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la vigne; et ç'a été ensuite par figure que les Latins ont donné ce nom aux perles etaux pierres précieuses. En effet, c'est toujours le plus commun et le plus connu qui est le propre, et qui se prête ensuite au sens figuré. Les laboureurs du pays Latin connaissaient les bourgeons des vignes et des arbres, et leur avaient donné un nom avant que d'avoir vu des perles et des pierres précieuses: mais comme on donna ensuite, par figure et par imitation, ce même nom aux perles et aux pierres précieuses, et qu'apparemment Cicéron, Quintilien et M. Rollin ont vu plus de perles que de bourgeons de vignes, ils ont cru que le nom de ce qui leur était plus connu était le nom propre, et que le figuré était celui de ce qu'ils connaissaient moins.

III.

Ce qu'on doit observer, et ce qu'on doit éviter dans l'usage des Tropes, et pourquoi ils plaisent.

Les Tropes qui ne produisent pas les effets que je viens de remarquer sont défectueux. Ils doivent surtout être clairs, faciles, se présenter naturellement, et n'être mis en œuvre qu'en temps et lieu. Il n'y a rien de plus ridicule en tout genre, que l'affectation et le défaut de convenance. Molière, dans ses Précieuses, nous fournit un grand nombre d'exemples de ces expressions recherchées et déplacées. La convenance demande qu'on dise simplement à un laquais, donnez des siéges, sans aller

quoque Perottus, cujus hæc sunt verba : « Lapillos gem« mas vocavêre à similitudíne gemmarum quas in vitibus a sive arboribus cernimus; gemmæ enim propriè sunt pupuli quos primò vites emittunt ; et gemmare vites dicun« tur, dùm gemmas emittunt » Martinii Lexicon, voce

«

gemma.

Gemma oculus vitis propriè. 2. Gemma deindè generale nomen est lapidum pretiosorum. Bas. Fabri Thesaur voce

gemma.

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chercher le détour de lui dire : Voiturez-nous ici les commodités de la conversation. De plus, les idées accessoires ne jouent point, si j'ose parler ainsi, dans le langage des Précieuses de Molière, ou ne jouent point comme elles jouent dans l'imagination d'un homme sensé : Le conseiller des graces, pour dire le miroir: contentez l'envie qu'a ce fauteuil de vous embrasser, pour dire asseyez-vous.

Toutes ces expressions, tirées de loin et hors de leur place, marquent une trop grande contention d'esprit, et font sentir toute la peine qu'on a eue à les rechercher; elles ne sont pas, s'il est permis de parler ainsi, à l'unisson du bon sens : je veux dire qu'elles sont trop éloignées de la manière de penser, de ceux qui ont l'esprit droit et juste, et qui sentent les convenances. Ceux qui cherchent trop l'ornement dans le discours, tombent souvent dans ce défaut sans s'en apercevoir; ils se savent bon gré d'une expression qui leur paraît brillante et qui leur a coûté, et se persuadent que les autres en doivent être aussi satisfaits qu'ils le sont eux-mêmes.

On ne doit donc se servir de Tropes que lorsqu'ils se présentent naturellement à l'esprit; qu'ils sont tirés du sujet; que les idées accessoires les font naître; ou que les bienséances les inspirent ils plaisent alors, mais il ne faut point les aller chercher dans la vue de plaire.

Je ne crois donc pas que ces sortes de figures plaisent extremement, par l'ingénieuse hardiesse qu'il y a d'aller au loin chercher des expressions étrangères à la place des naturelles, qui sont sous la main, si l'on peut parler ainsi. Quoique ce soit une pensée de Cicéron, adoptée par M. Rollin, je crois plutôt que les expressions figurées donnent de la grâce au discours, parce que, comme ces deux grands hommes le remarquent, elles donnent corps, , pour ainsi dire, aux choses les plus spirituelles, et les font presque toucher au doigt et à

du

l'œil par les images qu'elles en tracent à l'imagination; en un mot, par les idées sensibles et accessoires.

IV.

Suite des réflexions générales sur le Sens figuré.

I. Il n'y a peut-être point de mot qui ne se prenne en quelque sens figuré, c'est-à-dire, éloigné de sa signification propre et primitive.

Les mots les plus communs et qui reviennent sou vent dans le discours, sont ceux qui sont pris le plus fréquemment dans un sens figuré, et qui ont un plus grand nombre de ces sortes de sens tels sont, corps, áme, téte, couleur, avoir, faire, etc.

