harmonie banale qui se trouve assez constamment dans ses vers, mais qui n'est rien quand elle est toute seule, il est impossible d'y saisir la moindre preuve que l'auteur eût vraiment le goût et les dispositions poétiques. Les pièces de Treneuil ne sont pas d'ailleurs de véritables élégies; ce sont, comme il l'a dit, des poèmes élégiaques, c'est-à-dire, de longues dissertations sur des sujets tristes plutôt que des épanchements d'un sentiment presque instantané, et ce que j'en ai dit prouve qu'il n'y a pas beaucoup à le regretter (1). M. LABOUISSE a chanté l'Amour conjugal. C'est un sujet peu favorable à la poésie, qui vit de mouvement, et ne se soucie guère d'un sentiment aussi calme et aussi constamment le même; Mme de VANNOZ a fait aussi quelques élégies sur divers sujets; toutes ces œuvres ont peu de valeur. M.-J. CHENIER nous a laissé une élégie remarquable par le sujet autant que par le style, c'est la Promenade: dans cette pièce, composée en 1805, peu de temps, par conséquent, après que Bonaparte, non content du titre de consul pris à main armée le 18 brumaire, ni de celui de consul à vic, conféré par le sénatus-consulte du 14 thermidor an x (2 août 1802), s'était fait remettre, sous le nom d'empereur, un pouvoir plus absolu encore et moins contesté, le poète suppose qu'il se promène du côté de Passy, en suivant le cours de la Seine; il rappelle les souvenirs poétiques d'Auteuil, et passant à Saint-Cloud, il s'écrie: (1) La Biographie des Contemporains (mot Treneuil) rapporte que ce poète ayant su que la Gazette de France devait insérer un article qui le concernait, trouva, sans se nommer, un prétexte pour en aller corriger l'épreuve, et comme il n'y vit que des éloges modérés, il eut soin d'en changer fortement les expres sions. Quand on lit aujourd'hui ses poésies, et qu'on en rapproche les éloges qui leur ont été donnés sous la restauration, on croirait que l'auteur a trouvé le moyen de se glisser dans toutes les imprimeries, si le sujet de ses chants n'expliquait suffisamment les éloges qu'il a reçus. Saint-Cloud, je t'aperçois ; j'ai vu loin de tes rives Sous la main du guerrier qu'admira l'Italie : Dix ans d'efforts pour elle ont produit l'esclavage: Martyrs avec la gloire à l'échafaud traînés, Mais les fers ont-ils pu trouver des mains serviles? Ensevelit sa gloire avec la liberté (1). Ce qu'il ajoute en terminant est d'une poésie très-douce, et présente des sentiments tendres qu'on ne trouve pas liabituellement dans l'auteur. Jeune encor, j'ai trop longtemps vécu ; L'espérance lointaine et les vastes pensées (1) Poésies de CHÉNIER. A mon esprit déçu, facile à prévenir, Il y aurait bien des réflexions à faire sur ce profond désespoir qui s'était emparé de Chénier, en le supposant aussi sincère qu'il paraît l'ètre, et qu'aucune arrière-pensée d'égoïsme ou de désappointement personnel ne s'y mèle; il restera toujours certain que celui qui a placé son amour et toutes ses espérances dans une certaine forme de gouvernement, et qui, forcé par les faits de maudire cette forme, ne veut pourtant pas reconnaître qu'une autre soit préférable, celui-là ne peut que gémir éternellement comme notre auteur, sans trouver jamais ni remède ni soulagement au mal dont la cause est dans son esprit. Les derniers vers sont d'une grande douceur de pensées et d'une heureuse harmonie de style. Que je repose en paix sous un gazon rustique, FONTANES a eu une inspiration heureuse dans ses stances à M. de Chateaubriand, après la publication des Martyrs, en 1810. Il a mis dans ses vers, non pas la sensibilité poé tique qu'il n'avait guère, mais au moins une vérité de sentiments, et un charme de diction qu'on ne trouve pas souvent chez lui, que peut-être même on ne trouve que là. Voici les principales de ces stances: Le Tasse errant de ville en ville, Un jour accablé de ses maux, En contemplant l'urne sacrée, Il raconte à l'ombre adorée Il veut fuir l'ingrate Ausonie : Quand touché des pleurs du génie, Paraît le chantre de Didon. Eh! quoi? dit-il, tu fis Armide, Plus heureux je passai ma vie Mais Enée aux champs de Laurente Vint glacer ma main expirante De l'indigence et du naufrage Ont peu compté de jours sereins. Ainsi Virgile console le Tasse en lui citant les poètes qui ont été malheureux, et en lui annonçant à lui l'immortalité; Fontanes passe par une transition naturelle à l'éloge de son ami dont il loue noblement l'ouvrage. Chateaubriand, le sort du Tasse Doit t'instruire et te consoler. Contre toi du peuple critique Du grand peintre de l'Odyssée Et dans ta prose cadencée Les soupirs de Cymodocée Ont la douceur des plus beaux vers. Aux regrets d'Eudore coupable, (1) OEuvres complètes de FONTANES. Paris, 1838, chez Hachette. 2 volumes in-8°; t. I, p. 92. |