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Cette analogie est le rapport des sons, des mots, des terminaisons, des conjugaisons et des déclinaisons de ces mots, à certaines formes adoptées par une nation, et concentrées dans son goût par l'habitude de la langue et de l'oreille, c'est-à-dire, des organes qui produisent la parole ou qui la re

çoivent.

Ainsi, l'analogie en français aime à mettre un e muet à la place de l'a final des Latins, ala, aile; porta, porte. Elle change al en au, falsus, faux; altus, haut au en o, aurum, or; auris, oreille. Elle change b en vliber, livre; caballus, cheval; habere, avoir; et quelquefois le p: lepus, lièvre; pauper, pauvre. Elle met souvent un e avant l's initial des Latins, spiritus, esprit; spina, épine; spes, espoir. Elle ajoute l'n nasal à la fin des noms substantifs en o, mansio, maison; natio, nation; cantio, chanson. Elle s'approprie certaines finales; de pulvis elle fait poudre; de molere, moudre; de tener, tendre; de numerus, nombre; de marmor, marbre. Elle établit une forme pour les négatifs infini, incertain, déplaisant, détruire; pour les réduplicatifs, reprendre, retomber; pour les réciproques, s'entrebattre, s'entraimer, etc. Telle est l'analogie concernant la formation des mots. Elle est plus sensible encore dans les déclinaisons des noms, et dans les conjugaisons des verbes; parce que les déclinaisons et les conjugaisons ne sont ellesmêmes que des modèles, des espèces de moules, où les noms et les verbes prennent une configuration particulière, qui modifie leur signification en y ajoutant les nombres, les genres, les cas, les temps, les modes, les personnes: cela n'a pas besoin de preuve ni d'exemples.

D'où je conclus que l'analogie d'une langue considérée dans sa totalité, est, comme je viens de dire, le rapport des sons, des mots, des terminaisons, des conjugaisons, à certaines formes adoptées primiti

vement par une nation, et concentrées dans son goût par l'habitude des organes qui produisent ou qui reçoivent la parole. C'est ce rapport qui fait qu'on dit d'un nom propre même, aussitôt qu'on l'entend, ce nom est flamand, anglais, allemand, polonais, italien; parce qu'on y sent l'analogie.

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L'analogie en fait de la langue est donc l'habitude de la langue et de l'oreille : le génie, au contraire, est l'habitude de l'esprit, qui s'est accoutumé à donner ou à recevoir les idées dans tel ordre plu-tôt que dans tel autre. En général, notre âme, dans toutes ses opérations, aime à être conduite par des rapports, parce que les rapports la soulagent, et la mènent sans effort d'un terme à un autre. Quand il y a des rapports, il semble qu'elle glisse d'une idée à une autre idée. Quand il n'y en a point, il lui semble qu'elle n'y arrive que par saut. C'est pourquoi toute langue formée a eu son analogie, qui la détermine en ce qui concerne la forme des mots, et son génie, qui la guide dans ce qui concerne l'arrangement de ces mêmes mots.

Or, ce génie ne peut être que dans le caractère des hommes qui parlent une même langue, ou dans le caractère de la langue qui est parlée. Voyons d'abord ce qu'il peut y en avoir dans la nature des hommes.

Les hommes, en ce qui leur est essentiel, sont les mêmes dans tous les lieux et dans tous les temps: ils ont tous une faculté qui pense, et une autre qui sent; et ils communiquent à leurs pareils les mouvemens intérieurs de ces facultés, par le motif du besoin. Par conséquent, ils doivent tous se porter à faire cette communication par la voie la plus courte et la plus sûre; il n'en est point d'autre pour le besoin. Dès que c'est lui qui ordonne et qui parle, il va d'abord au fait: nulle distinction, ni pour les pays, ni pour les temps : c'est un ressort placé dans

toutes les âmes, qui les agite et les secoue toutes de la même manière. Si l'on suppose qu'il y ait une machine au dehors qui doive en représenter les mouvemens, toutes les fois que les mêmes objets agiront sur le ressort interne, il en résultera, sinon d'aussi vives, au moins autant d'expressions dans cette machine extérieure; et elles y seront constamment arrangées selon l'ordre des secousses du ressort qui est au dedans. Il n'est pas nécessaire de dire ici que cette machine extérieure est la parole. Tel est le génie des langues considérées en général. Il est certain que si l'on considère la parole en général, avant que de la diviser en langue grecque, latine, française, etc., et dans l'idée de sa perfection possible, on se la représentera suivant pas à pas l'esprit et le cœur; rendant à la lettre la pensée avec ses circonstances, la rendant avec son degré de lumière et de feu, avec ses parties, selon leur configuration, leurs liaisons, leurs rapports, etc.; ce sera un portrait où notre âme se verra hors d'ellemême, toute entière, telle qu'elle est, dans toutes ses positions, ses modifications, ses mouvemens.

