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en quelque chose de la manière commune et simple de parler: ce qui ne veut dire autre chose, sinon que les figures sont des manières de parler éloignées de celles qui ne sont pas figurées, et qu'en un mot les figures sont des figures, et ne sont pas ce qui n'est pas figure.

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D'ailleurs, bien loin que les figures soient des manières de parler éloignées de celles qui sont naturelles et ordinaires, il n'y a rien de si naturel, de si ordinaire et de si commun que les figures dans le langage des hommes. M. de Bretteville, après avoir dit que les figures ne sont autre chose que tains tours d'expression et de pensée dont on ne se sert point communément, ajoute « qu'il n'y a rien de « si aisé et de si naturel. J'ai pris souvent plaisir, dit-il, à entendre des paysans s'entretenir avec des figures de discours si variées, si vives et si éloignées du vulgaire, que j'avais honte d'avoir pendant si long-temps étudiél'éloquence, puisque « je voyais en eux une certaine rhétorique de na«<ture beaucoup plus persuasive et plus éloquente « que toutes nos rhétoriques artificielles. »

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En effet, je suis persuadé qu'il se fait plus de figures en un seul jour de marché à la halle, qu'il ne s'en fait en plusieurs jours d'assemblées académiques. Ainsi, bien loin que les figures s'éloignent du langage ordinaire des hommes, ce serait au contraire les façons de parler sans figures, qui s'en éloigneraient, s'il était possible de faire un discours où il n'y eût que des expressions non figurées. Ce sont encore les façons de parler recherchées, les figures déplacées, et tirées de loin, qui s'écartent de la manière commune et simple de parler comme les parures affectées s'éloignent de la manière de s'habiller, qui est en usage parmi les honnêtes gens.

Les Apôtres étaient persécutés, et ils souffraient patiemment les persécutions. Qu'y a-t-il de plus naturel et de moins éloigné du langage ordinaire, que.

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la peinture que fait saint Paul de cette situation et de cette conduite des Apôtres ? (1) « On nous mau« dit, et nous bénissons; on nous persécute, et nous « souffrons la persécution on prononce des blasphèmes contre nous, et nous répondons par des prières. Quoiqu'il y ait, dans ces paroles, de la simplicité, de la naïveté, et qu'elles ne s'éloignent en rien du langage ordinaire; cependant elles contiennent une fort belle figure que l'on appelle antithèse, c'est-à-dire, opposition: maudire est opposé à bénir, persécuter à souffrir, blasphèmes à prières. Il n'y a rien de plus commun que d'adresser la role à ceux à qui l'on parle, et de leur faire des reproches quand on n'est pas content de leur conduite. (2) O nation incrédule et méchante ! s'écrie Jésus-Christ, jusques à quand serai-je avec vous ? jusques à quand aurai-je à vous souffrir? C'est une figure très-simple que l'on appelle apostrophe.

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M. Fléchier, au commencement de son Oraison funèbre pour M. le vicomte de Turenne, voulant donner une idée générale des exploits de son héros, dit « Conduites d'armées, siéges de places, prises « de villes, passages de rivières, attaques hardies << retraites honorables, campemens bien ordonnés, «< combats soutenus, batailles gagnées, ennemis "vaincus par la force, dissipés par l'adresse, lassés « par une sage et noble patience. Où peut-on trou«ver tant et de si puissans exemples, que dans les «< actions d'un tel homme, etc.? »

Il me semble qu'il n'y a rien dans ces paroles qui s'éloigne du langage militaire le plus simple; c'est là cependant une figure que l'on appelle congeries, amas, assemblage. M. Fléchier la termine, en cet

(1) Maledicimur, et benedicimus; persecutionem patiet sustinemus; blasphemamur, et obsecramus. I, Cor. c. 4, v. 12.

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(2) O generatio incredula et perversa, quousquè ero vobiscum! Quousquè patiar vos ! Matth. c. 17, v. 16.

exemple, par une autre figure que l'on appelle interrogation, qui est encore une façon de parler fort triviale dans le langage ordinaire.

Dans l'Andrienne de Térence, Simon, se croyant trompé par son fils, lui dit : Quid ais omnium....? Que dis-tu le plus......? Vous voyez que la proposition n'est point entière, mais le sens fait voir que ce père voulait dire à son fils: Que dis-tu, le plus méchant de tous les hommes ? Ces façons de parler. dans lesquelles il est évident qu'il faut suppléer des mots pour achever d'exprimer une pensée que la vivacité de la passion se contente de faire entendre, sont fort ordinaires dans le langage des hommes. On appelle cette figure ellipse; c'est-à-dire omission.

