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à ce même mot des significations empruntées, et y ont attaché un tour différent d'imagination. Ainsi, les mots n'ont pu garder long-temps une simplicité qui les restreignît à un seul usage; c'est ce qui a causé plusieurs irrégularités apparentes dans la Grammaire et dans le régime des mots on n'en peut rendre raison que par la connaissance de leur première origine, et de l'écart, pour ainsi dire, qu'un mot a fait de sa première signification et de son premier usage: ainsi, cette figure mérite une attention particulière, elle règne en quelque sorte sur toutes les autres figures.

Avant que de finir cet article, je crois qu'il n'est pas inutile d'observer que la catachrèse n'est pas toujours de la même espèce.

I. Il y a la catachrèse qui se fait lorsqu'on donne à un mot une signification éloignée, qui n'est qu'une suite de la signification primitive: c'est ainsi que succurrere signifie aider, secourir; petere, attaquer; animadvertere, punir: ce qui peut souvent être rapporté à la Métalepse, dont nous parlerons dans la suite.

II. La seconde espèce de catachrèse n'est proprement qu'une sorte de Métaphore, c'est lorsqu'il y a imitation et comparaison comme quand on dit ferrer d'argent, feuille de papier, etc.

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II.

LA MÉTONY MIE.

Le mot de métonymie signifie transposition ou changement de nom un nom pour un autre.

En ce sens cette figure comprend tous les autres Tropes; car, dans tous les Tropes, un mot n'étant pas pris dans le sens qui lui est propre, il réveille une idée qui pourrait être exprimée par un autre

mot. Nous remarquerons dans la suite ce qui distingue proprement la métonymie des autres Tropes. Les maîtres de l'art restreignent la métonymie aux usages suivans:

I. LA CAUSE POUR L'EFFET; par exemple, vivre de son travail, c'est-à-dire, vivre de ce qu'on gagne en travaillant.

Les Païens regardaient Cérès comme la Déesse qui avait fait sortir le blé de la terre, et qui avait appris aux hommes la manière d'en faire du pain : ils croyaient que Bacchus était le dieu qui avait trouvé l'usage du vin; ainsi ils donnaient au blé le nom de Cérès, et au vin le nom de Bacchus; on en trouve un grand nombre d'exemples dans les poëtes: Virgile a dit, un vieux Bacchus, pour dire du vin vieux: implentur veteris Bacchi. Madame des Houlières a fait une balade dont le refrein est :

L'Amour languit sans Bacchus et Cérès.

C'est la traduction de ce passage de Térence, sine Cerere et Libero friget Venus. C'est-à-dire qu'on ne songe guère à faire l'amour quand on n'a pas de quoi vivre. Virgile a dit :

Tùm Cererem corruptam undis cereliaque arma,
Expediunt fessi rerum.

Scarron, dans sa traduction burlesque, se sert d'abord de la même figure; mais voyant bien que cette façon de parler ne serait point entendue en notre langue, il en ajoute l'explication :

Lors fut des vaisseaux descendue
Toute la Cérès corrompue ;
En langage un peu plus humain,
C'est ce de quoi l'on fait du pain.

Ovide a dit qu'une lampe prête à s'éteindre se rallume quand on y verse Pállas (1), c'est-à-dire, de

(1) Cujus ab alloquiis anima hæc moribunda revixit, Ut vigil infusá Pallade flamma solet.

Ovide, Trist. liv. 1v, El. 5, v. 4.

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l'huile : ce fut Pallas, selon la Fable, qui la première fit sortir l'olivier de la terre, et enseigna aux hommes l'art de faire de l'huile; ainsi, Pallas se prend pour l'huile, comme Bacchus pour le vin.

On rapporte à la même espèce de figure les façons de parler, où le nom des dieux du Paganisme se prend pour la chose à quoi ils présidaient, quoiqu'ils n'en fussent pas les inventeurs. Jupiter se prend pour l'air, Vulcain pour le feu: ainsi, pour dire, ou vas-tu avec ta lanterne ? Plaute a dit : Quò ambulas tu, qui Vulcanum in cornu conclusum geris? Où vas-tu, toi qui portes Vulcain enfermé dans une corne? Et Virgile, furit Vulcanus; et encore au premier livre des Géorgiques, voulant parler du vin cuit ou du résiné que fait une ménagère de la campagne, il dit qu'elle se sert de Vulcain pour dissiper l'humidité du vin doux :

Aut dulcis musti Vulcano decoquit humorem.