:

II. Un mot ne conserve pas dans la traduction tous les sens figurés qu'il a dans la langue originale : chaque langue a des expressions figurées qui lui sont particulières, soit parce que ces expressions sont tirées de certains usages établis dans un pays, et inconnus dans un autre, soit par quelque autre raison purement arbitraire. Les différens sens figurés du mot voix, que nous avons remarqués, ne sont pas tous en usage en latin; on ne dit point vox pour suffrage. Nous disons porter envie, ce qui ne serait pas entendu en latin par ferre invidiam: au contraire, morem gerere alicui, est une façon de parler latine, qui ne serait pas entendue en français, si on se contentait de la rendre mot à mot, et que traduisit porter la coutume à quelqu'un, au lieu de dire, faire voir à quelqu'un qu'on se conforme à son goût, à sa manière de vivre, être complaisant, lui obéir. Il en est de même de vicem gerere, verba dare, et d'un grand nombre d'autres façons de parler que j'ai remarquées ailleurs, et que la pratique de la version interlinéaire apprendra.

l'on

Ainsi, quand il s'agit de traduire en une autre langue quelque expression figurée, le traducteur trouve souvent que sa langue n'adopte point la

figure de la langue originale; alors il doit avoir recours à quelque autre expression figurée de sa propre langue, qui réponde, s'il est possible, à celle de son auteur.

Le but dé ces sortes de traductions n'est que de faire entendre la pensée d'un auteur: ainsi, on doit alors s'attacher à la pensée et non à la lettre, et parler comme l'auteur lui-même aurait parlé, si la langue dans laquelle on le traduit avait été sa langue naturelle. Mais quand il s'agit de faire entendre une langue étrangère, on doit alors traduire littéralement, afin de faire comprendre le tour original de cette langue.

V.

Observations sur les Dictionnaires latins-français.

Nos Dictionnaires n'ont point assez remarqué ces différences; je veux dire, les différens sens que l'on donne par figure à un même mot dans une même langue; et les différentes significations que celui qui traduit est obligé de donner à un même mot ou à une même expression, pour faire entendre la pensée de son auteur. Ce sont deux idées fort différentes que nos Dictionnaires confondent; ce qui les rend moins utiles et souvent nuisibles aux commençans. Je vais faire entendre ma pensée par cet exemple. Porter, se rend en latin, dans le sens propre, par ferre; mais quand nous disons porter envie, porter la parole, se porter bien ou mal, etc., on ne se sert plus de ferre pour rendre ces façons de parler en fatin: la langue latine a ses expressions particulières pour les exprimer; porter ou ferre ne sont plus alors dans l'imagination de celui qui parle latin: ainsi, quand on considère porter, tout seul et séparé des autres mots qui lui donnent un sens figuré, on manquerait d'exactitude dans les Dictionnaires français-latins, si l'on disait d'abord

LES TROPES.

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simplement que porter se rend en latin par ferre, invidere, alloqui, valere, etc.

Pourquoi donc tombe-t-on dans la même faute dans les Dictionnaires latins-français, quand il s'agit de traduire un mot latin? Pourquoi joint-on à la signification propre d'un mot quelque autre signification figurée qu'il n'a jamais tout seul en latin. La Figure n'est que dans notre français, parce que nous nous servons d'une autre image, et, par conséquent, de mots tout différens; par exemple, mittere signifie, dit-on, envoyer, retenir, arrêter, écrire : : n'est-ce pas comme si l'on disait, dans le Dictionnaire français-latin, que porter se rend en latin par ferre, invidere, alloqui, valere? Jamais mittere n'a eu la signification de retenir, d'arréter, d'écrire, dans l'imagination d'un homme qui parlait latin. Quand Térence a dit : Lacrymas mitte, et missam iram faciet, mittere avait toujours dans son esprit la signification d'envoyer: envoyez loin de vous vos larmes, votre colère, comme on renvoie tout ce dont on veut se défaire. Que si, en ces occasions, nous disons plutôt retenez vos larmes, retenez votre colère, c'est que, pour exprimer ce sens, nous avons recours à une métaphore prise de l'action que l'on fait quand on retient un cheval avec le frein, ou quand on empêche qu'une chose ne tombe ou ne s'échappe. Ainsi, il faut toujours distinguer les deux sortes de traductions dont j'ai parlé ailleurs. Quand on ne traduit que pour faire entendre la pensée d'un auteur, on doit rendre, s'il est possible, figure par figure, sans s'attacher à traduire littéralement; mais quand il s'agit de donner l'intelligence d'une langue, ce qui est le but des Dictionnaires, on doit traduire littéralement, afin de faire entendre le sens figuré qui est en usage en cette langue à l'égard d'un certain mot; autrement, c'est tout confondre les Dictionnaires nous diront que aqua signifie le feu, de la même ma

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