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de la seule langue qu'il connaissait, l'empêcha de reconnaître ce qu'il avait trouvé. Je continue de traduire :

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«Il m'avait donc paru que la nature était un

guide qu'il fallait suivre en fait de construction «oratoire, et d'abord, que les noms devaient pré«< céder les verbes, parce que le nom exprimant « la chose, et le verbe ce qui se fait de la chose, « il est dans l'ordre de la nature que l'idée de la « chose soit avant l'idée de la modification de la chose; ainsi Homère a dit :

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« Virum mihi cane, Musa, versutum.

« Iram cane, Dea.

« Sol exiliit undam linquens.

« Dans ces trois exemples, les noms sont avant « les verbes; mais ce principe n'est pas juste, parce qu'il ne s'étend pas à tout, et qu'on trouve dans « les poëtes une infinité d'exemples du contraire. « Audi me, giochi Jovis filia, Pallas,

« Dicite jam, Musœ.

«Ici les verbes sont avant les noms, et la cons«<truction n'est pas moins agréable.

«J'avais cru que les verbes devaient précéder « les adverbes, parce que l'ordre de la nature semble « demander que ce qui agit ou reçoit l'action, passe <«< avant la manière d'agir ou de recevoir l'action, << laquelle manière s'exprime par les adverbes. Il « y en a des exemples:

« Fecit magná vi.

« Cecidit retrò.

«Dans ces exemples, l'adverbe est après le verbe. » Mais il y a dans le même poëte des exemples d'un << arrangement tout différent.

«Racematim volitant.

« Hodiè virum ad lucem partuúm Dea Lucina educet.

« Je croyais encore qu'il fallait suivre, dans l'ex<< position, l'ordre du temps où chaque partie d'une : << action s'est faite.

« Retrò flexerunt cervicem, et jugularunt, et excoriarunt. « Stridit arcus, nervus magnum insonuit, exiliit sagitta.

« Très-bien, dira-t-on. Mais il y a beaucoup de << vers où l'on suit un ordre tout différent, sans que << la diction en ait moins de grâce.

« Percussit manibus sublatis stipite querno.

« Il faut lever le bras avant que de frapper; ici << on frappe avant que d'avoir levé le bras:

((

« Percussit propè astans.

« Il fallait être à portée avant que de frapper. «Je voulais encore que les substantifs fussent << avant les adjectifs, les noms appellatifs avant les « substantifs et les pronoms, les temps présens avant les autres temps, les modes indicatifs avant les modes indéterminés; mais toutes ces règles se « sont trouvées contredites par la pratique, c'est « pourquoi j'y ai renoncé; et si j'en parle aujour« d'hui, c'est moins pour me faire un mérite de << mes recherches, que pour mettre en garde ceux qui pourraient se laisser séduire par quelque ap«parence de vérité, ou par l'autorité de quelques« uns de ceux qui ont écrit sur cette matière. »

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Je dois dire en passant qu'il est singulier qu'un esprit aussi judicieux que Denys d'Halicarnasse, ait. pris, dans un cas tel que celui-ci, ses exemples dans des poëtes, à qui la contrainte du vers peut quelquefois prescrire d'autre arrangement des mots que celui de la nature. Il convient qu'on avait écrit sur cette matière, sinon avant lui, du moins de son temps; qu'on avait même trouvé quelque lueur de

vraisemblance dans des principes (1) qui avaient semblé fondés sur la nature; qu'il y avait quelques exemples, et même des autorités capables de séduire ceux qui n'auraient pas été sur leurs gardes. Mais achevons.

les

« Je reviens donc à mon objet, et je dis que anciens, poëtes, historiens, philosophes, orateurs, » ont donné la plus grande attention à cette partie » de l'élocution. Ils ne plaçaient point au hasard « ni les mots, ni les membres, ni les périodes. Ils >> avaient un certain art, des règles, dont je vais « tâcher de donner au moins les plus nécessaires. « Or, ces règles. »>

