, n'est au fond qu'une succursale de l'école rationaliste, si ce n'est une école rationaliste elle-même.

Encore un mot sur la nécessité de cette réplique à M. de Bonald. L'année dernière, un ecclésiastique nous accusa d'avoir cité à contre-sens saint Thomas. Nous ne jugeâmes pas à propos alors de répondre à cette accusation, qui, par le fond et par les formes, ne brillait pas trop ni du côté de la science ni du côté de la loyauté. Qu'est-il donc arrivé? Il est arrivé que, trompé par le nom et le caractère de cet accusateur, M. de Bonald a pris la même accusation au sérieux, et l'a tout bonnement reproduite dans l'écrit auquel nous allons répondre ici. Or, M. de Bonald a ramassé dans cet écrit force passages de saint Augustin, de saint Thomas et d'autres auteurs, dont il vient, à son tour, faire l'usage le plus regrettable et le plus propre à égarer l'ignorance et la bonne foi de ses lecteurs. Si nous nous taisions donc sur le sens véritable de ces passages, d'autres écrivains, simples ou légers, pourraient s'en emparer également à leur tour; d'autres pourraient les reproduire dans le sens tout à fait inexact que leur a donné M. de Bonald, et s'en faire, eux aussi, une arme contre la philosophie que nous défendons. Mais, les appréciations de M. de Bonald touchant la philosophie chrétienne, et les autorités dont il se pare, une fois pour toutes réduites à

leur juste valeur, nous en aurons fini pour toujours avec lui, aussi bien qu'avec les autres.

M. de Bonald a divisé en quatre parties sa critique. D'abord, il nous attaque sur le terrain des Idées; 2° sur celui de la Certitude; 3° sur celui de la Méthode cartésienne; et 4o enfin, sur la Philosophie de Descartes. Or, en lui répondant, nous suivrons le même ordre; seulement, les deux derniers points de la critique de M. de Bonald se résumant en un seul, à savoir que nous avons mal compris et mal jugé Descartes, nous réunirons sous ce titre unique nos répliques: Nouvelles observations sur le Cartesianisme; et nous espérons que cette discussion ne sera pas sans intérêt et sans actualité.

D'abord, la réfutation des assertions hasardées, des erreurs doctrinales et historiques de M. de Bonald et des fausses interprétations qu'il a données de plusieurs passages des Pères sera suivie de l'exposition de notre doctrine particulièrement sur les grandes questions de l'origine des idées et du criterium de la certitude; et même nos explications touchant le Cartésianisme serviront à mieux éclairer ces mêmes questions, qui sont le vrai sujet de cet écrit.

En second lieu, notre polémique même contre M. de Bonald, en faisant justice des objections, des préjugés de la philosophie païenne de nos jours contre la philosophie chrétienne, répandra de nouvelles lumières sur les points controversés, et ajoutera au développement et à l'affermissement de la vraie doctrine.

Enfin, encore une fois, les erreurs de M. de Bonald ne lui sont pas personnelles. Ce sont les erreurs de son école, bien plus que les erreurs de son esprit. En les combattant donc, nous combattrons, non pas l'héritier d'un grand nom, mais l'élève infortuné d'une mauvaise école.

Partant, que le lecteur se rassure: il ne va pas assister à une polémique ennuyeuse entre deux personnes, mais à une discussion sérieuse entre deux écoles représentées par deux personnes; à une discussion où l'intérêt des personnes disparaît devant l'intérêt des doctrines, et où l'on pourra mieux connaître les principes, les conséquences, l'esprit de la vraie et de la fausse philosophie, particulièrement touchant les questions des Idées et de la Certitude.

PREMIÈRE PARTIE.

DE L'ORIGINE DES IDÉES D'APRÈS LES CARTÉSIENS ET D'APRÈS LES SCOLASTIQUES.

§ II. Réponse aux nouveaux reproches qu'on vient de faire au P. Ventura, au sujet de ses appréciations de la Philosophie de M. de Bonald père.-Cinq différents systèmes sur l'origine des idées. — Véritable état de la question sur la même matière. Confusion de termes et d'idées qu'on a apportée dans cette discussion. -Première incohérence de M. de Bonald fils.

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'auteur de la Philosophie du Verbe, aussi profond philosophe qu'il est publiciste distingué, en lisant le résumé que nous avons donné de la philosophie de M. de Bonald père et les éloges que nous en avons faits (De la vraie philosophie, § 4), s'est écrié : « Certes, lorsqu'on commence par rendre « une si éclatante justice aux intentions, au talent, au génie, « aux mérites d'un grand homme, et qu'on en parle en de pa<< reils termes, on a le droit d'être entendu dans la critique qu'on fait de ce qui, dans le même auteur, n'est pas exact. »

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Nous n'avons donc pas besoin de nous arrêter à justifier nos appréciations sur la philosophie de l'auteur de la Législation primitive, au sujet desquelles son fils vient de nouveau nous chercher querelle. Dans notre brochure sur la Vraie philosophie, nous croyons avoir assez justifié ces appréciations par des citations multipliées, par les paroles mêmes de l'illustre auteur que ces appréciations regardaient. Nos lecteurs savent bien à quoi s'en tenir là-dessus. Avant d'aborder et de développer cette grande question de l'origine des idées, nous ne dirons donc ici que quelques mots sur les reproches que notre honorable adversaire nous adresse, au sujet de nos critiques sur la doctrine de son illustre père, au sujet de cette même question sur l'origine des idées.