Il y a, à la vérité, quelques figures qui ne sont usitées que dans le style sublime: telle est la prosopopée, qui consiste à faire parler un mort, une personne absente, ou même les choses inanimées. « Ce << tombeau s'ouvrirait, ces ossemens se rejoindraient « pour me dire: Pourquoi viens-tu mentir pour «< moi, qui ne mentis jamais pour personne ? Laisse«<< moi reposer dans le sein de la vérité, et ne viens «pas troubler ma paix, par la flatterie que j'ai haïe. >> C'est ainsi que M. Fléchier prévient ses auditeurs, et les assure, par cette prosopopée, que la flatterie n'aura point de part dans l'éloge qu'il va faire de M. le duc de Montausier.

Hors un petit nombre de figures semblables, réservées pour le style élevé, les autres se trouvent tous les jours dans le style le plus simple, et dans le langage le plus commun.

Qu'est-ce donc que les figures? Ce mot se prend ici lui-même dans un sens figuré. C'est une métaphore. Figure, dans le sens propre, est la forme extérieure d'un corps. Tous les corps sont étendus; mais outre cette propriété générale d'être étendus, ils ont encore chacun leur figure et leur forme particulière, qui fait que chaque corps paraît à nos

yeux différent d'un autre corps; il en est de même des expressions figurées; elles font d'abord connaître ce qu'on pense; elles ont d'abord cette propriété générale qui convient à toutes les phrases et à tous les assemblages de mots, et qui consiste à signifier quelque chose, en vertu de la construction grammaticale; mais, de plus, les expressions figurées ont encore une modification particulière qui leur est propre; et c'est en vertu de cette modification particulière, que l'on fait une espèce à part de chaque sorte de figure.

L'antithèse, par exemple, est distinguée des autres manières de parler, en ce que, dans cet assemblage de mots qui forment l'antithèse, les mots sont opposés les uns aux autres; ainsi, quand on rencontre des exemples de ces sortes d'oppositions de mots, on les rapporte tous à l'antithèse.

L'apostrophe est différente des autres sortes d'énonciations, parce que ce n n'est que dans l'apostrophe qu'on adresse tout d'un coup la parole à quelque personne présente ou absente, etc.

Ce n'est que dans la prosopopée que l'on fait parler les morts, les absens ou les êtres inanimés : il en est de même des autres figures; elles ont chacune leur caractère particulier, qui les distingue des autres assemblages de mots qui font un sens dans le langage ordinaire des hommes.

Les grammairiens et les rhéteurs ayant fait des observations sur les différentes manières de parler, ils ont fait des classes particulières de ces différentes manières, afin de mettre plus d'ordre et d'arrangement dans leurs réflexions. Les manières de parler dans lesquelles ils n'ont remarqué d'autre propriété que celle de faire connaître ce qu'on pense, sont appelées simplement phrases, expressions, périodes; mais celles qui expriment non-seulement des pensées, mais encore des pensées énoncées d'une manière particulière qui leur donne un caractère

propre; celles-là, dis-je, sont appelées figures parce qu'elles paraissent, pour ainsi dire, sous une forme particulière, et avec ce caractère propre qui les distingue les unes des autres, et de tout ce qui n'est que phrase ou expression.

M. de la Bruyère dit « qu'il y a de certaines «< choses dont la médiocrité est insupportable : la poésie, la musique, la peinture, et le discours «public.» Il n'y a point la de figure; c'est-à-dire, que toute cette phrase ne fait autre chose qu'exprimer la pensée de M. de la Bruyère, sans avoir de plus un de ces tours qui ont un caractère particulier. Mais quand il ajoute : « Quel supplice que d'enten«dre déclamer pompeusement un froid discours, «ou prononcer de médiocres vers avec emphase! C'est la même pensée; mais, de plus, elle est exprimée sous la forme particulière de la surprise, de l'admiration c'est une figure.

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Imaginez-vous pour un moment une multitude de soldats, dont les uns n'ont que l'habit ordinaire qu'ils avaient avant leur engagement, et les autres, l'habit uniforme de leur régiment ceux-ci ont tous un habit qui les distingue, et qui fait connaître de quel régiment ils sont; les uns sont habillés de rouge, les autres de bleu, de blanc, de jaune etc. Il en est de même des assemblages de mots qui composent le discours; un lecteur instruit rapporte un tel mot, une telle phrase à une telle espèce de figure, selon qu'il y reconnaît la forme, le signe, le caractère de cette figure: les phrases et les mots, n'ont la marque d'aucune figure particulière, sont comme les soldats qui n'ont l'habit d'aucun régiment; elles n'ont d'autres modifications que celles qui sont nécessaires pour faire connaître ce qu'on pense,

qui

Il ne faut point s'étonner si les figures, quand elles sont employées à propos, donnent de la vivacité, de la force, ou de la grâce au discours; car, outre la propriété d'exprimer les pensées, comme

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