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séquence d'un principe, l'on acquiert des idées nouvelles (p. 120), et 3° la révélation, on avait découvert encore une quatrième et même une cinquième source de nos idées : 1o dans l'action de l'esprit humain se formant à lui-même les idées, indépendamment de tout raisonnement, et avant tout raisonnement, et 2° dans l'instruction que tout homme reçoit de la société par la parole. La première de ces deux sources avait été découverte par Aristote, et plus tard signalée et bénie par saint Thomas; la seconde a été indiquée aux philosophes, dans son admirable théorie sur le langage, par l'auteur de la Législation primitive. M. de Bonald a certainement connu l'une de ces sources par nos écrits, puisqu'il les combat, et l'autre par les écrits de son propre père, qu'il doit avoir lus. Qu'il est donc beau de lui entendre dire: On n'a pas découvert, QUE NOUS SACHIONS, une quatrième source de nos idées; tandis qu'il sait bien que deux autres sources des idées avaient été découvertes, l'une depuis longtemps par Aristote, et l'autre, de nos jours, par son propre père !

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Mais voilà quelque chose de plus plaisant encore. Notre contradicteur rappelle ces mots écrits par nous : « M. de Bonald (père) n'a reconnu, lui, non plus que tous les philosophes << sensualistes, aucune faculté propre de l'esprit DANS LA « FORMATION DES IDÉES. » Et là-dessus notre critique reprend : « M. de Bonald a certainement reconnu dans l'homme « la faculté de raisonner, qui est une faculté très-active de « l'intelligence. Or, c'est par le raisonnement que l'on acquiert « des idées nouvelles. Par cela seul qu'on admet une forma« tion d'idées, on reconnaît dans l'esprit une faculté active et « non une pure passivité. (P. 120.) Mais tout le monde sait, à l'exception de notre adversaire à ce qu'il paraît, que, lorsqu'il est question de l'origine des idées, il ne s'agit nullement des idées nouvelles que l'on acquiert par le raisonnement, mais bien des idées premières, des premiers principes par lesquels on raisonne et qui forment les éléments du raisonnement. Or, par rapport à CES idées, la doctrine de M. de Bonald père, d'après le commentaire, un peu embrouillé d'ailleurs, que nous en a donné son fils, consiste à dire que c'est Dieu qui les grave dans l'esprit de l'homme, et que l'homme les reçoit, les subit toutes faites, et ne se les forme pas. Nous n'avons donc rien dit qui ne

fût rigoureusement exact, en affirmant que M. de Bonald n'a reconnu aucune faculté propre de l'esprit DANS LA FORMATION DES IDÉES. Et, afin qu'il n'y eût pas d'équivoque sur notre véritable pensée, nous avions souligné ces derniers mots, tout comme nous le faisons ici. C'est-à-dire que nous n'avons pas dit, ainsi que nous le reproche notre critique, « que M. de Bonald refuse TOUTE FACULTÉ ACTIVE à l'esprit humain, même le raisonnement; » mais bien « qu'il ne reconnaît à l'esprit aucune faculté ACTIVE, par rapport seulement A LA FORMATION DE CES IDÉES » sur lesquelles roule toute la question; ce qui est bien différent; et ce qui ne peut pas être contesté par M. de Bonald fils soutenant que son père a vraiment admis les idées innées, ou les idées que l'homme ne s'est pas formées. (P. 131.) Ce n'est, du reste, qu'un premier essai de la confusion de tous les termes et de toutes les idées que l'on a apportée, comme on va s'en convaincre tout à l'heure encore davantage, dans toute cette discussion.

M. de Bonald père a certainement démontré, mieux que tout autre philosophe ne l'avait fait avant lui, l'impossibilité que la matière puisse penser; et par là il a réfuté victorieusement l'erreur grossière des lockiens: Que les idées sont le résultat immédiat des sensations. Mais, ainsi que vient de nous l'avouer son propre fils, le grand Bonald s'est exprimé d'une manière si obscure sur la vraie origine des idées, qu'on n'a pu deviner au juste quelle était son opinion sur ce grave sujet; c'est dire qu'il n'a pas établi la vraie doctrine qu'il faut suivre. Il est donc clair qu'au moins sur ce sujet, M. de Bonald père, trèshabile à détruire des grossières erreurs, ne l'a pas été à établir la vérité. Où est donc la contradiction évidente que M. de Bonald fils nous reproche (p. 119) au sujet de cette affirmation?