M. de Bonald commence la série de ses nouvelles attaques par nous reprocher d'avoir dit que « l'auteur de la Législation primitive, n'ayant rien compris à la scolastique, très-habile « à détruire des erreurs grossières, ne l'a pas été à établir la

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« vérité » (page 118); et là-dessus il croit nous avoir terrassé d'un coup de massue en disant : « Mais n'est-ce pas établir la « vérité que détruire les erreurs qui lui sont opposées ? » Non, Monsieur, certainement non; pas plus que détruire une maison n'est en bâtir une autre à sa place. Et en effet, l'auteur de la Législation primitive, nous l'avons reconnu et lui en avons adressé nos éloges et nos félicitations sincères, a bien combattu le matérialisme; mais a-t-il afferini avec le même bonheur le spiritualisme sur la base naturelle, où seulement il est à une égale distance du matérialisme et de l'IDÉALISME? Assurément non; nous l'avons prouvé (§§ 28 et 29); et nos preuves sont restées sans réplique de la part de notre contradicteur. M. de Bonald père a écrasé les sceptiques; mais il n'a pas établi le véritable système de la certitude. Il en est de même de toutes les autres questions philosophiques. A l'exception près de sa belle théorie sur l'origine du langage et de l'écriture, dont nous l'avons loué plus que ne l'a fait son propre fils, et par laquelle il a rendu d'immenses services à la science philosophique, je dirais même à la société, M. de Bonald père n'a rien édifié de solide, de durable en philosophie. La preuve en est que, hors de cette théorie, il n'est resté rien ou presque rien debout de sa philosophie. Ses Recherches, où cette philosophie est renfermée, ont-elles été réimprimées plusieurs fois? Nous ne le savons pas. Quant à son ignorance complète de la philosophie scolastique, M. de Bonald père l'a prouvée lui-même par tous ses écrits philosophiques, et M. de Bonald fils paraît en convenir, lui aussi; car c'est lui qui, pour excuser son père d'avoir ignoré la scolastique, a dit : « Est-il donc rigoureusement nécessaire d'étudier les scolastiques pour penser juste en philosophie ? « Il est très-utile, très-important sans doute, de ne pas négliger les scolastiques; mais à la rigueur on peut s'en passer • (comme s'en était passé son père), parce qu'on peut puiser « soi-même aux mêmes sources où les auteurs du moyen âge « avaient eux-mêmes puisé. » (Lettre à l'Univers) (1). C'est encore notre censeur qui, avec une naïveté admirable, est venu nous dire ce qui suit (p. 131): « J'avoue que dans ces

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(1) Nous avons réfuté ces ligues dans notre brochure Sur la philosophie (§ 5).

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« questions, qui appartiennent particulièrement à la philosophie de l'école, et dont M. de Bonald ne s'est occupé que fort tard, et SANS CONSULTER AUCUN AUTEUR, il n'avait « pas mis toujours assez de soin à se faire bien comprendre.» Ce qui, en d'autres termes, n'est que nous confirmer que M. de Bonald père n'a rien compris à la philosophie scolastique, et qu'il l'a jugée sans la connaître, puisqu'il n'en avait consulté AUCUN AUTEUR.

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M. de Bonald nous en veut aussi (pag. 119) d'avoir dit que son père « n'a pas fait faire un pas à la question sur l'origine « des idées. » Et cependant c'est M. de Bonald lui-même qui a ajouté ceci aux lignes qu'on vient de lire : « Aussi, tandis « que M. de Maistre lui reproche de n'avoir pas admis les « idées innées, l'éditeur de son ouvrage, au contraire, soutient, et avec raison, qu'il les admettait. » Mais c'est nous assurer que, par rapport à la grande question sur l'origine des idées, son père n'avait pas des idées claires, il n'avait pas de système arrêté, en sorte qu'il a pu dire le pour et le contre sur la même question, ainsi que sur bien d'autres, puisqu'il a donné lieu à ce que deux écrivains très-bienveillants pour lui n'aient pu saisir sa véritable pensée, et lui aient attribué deux opinions contradictoires. Ainsi, nous n'avons pas été injuste envers ce grand homme, en appréciant sa philosophie presque dans les mêmes termes qu'elle vient d'être appréciée par son propre fils.

Mais rien n'est plus amusant que ce que notre antagoniste affirme avec une assurance parfaite pour justifier son père sur ce même reproche que nous lui avons fait, de ne pas avoir fait faire un pas à la question de l'origine des idées. « Nous de

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mandons, dit-il (p. 119), quel nouveau pas il est possible « de faire sur la question de l'origine des idées? Qu'on disserte « là-dessus tant qu'on voudra, on ne pourra trouver cette ori«<gine que dans un don du Créateur, dans l'exercice de nos fa«< cultés intellectuelles, et dans une lumière surnaturelle à l'égard de ce que la raison ne peut naturellement atteindre. On << n'a pas découvert, que nous sachions, une quatrième source « de nos idées. » Ainsi, de son propre aveu, M. de Bonald ne sait pas qu'indépendamment de ces trois sources, qu'il nomme, de nos idées: 1o l'action directe de Dieu sur notre esprit (idées innées); 2o le raisonnement par lequel, en déduisant une con

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