Mais si on la divise, et qu'on la considère, non comme on peut la concevoir en général, mais comme elle est réellement dans ces espèces existantes, alors on peut envisager chaque espèce par deux côtés ; par le génie particulier des peuples, selon les climats qu'ils habitent; et par la forme et la constitution particulière des sons qui constituent ce qu'on appelle une langue, par opposition à une autre langue.

Il semble que, si l'on considère les langues du côté du génie particulier des peuples, ce sera encore le même ordre des idées, et par conséquent des expressions: toute la différence qu'on pourra y mettre, se tiendra du côté du plus ou du moins de vitesse ou de force. Les peuples qui auront plus de vivacité et de feu, pourront exprimer moins de choses,

et en laisser plus à deviner à leurs auditeurs; parce que, se contentant des principales idées qu'ils exprimeront fortement, il négligeront les autres, qui pourraient les arrêter dans leur course, et les empêcher d'arriver si tôt. Ceux qui auront plus de flegme, ou plus de lenteur, prendront tout le temps nécessaire pour laisser sortir tour-à-tour toutes leurs idées, principales et accessoires, avec toutes leurs circonstances: car jusqu'ici nous supposons que la langue se prête à toutes les pensées, à leurs parties, à leurs manières d'être : or on ne voit point deux marches différentes; c'est la même, soit dans la langue idéale, soit dans la langue réelle, considérée seulement du côté du génie particulier des peuples. Et il faut bien que ce soit la même, puisqu'il y a de bonnes raisons pour qu'elle le soit, et qu'il 'il n'y en a aucune pour qu'elle ne le soit C'est le seul besoin de celui qui parle, qui règle sa langue et sa construction; et ce maître a partout et constamment la même méthode, dont le grand et l'unique principe est l'intérêt.

pas.

C'est donc ailleurs qu'il faut aller chercher la cause des différens arrangemens des mots. On la trouvera dans la seconde manière d'envisager les langues particulières.

Les langues particulières qui existent sont toutes très-éloignées de la perfection possible idéale. Elles ont toutes le même but, qui est de placer avec clarté et justesse ( ces deux qualités comprennent toute la perfection du langage) dans les esprits de ceux qui écoutent, ce qui est dans l'âme de celui qui parle. Mais il y en a qui ont moins de couleurs que les autres, ou qui les ont moins fortes, ou qui les ont moins faciles à broyer, à fondre, pour produire les nuances ce qui doit fonder des différences entre elles.

Toutes les langues consistent dans les sons. Ces sons étant figurés de telle ou telle manière, appar

tiennent à une langue ou à une autre par une certaine analogie qui les réunit, et en forme un corps qui constitue la langue dans son espèce: nous venons de le dire. Or, ces sons figurés sont multipliés plus ou moins; ce qui fait abondance ou pauvreté ils ont plus ou moins de force; ce qui fait énergie ou faiblesse : ils ont plus ou moins de flexibilité; ce qui produit la douceur, la clarté, la justesse.

Nous tenons la source des différences de constructions. C'est là ce qui forme le génie particulier des langues par rapport à l'arrangement des mots, et qui les oblige de s'écarter de la nature, plus ou moins, selon qu'elles y sont plus ou moins forcées par la disette, ou par la faiblesse, ou par l'inflexibilité. Et c'est là que nous trouverons là raison de la différence qu'il y a entre la construction française et la latine.

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CHAPITRE II.

Du Génie particulier de la Langue Française.

'ENTENDS dire tous les jours, et je lis dans tous les livres, que les Latins avaient beaucoup plus d'avantage que nous. Nous sommes obligés, dit-on, de suivre toujours le même arrangement, nominátif, verbe, régime: c'est une marche éternelle qui ne varie jamais. Les Latins, au contraire, maîtres de leur construction, placent leurs mots à leur gré, sans être asservis à aucune règle. C'est tantôt un verbe qui se montre à la tête, tantôt un adjectif, quelquefois un adverbe, selon qu'il leur plaît, sans autre loi que celle de l'harmonie.

D'autres ont pris la chose d'une autre manière, qui semblerait plus juste, si elle était fondée en

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