On nous objecte (p. 119) qu'on n'a qu'à lire les Recherches philosophiques de M. de Bonald pour se convaincre que ses doctrines étaient l'antipode de celles du philosophe anglais (Locke). Rien n'est plus vrai; mais seulement par rapport à la thèse de la matière pensante et à la spiritualité de l'âme. Quant à l'origine des idées, l'auteur des Recherches, n'ayant pas connu que c'est l'esprit lui-même qui se les forme, au moyen de la faculté qui s'appelle entendement agissant, a admis que l'homme

les reçoit toutes faites ou de Dicu par une action immédiate, ou de la société par la parole; or, les sensualistes ne disent pas autre chose. Pour ces philosophes aussi, l'esprit humain est passif dans la formation des idées. Ainsi, à la différence près qu'ils admettent l'esprit humain passif vis-à-vis des sens, tandis que M. de Bonald l'admet passif vis-à-vis de Dieu ou vis-à-vis de la société, le principe de la passivité de l'esprit sur la formation des idées est également admis des deux côtés. Et nous n'avons dit que la vérité en affirmant que « M. de Bonald n'a reconnu, non plus que les philosophes sensualistes,» aucune faculté propre « de l'esprit DANS LA FORMATION DES. IDÉES; » et que par là, « la doctrine de M. de Bonald a une affinité secrète avec la doctrine de l'école sensualiste, et que, tout en combattant Locke, il paraît, sans s'en douter certainement, lui avoir donné raison. »

Mais M. de Bonald, nous a-t-on répliqué, a certainement reconnu dans l'homme la faculté de raisonner par laquelle on acquiert des idées nouvelles. » (P. 120.) C'est vrai. Mais Locke n'a pas refusé, lui non plus, cette faculté à l'esprit humain; et cela n'empêche pas que sa doctrine sur l'origine des idées soit le matérialisme. De même M. de Bonald a certainement reconnu dans l'homme la faculté de raisonner; mais cela n'empêche pas qu'il ait admis le même principe que Locke, de la passivité de l'esprit par rapport A L'ORIGINE DES IDÉES. Où est donc ici la contradiction dans laquelle, d'après M. de Bonald, nous serions tombé encore? Où sont les absurdités qu'il nous reproche (p. 121) d'avoir attribuées à son père? Y a-t-il de la contradiction à affirmer qu'un auteur, en combattant son adversaire sur un point de doctrine, lui donne raison sur un autre? Est-ce attribuer des absurdités à un auteur que de répéter ce qu'il a dit, savoir, que l'esprit humain est passif (n'importe vis-à-vis de quelle puissance), par rapport aux idées premières, aux premiers principes constituant la raison humaine?

C'est, au contraire, M. de Bonald fils qui a attribué des absurdités à son illustre père, et qui n'a pas été assez cohérent à lui-même. Le cartésianisme a été condamné par l'Église tout autant que le lockianisme. Dire donc qu'un auteur catholique est cartésien, c'est presque lui faire autant de tort que de le

de

dire lockien. L'une flétrissure vaut bien l'autre aux yeux de l'Église. Or, M. de Bonald, ayant fait un cartésien pur sang son illustre père, ne devait-il pas être au moins indulgent pour l'étranger qui a cru voir dans certaines doctrines de ce grand homme une secrète tendance vers le lockianisme? Un fils qui ne s'est pas montré tout à fait juste en jugeant son père, a-t-il le droit de se plaindre que d'autres l'aient jugé avec sévérité? D'autant plus que ces autres, tout en relevant les tendances dangereuses de la psychologie de M. de Bonald, et en critiquant en lui le philosophe, ont été assez justes pour lui décerner tous les éloges possibles en l'appelant : un catholique sincère, fervent et zélé, un philosophe profond, un sage publiciste, un esprit solide et élevé, un homme doté de toutes les qualités, de tous les talents qui forment le vrai philosophe, un VÉRITABLE GÉNIE. (Confér., tom. I, pag. 263-266.) D'autant plus encore que ces autres ont rendu justice aux intentions de ce grand homme, lui ont tenu compte des services qu'il a rendus à la science et à la religion, ont donné un résumé exact de sa philosophie; tandis que son propre fils, tout en en faisant un cartésien d'esprit et de cœur, lui a contesté le nom même de philosophe. (Voy. De la vraie philosophie, § 4.)

