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bentes opus legis scriptum in cordibus suis. Et qu'on remarque bien ce mot si profond : « l'œuvre de la loi dans le cœur : opus legis in cordibus ; » ce qui signifie : la loi dans ses rapports avec les tendances et les sympathies du cœur; non pas la loi dans ses rapports avec les opérations de l'esprit ; la loi dans son ensemble, la loi quant à ses principes généraux, les seuls qui, d'après saint Thomas, sont ineffaçables; mais non pas la loi quant à ses applications aux cas particuliers, et moins encore les idées précises, claires et distinctes de toutes les obligations de la loi.

Ce sont les deux principales interprétations que les Pères et les commentateurs ont données de ce passage de saint Paul. N'est donc pas bien étrange, on pourrait même dire ridicule, le ton leste et tranché dont on vient d'interpréter en faveur des idées innées ce texte si obscur de l'Apôtre, et sur le sens duquel sont divisés et incertains les plus grands docteurs de l'Église? On dira peut-être que, laïque, M. de Bonald n'était pas obligé, en citant ce texte, de savoir tout cela. Aussi rien ne l'obligeait d'aller chercher dans l'Écriture sainte l'apologie des idées innées que, au moins dans les écrits de Descartes et de Malebranche, l'Église, interprète de l'Écriture sainte, paraît avoir condamnées.

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S VI. Explication d'un passage de saint Bonaventure, par lequel on prétend prouver qu'Aristote lui-même n'a pas admis la doctrine de l'AME TABLE RASE AU COMMENCEMENT. Le Docteur séraphique admettant la distinction entre les IDÉES et les CONNAISSANCES, que le P. Ventura a établie dans les termes les plus clairs. Procédé inqualifiable de M. de Bonald, à ce sujet, envers l'auteur des Conférences.

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AIS Voici quelque chose de plus étrange encore et de plus nouveau : « Si les scolastiques, dit M. de Bonald, l'ad<< mettent (que l'âme humaine n'est à son origine qu'une table « rase), ils ont tort; mais tous ne l'admettent pas, NI ARIS« TOTE LUI-MÊME. » (P. 129.) Ainsi, pour M. de Bonald, Aristote qui, au livre troisième de Anima, a bâti toute sa

profonde doctrine touchant l'entendement humain et l'origine des idées, sur le principe que l'âme humaine n'est à son origine qu'une TABLE RASE, n'aurait pas admis lui-même ce principe. Grande et importante découverte, dont le monde philosophique ne s'était jamais douté, et dont il était réservé au génie de M. de Bonald d'enrichir l'histoire de la philosophie!!!

Il est vrai que M. de Bonald ne veut pas, dans sa modestie, s'attribuer à lui seul les honneurs de cette découverte, et qu'il en fait bien la plus grande part à saint Bonaventure, dont il cite un passage. Mais, ayant ajouté : « Nous nous étonnons que ce beau << passage n'ait JAMAIS été cité; » toujours est-il que c'est M. de Bonald qui, le premier, a connu la véritable portée de ce passage du Docteur séraphique, et que c'est lui qui, le premier, a appris aux philosophes qu'Aristote n'était qu'un cartésien et saint Bonaventure aussi. Or le voici, ce passage tel que M. de Bonald le cite : « Si quelquefois le philosophe (Aristote) << a dit que toute connaissance a son origine par les sens, on << doit entendre cela de ces choses qui ne sont dans l'âme <«< que par une opération semblable à l'abstraction; et c'est de << ces choses qu'on dit qu'elles sont dans l'âme comme une écri<< ture. Sous ce rapport, le philosophe a dit AVEC RAISON, « ET AVEC BEAUCOUP DE RAISON, que (au commence<< ment) il n'y a rien d'écrit dans l'âme. Mais cela ne signifie pas « que l'âme n'a AUCUNE CONNAISSANCE (indépendam<< ment des sens), mais seulement qu'il n'y a rien de peint en « elle, rien de ressemblant à l'abstraction (que par la voie des « sens) (1). » C'est ce que dit saint Bonaventure; et là-dessus M. de Bonald de s'écrier, d'un air de bonheur « Ce passage

