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par le nombre des articulations de la voix. Une langue sera véritablement riche, si elle a des termes pour distinguer non-seulement les idées principales, mais encore leurs différences, leurs délicatesses, le plus et le moins d'énergie, d'étendue, de précision, de simplicité et de composition.

4. Il y a des occasions où il est indifférent de se servir d'un de ces mots qu'on appelle synonymes, plutôt que d'un autre; mais aussi il y a des оссаsions où il est beaucoup mieux de faire un choix : il y a donc de la différence entre ces mots; ils ne sont donc pas exactement synonymes.

Lorsqu'il ne s'agit que de faire entendre l'idée commune, sans y joindre ou sans en exclure les idées accessoires, on peut employer indistinctement l'un ou l'autre de ces mots, puisqu'ils sont tous deux propres à exprimer ce qu'on veut faire entendre; mais cela n'empêche pas que chacun d'eux n'ait une force particulière qui les distingue de l'autre, et à laquelle il faut avoir égard selon le plus ou le moins de précision que demande ce que l'on veut exprimer.

Ce choix est un effet de la finesse de l'esprit, et suppose une grande connaissance de la langue.

FIN DU TRAITÉ DES TROPES.

SECONDE PARTIE.

DE LA CONSTRUCTION

ORATOIRE.

'OBJET de ce Traité est plus important qu'il ne le paraît au premier aspect. L'arrangement des parties, qui fait la beauté d'un tableau, d'une plantation, fait aussi la solidité d'un édifice, la force d'une armée rangée en bataille. Il produit ces deux effets dans l'éloquence. C'est de l'arrangement des mots que dépend toute la grace du discours et une très-grande partie de sa force.

Cette matière, discutée avec soin, nous découvre non-seulement ce qu'on peut appeler le secret du talent oratoire, qui est bien plus que celui de l'art; mais encore la raison des marches particulières des langues, et ce qu'elles gagnent ou ce qu'elles perdent en suivant des arrrangemens différens.

Ni les Grecs ni les Latins n'ont été dans le cas de traiter cette matière dans ce dernier point de vue, parce que leurs langues ayant la plus grande flexibilité, ils n'ont pu attribuer les constructions irrégulières qu'au goût de leurs écrivains.

DE L'ARRANGEMENT NATUREL DES

MOTS.

Nous avons parlé ailleurs de l'arrangement arti

ficiel des idées et des mots, qui constitue ce qu'on

appelle les Figures, dans le discours. Ici nous ne parlons que de l'arrangement que les idées, et par conséquent les mots qui les renferment et les expriment, doivent avoir dans le discours, considéré comme moyen de persuasion. Cet arrangement ne peut avoir pour objet que de satisfaire ou l'esprit ou l'oreille, c'est-à-dire, de rendre le sens plus clair et plus fort, ou les sons plus agréables et plus convenables aux vues de celui qui parle.

SECTION PREMIÈRE.

De l'arrangement naturel des mots par rapport à l'esprit.

Nous prouverons 1.o que l'arrangement naturel des mots doit être réglé par l'importance des objets; et qu'effectivement il l'est ainsi dans les langues qui sont assez flexibles pour suivre l'ordre de la nature dans leurs constructions. Nous examinerons ensuite quels dérangemens l'harmonie peut causer dans la construction naturelle des mots. Enfin, nous montrerons les effets qui résultent de cette construction. Nous y ajouterons un court examen de la doctrine de Denys d'Halicarnasse, sur le principe de la construction oratoire.

CHAPITRE PREMIER.

Que l'arrangement naturel des mots est réglé par l'importance des objets.

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Pour établir cette vérité, car je crois que c'en est une, il faut examiner comment les idées entrent dans notre esprit et comment elles en sortent.

Elles y entrent quelquefois en foule et pêle-mêle, -comme quand nous jetons nos regards sur une vaste plaine qui nous offre une infinité d'objets : c'est la communication des idées par les yeux. Quelquefois aussi elles n'y entrent que une à une, ce qui arrive surtout quand la communication se fait par les oreilles, et principalement par le moyen des signes d'institution, tels que sont les mots. Comme les mots ne peuvent être proférés que les uns après les autres, les idées attachées aux mots ne peuvent aussi sortir que une à une de la bouche de celui qui parle, et par conséquent elles ne peuvent entrer autrement dans l'esprit de celui qui écoute.

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L'ordre dans lequel elles sortent est-il indifférent, ne l'est-il pas? Peut-on également présenter d'abord les idées principales ou les accessoires, plus intéressantes ou celles qui le sont le moins? En un mot, y a-t-il des objets qu'on doit préférablement offrir au premier moment, c'est-à-dire, au moment le plus vif de l'attention de celui qui écoute?

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On ne serait point dans le cas de faire cette question, si les langues étaient assez flexibles pour plier en tout aux divers mouvemens de l'âme. Il n'est pas douteux qu'alors elles ne suivissent constamment l'ordre qui serait prescrit par l'intérêt ou le point de vue de celui qui parle.

Mais comme, dans plusieurs langues, il se trouve des configurations grammaticales qui exigent une marche ou ordonnance particulière, et que d'ailleurs l'esprit humain a travaillé lui-même sur ses propres idées, pour en reconnaître et distinguer les rapports, on a imaginé deux nouvelles sortes d'ordre ou d'arrangement pour les mots : le grammati cal, qui se fait selon le rapport des mots, considé rés comme régissans ou régis; et le métaphysique, qui considère les rapports abstraits des idées. Si on y joint l'ordre oratoire, qui ne considère que le but

de celui qui parle, on aura trois espèces d'arrangement ou de construction qui peuvent être employées dans le discours.

On dit, dans la construction grammaticale, lumen solis, la lumière du soleil, parce que le mot solis est déterminé à être au génitif par le mot lumen; or, dit-on, le déterminant doit être avant le déterminé. On dit, Alexander vicit Darium, Alexandre a vaincu Darius, parce que le premier mot Alexander régit vicit, et que vicit régit Darium: voilà l'ordre ou l'arrangement grammatical.

L'ordre métaphysique veut que le sujet d'une proposition soit avant son attribut, la cause avant l'effet, la substance ou l'existence avant le mode ou les qualités qui lui appartiennent. Selon cet arrangement, il faudrait dire solis lumen, du soleil la lumière, parce que le soleil est la cause de la lumière; mais dans les autres cas cet ordre rentre à peu près dans l'ordre grammatical, parce que celui-ci, tout grammatical qu'il est, se trouve réellement fondé sur la métaphysique.

Au reste, qu'on les distingue ou non, ils ne semblent pas faits, ni l'un ni l'autre, pour régler la marche du discours oratoire. L'ordre grammatical est une entrave donnée à l'esprit et aux idées, plutôt qu'une règle de construction. Attaché au génie et à l'analogie particulière d'une langue, nulle part il n'est absolument le même. Il y a des langues où il est précisément le contraire de ce qu'il est dans d'autres langues: ce qui ne pourrait arriver s'il était naturel. Est-il une phrase bien écrite en latin, dont il ne faille changer, ou, comme nous disons, faire la construction, lorsque nous voulons la mettre en bon français? Il y a donc une des deux phrases, dont la construction n'est point dans la nature, puisque la nature n'a pas deux voies.

Il en est de même de l'ordre métaphysique. Il peut être bon quelquefois pour les savans, quand

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