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§ III. Appréciation de l'affirmation de M. de Bonald: « Que, à la suite de saint Augustin, de saint Bonaventure et de « saint Thomas, tout le monde philosophique a partagé la « doctrine des IDÉES INNÉES. » — Explication de deux passages de saint Augustin qu'on oppose à la doctrine de l'INTELLECT AGISSANT se formant les idées. Qu'est-ce que l'INTELLECT AGISSANT pour saint Thomas? Le mot

« se former les idées » rigoureusement exact par rapport à l'esprit humain.

A

u sujet de la même question des idées, nous avions dit que « ce sont les observations sur ce fait incontestable : « Que l'esprit humain se trouve avoir des idées qu'on ne lui a

« pas apprises, qui ont donné lieu à la doctrine des idées in

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nées, que de grands hommes ont adoptées, tels que Pla<< ton, Descartes, Leibnitz. >>

Or, voici là-dessus les savantes remarques que vient de faire M. de Bonald : « Il fallait, dit-il, ajouter aussi : Et des hom« mes tels que saint Augustin, saint Thomas, saint Bonaven« ture, Bossuet, Fénelon, Malebranche, etc. Et ils ont eu rai« son, en effet, de voir des idées innées dans tout ce que « l'homme se trouve avoir sans l'avoir appris. C'est ainsi « qu'on l'a toujours entendu.» (Pag. 121.) Or, que Malebranche ait été partisan de la doctrine des idées innées de Descartes, à la bonne heure! Que Bossuet et Fénelon aient eu l'air de pencher vers la même doctrine, passe encore! Mais Malebranche n'a été que le disciple de Descartes; Bossuet et Fénelon n'ont pas fondé, que nous sachions, de systèmes nouveaux, de nouvelles écoles de philosophie; et, par conséquent, nous n'avons pas dû les nommer parmi les chefs d'école de la doctrine des idées innées. Mais quant à saint Augustin, qui, s'il a quelque part paru adopter les idées innées d'après Platon, les a désavouées, de la manière la plus éclatante, avec toutes les doctrines en masse de Platon (1); quant à saint Bonaventure, aussi bon scolastique que possible, et défendant Aristote au sujet de l'origine des idées; quant à saint Thomas, qui, à chaque page de ses immortels écrits, a combattu la doctrine des idées innées de Platon, et lui a aussi préféré constamment celle d'Aristote; quant à ces trois grands hommes, vouloir les faire passer pour des partisans des idées innées, c'est par trop fort: c'est avoir une confiance aveugle dans la simplicité et l'igno

(1) Voici ce texte de saint Augustin, que nous avions publié dans notre dernière brochure en réponse à M. de Bonald, et que nous reproduisons ici pour aider sa mémoire : « Je suis, à juste raison, désolé, ⚫ disait le grand évêque d'Hippone parvenu à la soixante-treizième an«< née de sa vie ; je suis, à juste raison, désolé d'avoir fait de si grands «< éloges, soit de PLATON, soit des platoniciens, c'est-à-dire des aca• démiciens. C'étaient des HOMMES IMPIES, qu'il ne fallait pas tant << louer, à cause des GRANDES ERREURS dans lesquelles ils sont tom«<bés et contre lesquelles nous sommes dans la nécessité de défendre << la religion chrétienne; ·Laus quoque qua PLATONEM vel platonicos << seu academicos tantum extuli, quantum IMPIOS HOMINES non opor« tuit, mihi displicuit; quorum contra ERRORES MAGNOS defendenda « sit christiana doctrina. » (SANCTUS AUGUSTINUS, Retractationum lib. I, cap. II.)

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