<< montre combien les anciens docteurs, imbus de la philosophie la plus éclairée, avaient à cœur, COMME DESCARTES,

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(1) « Si quando Philosophus dicat quod omnis cognitio ortum habet « a sensu, intelligendum est de illis quæ quidem habent esse in anima « per similitudimem abstractam; et illa dicuntur esse in anima ad << modum scripturæ. Et propterea valde notabiliter dicit Philosophus: «< quod in anima nihil scriptum est; non quia nulla sit in ea NOTITIA, sed quia nulla est in ea pictura, vel similitudo abstracta. » (N. B. Les mots que, dans la traduction de ce texte, nous avons renfermés dans des parenthèses, ne se trouvent pas littéralement dans le texte; mais, comme on le voit, ils en expriment exactement le sens,

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« de DÉFENDRE LES IDÉES INNÉES. Mais il faut surtout << bien remarquer ces mots : Non quia nulla sit in ea notitia. » (P. 130.) Vous avez parfaitement raison, Monsieur le vicomte, il faut bien remarquer ces mots : « Ce n'est pas que l'âme n'a aucune connaissance (que par les sens), » car ce sont ces mots qui vous prouvent que vous n'avez pas bien saisi la pensée du saint docteur.

Si les mots aucune connaissance se rapportaient, ainsi que le veut M. le vicomte, aux idées innées, il s'ensuivrait que, d'après saint Bonaventure, les idées innées sont des notions claires, distinctes, de vraies CONNAISSANCES (notitiæ) que l'âme aurait en elle-même, en sortant des mains de son créateur. Mais les partisans les plus fougueux des idées innées n'ont jamais osé affirmer que ces idées sont, dès l'origine, des connaissances claires et distinctes que l'âme discerne tout d'abord, indépendamment de tout secours et de toute réflexion. Nous venons d'entendre Descartes, M. de Bonald père et son fils, nous affirmant que les idées innées sont dans l'âme à l'état de puissance, sont une écriture latente qu'on ne peut pas lire, qu'on ne connaît pas, par défaut de lumière. On sait que Leibnitz lui-même n'a entendu d'autre manière la doctrine des idées innées. Il est donc évident que par le mot CONNAISSANCE, notitia, saint Bonaventure n'a pas entendu, n'a pas pu entendre les idées innées. Pris dans ce sens, ce mot, à force de prouver trop, ne prouverait rien... Nous nous trompons ce mot prouve précisément le contraire de ce que M. de Bonald prétend être prouvé par ce mot.

Au temps de saint Bonaventure, il y avait aussi des lockiens qui abusaient de ces deux principes d'Aristote: 1° que rien n'est dans l'intellect qui n'ait auparavant été dans les sens, et 2o que l'âme humaine n'est, à son origine, qu'une TABLE RASE; il y avait des lockiens qui, se fondant sur ces principes, niaient, comme les matérialistes modernes, toutes CONNAISSANCES, notitias, résultant d'autre cause que des sens, et qui, par conséquent, niaient aussi toutes connaissances provenant de toute révélation religieuse et sociale. En affirmant donc que la doctrine d'Aristote, « Que toute connaissance commence par les sens,» ne doit être entendue que par rapport à tout ce qui se trouve dans l'âme par voie d'abstraction, et non pas pour