Je ne traduirai point la section VI, où sont renfermées ces prétendues règles, qui ne sont rien moins que suffisantes pour rendre raison de la position des mots et de celle des périodes et de leurs membres. Ce sera assez de dire que l'auteur les réduit toutes à l'instinct de l'oreille, et qu'il ne considère les mots que comme le bois, les pierres et les autres matériaux qui entrent dans la bâtisse d'une maison; matériaux qu'il faut tailler, allonger, raccourcir pour la construction de l'édificé. Il semble même que c'est cette comparaison qui l'a ébloui, et qui l'a empêché de voir que les mots sont non-seulement le corps et le matériel du discours, comme les pierres le sont d'une maison; mais qu'ils contiennent aussi les idées et les passions dont ils sont les signes; que le plan de l'architecte y est renferfermé, aussi-bien que le matériel de la main d'œuvre. Or, les passions ne peuvent certainement

(1) Ces principes étaient apparemment ceux-là même que Denys d'Halicarnasse a essayé de vérifier par les textes d'Homère. Mais ce ne sont pas ceux que nous avons tâché d'établir. Nous rappelons tout à l'intérêt de celui qui parle, à son point de vue. Ceux qui sont réfutés par le Rhéteur, allaient chercher leur prétendue règle dans l'ordre métaphysique des idées.

être indifférentes à l'arrangement des mots qui les représentent. Si Denys d'Halicarnasse n'a pas tiré cette conséquence, il a du moins établi le principe d'où elle sort. Il dit formellement dans la section XV, « que nous n'employons point la même << construction dans la colère et dans la joie, quand <«< nous sommes abattus par la douleur, ou saisis « par la crainte; qu'autre est la construction dans « le sang-froid, autre dans la passion. Il ajoute « qu'on doit étudier les gestes de ceux qui parlent " ou qui racontent avec intérêt; et qu'on doit imiter

dans l'arrangement des mots l'ordre et l'arran«gement des gestes. » Ainsi parle Denys d'Halicarnasse. Et ce qui est singulier, expliquant dans le même instant les vers d'Homère, il se contente de nous y faire remarquer les beautés harmoniques et musicales, qui peignent l'effort de Sysyphe; c'està-dire, celles qui étaient le moins de son sujet, et il ne dit pas un mot de l'effet infiniment plus pittoresque de la construction ou de l'arrangement que la passion doit donner et qu'elle donne effectivement aux idées.

Il savait pourtant que les mots peuvent être considérés comme sons ou comme signes. Comme sons, il n'est pas douteux qu'ils ne soient susceptibles d'un arrangement musical, dont l'oreille seule peut être juge; mais comme signes, soit de nos idées, soit de nos sentimens, pouvait-il douter qu'ils ne le fussent d'un arrangement oratoire, qui rende l'idée plus ou moins frappante, et le sentiment plus ou moins vif? Il aurait donc fallu chercher la raison

de cet arrangement, tantôt dans la marche des idées, tantôt dans celle des passions, et tantôt dans la sensibilité de l'oreille, et ne pas se borner à une de ces causes exclusivement aux autres; cela paraît évident. J'ose dire que si Denys d'Halicarnasse eût suivi ce système, et recouru successivement à l'une

de ces trois causes, il y eût trouvé toutes les règles dont il sentait l'existence et la nécessité, et expliqué parfaitement tous les exemples qui lui ont résisté. J'invite le lecteur à l'essayer, et à y faire l'application du principe que nous proposons. Il nous a semblé que ce peu de mots suffisait ici, après tout ce qui a été dit ci-devant sur cette matière.

SECONDE SECTION.

De l'arrangement naturel des mots par rapport à l'oreille.

L'OREILLE

OREILLE a trois points à juger dans l'élocution oratoire : 1.o Les sons qu'on lui présente comme une suite ou un courant d'impression qu'elle reçoit. 2. Les interruptions qu'on met dans cette suite, comme des points de repos dont elle peut avoir besoin aussi-bien que l'organe de celui qui parle. 3.o L'accord de ces sons et de ces repos avec l'idée exprimée et le sujet traité : trois choses que nous désignons par trois mots, qui sont la mélodie, le nombre, et l'harmonie oratoire.

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CHAPITRE PREMIER.

Du choix et de la suite des sons,

oratoire.

ou de la mélodie

Les anciens rhéteurs sont entrés sur cette matière dans les plus petits détails. Ils ont été jusqu'à compter les lettres, les syllabes, mesurer les sons, calculer le temps qu'ils mettaient à les prononcer. Il

et

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