Neptune se prend pour la mer; Mars, le dieu de la guerre, se prend souvent pour la guerre même, ou pour la fortune de la guerre, , pour l'évènement des combats, l'ardeur, l'avantage des combattans. Les historiens disent souvent qu'on a combattu avec un Mars égal, æquo Marte pugnatum est, c'està-dire, avec un avantage égal: ancipite Marte, avec un succès douteux: vario Marte, quand l'avantage est tantôt d'un côté, et tantôt d'un autre,

de

C'est encore prendre la cause pour l'effet que dire d'un général ce qui, à la lettre, ne doit être entendu que de son armée; il en est de même lorsqu'on donne le nom de l'auteur à ses ouvrages: Il a lu Cicéron, Horace, Virgile; c'est-à-dire, les ouvrages de Cicéron, etc.

Jésus-Christ lui-même s'est servi de la métonymie en ce sens, lorsqu'il a dit, en parlant des Juifs: Ils ont Moïse et les Prophètes; c'est-à-dire, ils ont les livres de Moïse et ceux des Prophètes.

On donne souvent le nom de l'ouvrier à l'ouvrage: on dit d'un drap que c'est un Van-Robais, un Rousseau, un Pagnon, c'est-à-dire, un drap de la manufacture de Van-Robais, ou de celle de Rousseau, etc. C'est ainsi qu'on donne le nom du peintre au tableau: on dit j'ai vu un beau Rembrant, pour dire un beau tableau fait par le Rembrant. On dit d'un curieux en estampes, qu'il a un grand nombre de Callots, c'est-à-dire, un grand nombre d'estampes gravées par Callot.

On trouve souvent dans l'Écriture-Sainte Jacob, Israël, Juda, qui sont des noms de patriarches, pris dans un sens étendu pour marquer tout le peuple juif. M. Fléchier, parlant du sage et vaillant Machabée, auquel il compare M. de Turenne, a dit : « Cet homme qui réjouissait Jacob par ses vertus et par ses exploits. » Jacob, c'est-à-dire, le peuple juif.

Au lieu du nom de l'effet, on se sert souvent du nom de la cause instrumentale qui sert à le produire ainsi, pour dire que quelqu'un écrit bien, c'est-à-dire, qu'il forme bien les caractères de l'écriture, on dit qu'il a une belle main.

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La plume est aussi une cause instrumentale de l'écriture, et par conséquent de la composition; ainsi, plume se dit par métonymie, de la manière de former les caractères de l'écriture, et de la manière de composer.

Plume se prend aussi pour l'auteur même : C'est une bonne plume, c'est-à-dire, c'est un auteur qui écrit bien c'est une de nos meilleures plumes, c'est-à-dire, un de nos meilleurs auteurs.

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Style, signifie aussi par figure la manière d'exprimer les pensées.

Les anciens avaient deux manières de former les caractères de l'écriture; l'une était pingendo, en peignant les lettres ou sur des feuilles d'arbres, ou sur des peaux préparées, ou sur la petite mem

brane intérieure de l'écorce de certains arbres : cette membrane s'appelle en latin liber, d'où vient livre; ou sur de petites tablettes faites de l'arbrisseau papirus, ou sur de la toile, etc. Ils écrivaient alors avec de petits roseaux, et dans la suite ils se servirent aussi de plumes comme nous.

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L'autre manière d'écrire des anciens était incidendo, en gravant les lettres sur des lames de plomb ou de cuivre, ou bien sur des tablettes de bois, enduites de cire. Or, pour graver les lettres sur ces lames, ou sur ces tablettes, ils se servaient d'un poinçon, qui était pointu par un bout, et aplati par l'autre la pointe servait à graver, et l'extrémité aplatie servait à effacer; et c'est pour cela qu'Horáce a dit stylum vertere, tourner le style, pour dire, effacer, corriger, retoucher à un ouvrage. Ge poinçon s'appelait stylus, style; tel est le sens propre de ce mot dans le sens figuré, il signifie la manière d'exprimer les pensées. C'est en ce sens que l'on dit, le style sublime, le style simple, le style médiocre, le style soutenu, le style grave, le style comique, le style poétique, le style de la conversation, etc.

Outre toutes les manières différentes d'exprimer les pensées, manières qui doivent convenir aux sujets dont on parle, et que pour cela on appelle style de convenance, il y a encore le style personnel : c'est la manière particulière dont chacun exprime ses pensées. On dit d'un auteur que son style est clair et facile, ou, au contraire, que son style est obscur, embarrassé, etc. On reconnaît un auteur à son style, c'est-à-dire, à sa manière d'écrire, comme on reconnaît un homme à sa voix, à ses gestes et à sa démarche.

Style, se prend encore pour les différentes manières de faire les procédures selon les différens usages établis en chaque juridiction : le style du Palais, le style du Conseil, le style des Notaires, etc.

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