toute espèce de CONNAISSANCES: Intelligendum est de illis quæ habent esse in anima per similitudinem abstractam; saint Bonaventure a voulu sauvegarder les connaissances qui nous viennent du dehors, les connaissances qui ne sont pas des ABSTRACTIONS, que notre intellect agissant accomplit sur les fantômes que lui transmettent les sens; mais des vérités positives qu'on nous révèle, les connaissances qui ne sont pas des idées que notre esprit se forme, mais des connaissances qu'il reçoit. Les mots « RESSEMBLANCE ABSTRAITE, similitudo abstracta, sont évidemment synonymes des mots ESPÈCE EXPRIMÉE, species expressa, par lesquels les scolastiques désignaient les idées. Le passage donc de saint Bonaventure ne prouve évidemment que ces cinq choses: 1o que ce grand docteur tenait autant que saint Thomas à ce qu'il y a de vrai dans la doctrine d'Aristote sur les idées, puisqu'il met tant de zèle à défendre cette doctrine de l'abus qu'en faisaient les ennemis de la religion; 2o qu'il distinguait, comme nous le faisons toujours, les IDÉES et les CONNAISSANCES, similitudo abstracta et notitia ; 3° que cette distinction est de la plus haute portée dans les questions des idées; 4° que saint Bonaventure était tout à fait de l'avis d'Aristote et de saint Thomas : que c'est par l'intellect agissant que l'esprit se forme les idées, en abstrayant des conceptions générales des fantômes ou images particulières transmis par nos sens; et 5° enfin, que M. de Bonald s'est étrangement abusé, en concluant, avec tant d'assurance, de ce passage que « les anciens docteurs avaient à cœur, COMME DESCARTES, de défendre les IDÉES INNÉES, » qu'ils ont, au contraire, toujours combattues.

Cette distinction entre les idées et les connaissances est, comme on le voit, bien importante. C'est par cette distinction, et par elle seule, qu'on peut concilier deux doctrines contradictoires la doctrine qui reconnaît à l'esprit humain une faculté souverainement active, et la doctrine de M. de Bonald père soutenant qu'afin de connaître les vérités premières, les vérités qu'il lui importe le plus de connaître, l'homme a besoin d'une révélation du dehors, l'homme a besoin du langage et de la société. Ainsi nous ne nous sommes pas contenté de constater dans les termes les plus clairs cette distinction à l'endroit des Conférences qui a donné lieu à cette polémique (Confér., tom. I,

p. 170); nous l'avons exposée au long dans notre première réponse à M. de Bonald fils (De la vraie philosop., § 28, p. 104). Pour nous, comme pour les scolastiques, l'homme se FORME les idées, et REÇOIT les connaissances. Pour nous, l'esprit humain est en même temps actif et passif, mais sous des rapports différents, et touchant deux différents ordres de choses. Cela est précis, est clair; cela exclut toute ombre de contradiction. M. de Bonald a eu tout cela sous ses yeux : il l'a lu, puisqu'il en détache des mots isolés; et cependant il a eu le triste courage d'écrire les lignes qui suivent :

• Ainsi, ce serait l'homme lui-même qui se donnerait la rai« son, puisqu'il formerait, par sa propre puissance, toutes les « idées qui en constituent les éléments; et il n'aurait naturel« lement rien en lui, puisqu'il recevrait d'une révélation pri« mitive les vérités premières qui constituent l'entendement. « Doctrine vraiment inouïe, et qui découle cependant des pro« pres paroles de l'auteur.» (Pag. 125.) Or, comment doit-on l'appeler, cette manière de discuter par laquelle on feint de confondre ce qu'un auteur a formellement distingué, pour le mettre en contradiction avec lui-même? Nous laissons au lecteur le soin de qualifier ce procédé. Du reste, ce n'est pas la seule fois, comme on va le voir, que M. de Bonald s'est oublié jusqu'à ce point dans cette discussion.

§ VII. Incroyables affirmations de M. de Bonald contre la doctrine scolastique des IDÉES. Saint Augustin lui faisant défaut dans sa défense des IDÉES INNÉES. C'est par cette théorie, et non par la théorie scolastique, qu'il est impossible de se rendre compte de certaines opérations intellectuelles. A l'exemple des philosophes du dix-huitième siècle, M. de Bonald affectant de trouver mystérieux ce qui ne l'est pas. Les plus grands hommes qualifiés par lui d'INSENSÉS.

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'EST ainsi qu'on saura de plus à quoi s'en tenir sur une autre affirmation de M. de Bonald: « Quant à notre ad

«<versaire, dit-il, qui les rejette (les idées innées) et veut les remplacer par une simple vertu innée, JAMAIS il ne pourra

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