Page images
PDF
EPUB

Il y a une interrogation et une surprise dans le texte, et l'on cite le vers dans un sens absolu. 2. On dit d'un homme qui parle avec emphase, d'an style ampoulé et recherché, que

Projici ampullas et sesquipedalia verba,

il jette, il fait sortir de sa bouche des paroles enflées et des mots d'un pied et demi. Cependant ce vers a un sens tout contraire dans Horace. « La « tragédie, dit ce poëte, ne s'exprime pas toujours « d'un style pompeux et élevé : Télèphe et Pélée, << tous deux pauvres, tous deux chassés de leur pays, << ne doivent pas recourir à des termes enflés, ní se « servir de grands mots : il faut qu'ils fassent parler «<leur douleur d'un style simple et naturel, s'ils « veulent nous toucher, et que nous nous intéres«<<sions à leur mauvaise fortune. » Ainsi projicit, dans Horace, veut dire il rejette.

Et tragicus plerumque dolet sermone pedestri
Telephus et Peleus, cùm pauper et exul uterque
Projicit ampullas et sesquipedalia verba ;
Si curat cor spectantis tetigisse querelá.

Boileau nous donne le même précepte :

Que devant Troie en flamme, Hécube désolée
Ne vienne pas pousser une plainte ampoulée.

Cette remarque, qui se trouve dans la plupart des commentateurs d'Horace, ne devait point échapper aux auteurs des dictionnaires sur le mot projicere.

3. Souvent, pour excuser les fautes d'un habile homme, on cite ce mot d'Horace :

Quandòque bonus dormitat Homerus.

Comme si Horace avait voulu dire que le bon Homère s'endort quelquefois. Mais quandoque est là pour quandocumque, toutes les fois que; et bonus

est pris en bonne part. Je suis fâché, dit Horace, « toutes les fois que je m'aperçois qu'Homère, cet « excellent poëte, s'endort, se néglige, ne se son

«<< tient

pas. »

Indignor quandòque bonus dormitat Homerus.

Danet s'est trompé dans l'explication qu'il donne de ce passage dans son Dictionnaire latin-français sur ce mot quandòque.

4. Enfin, pour s'excuser quand on est tombé dans quelque faute, on cite ce vers de Térence :

Homo sum, humani nihil à me alienum puto. Gomme si Térence avait voulu dîre, je suis homme, je ne suis point exempt des faiblesses de l'humanité. Ce n'est pas là le sens de Térence. Chrémès, tou ché de l'affliction où il voit Ménédème, son voisin, vient lui demander quelle peut être la cause de son chagrin et des peines qu'il se donne : Ménédème lui dit brusquement, qu'il faut qu'il ait bien du loisir pour venir se mêler des affaires d'autrui. « Je suis «homme, répond tranquillement Chrémès; rien de « tout ce qui regarde les autres hommes n'est étran"ger pour moi; je m'intéresse à tout ce qui regarde « mon prochain. »

« On doit s'étonner, dit madame Dacier, que ce « vers ait été si mal entendu, après ce que Cicéron «<en a dit dans le premier livre des Offices.»

Voici les paroles de Cicéron : Est enim difficilis cura rerum alienarum, quanquam Terentianus ille Chremes humani nihil à se alienum putet. J'ajouterai un passage de Sénèque, qui est un commentaire encore plus clair de ces paroles de Térence. Sénèque, ce philosophe païen, explique, dans une de ses lettres, comment les hommes doivent honorer la majesté des dieux: il dit que ce n'est qu'en

croyant en eux, en pratiquant de bonnes œuvres, en táchant de les imiter dans leurs perfections, qu'on peut leur rendre un culte agréable. Il parle ensuite de ce que les hommes se doivent les uns aux autres. « Nous devons tous nous regarder, dit-il, comme « étant les membres d'un grand corps; la nature « nous a tous tirés de la même source, et par là « nous a tous faits parens les uns des autres; c'est « elle qui a établi l'équité et la justice. Selon l'ins<< titution de la nature, on est plus à plaindre quand «< on nuit aux autres que quand on en reçoit du dommage. La nature nous a donné des mains aider les uns les autrés; ainsi, ayons toujours « dans la bouche et dans le cœur ce vers de Té«rence: Je suis homme, rien de tout ce qui regarde « les hommes n'est étranger pour moi. » (1)

[ocr errors]

<<< nous

pour

Il est vrai, en général, que les citations et les applications doivent être justes autant qu'il est possible, puisque autrement elles ne prouvent rien, et ne servent qu'à montrer une fausse érudition: mais il y aurait bien du rigorisme à condamner tout sens adapté.

Il y a bien de la différence entre rapporter un passage comme une autorité qui prouve, ou sim

(1) Quomodò sint Dii colendi solet præcipi...

Deum colit qui novit.................... Primus est Deorum cultus, Deos credere, deindè reddere illis majestatem suam, reddere bonitatem sine quá nulla majestas est; vis Deos propitiare, bonus esto. Satis illos coluit quisquis imitatus est, Ecce altera quæstio, quomodò hominibus sit utendum.... possim breviter hanc formulam humani officii tradere... Membra sumus corporis magni; natura nos cognatos edidit, cùm ex iisdem et in idem gigneret. Hæc nobis amorem indidit mutuum et sociabiles fecit; illa æquum justumque composuit: ex illius constitutione miserius est nocere quàm lædi ; et illius'imperio paratæ sunt ad juvandum manus. Iste versus et in pectore et in ore sit, homo sum, nihil à me alienum puto. Habeamus in commune, quòd nati sumus, Senec. Ep. XCV, officia.

humani

:

plement comme des paroles connues, auxquelles on donne un sens nouveau qui convient au sujet dont on veut parler dans le premier cas, il faut conserver le sens de l'auteur; mais, dans le second cas, les passages auxquels on donne un sens différent de celui qu'ils ont dans leur auteur, sont regardés comme autant de parodies, et comme une sorte de jeu dont il est souvent permis de faire usage.

SUITE DU SENS ADAPTÉ.

De la Parodie et des Centons.

La parodie est aussi une sorte de sens adapté. Ce mot est grec, car les Grecs ont fait des parodies. Parodie (1) signifie à la lettre un chant composé à l'imitation d'un autre ; et, par extension, on donne le nom de parodie à un ouvrage en vers dans lequel on détourne, dans un sens railleur, des vers qu'un autre a faits dans une vue différente. On a la liberté d'ajouter ou de retrancher ce qui est nécessaire au dessein qu'on se propose; mais on doit conserver autant de mots qu'il est nécessaire pour rappeler le souvenir de l'original dont on emprunte les paroles. L'idée de cet original, et l'application qu'on en fait à un sujet d'un ordre moins sérieux, forment dans l'imagination un contraste qui la surprend, et c'est en cela que consiste la plaisanterie de la paro

(1) Parodia, canticum. R. zápa, juxtà, et on, cantus, carmen. Canticum vel carmen ad alterius similitudinem compositum, cùm alterius poëtæ versus jocosè in aliud argumentum tranferuntur.

Est etiam parodia, Hermogeni, cum quis, ubi partem aliquam versus protulit, reliquum, à se, id est, de suo, oratione soluta eloquitur. Robertson. Th. ling. græc. voce παροδίγω.

die. Corneille a dit, dans le style grave, parlant du père de Chimène :

Ses rides sur son front ont gravé ses exploits.

Racine a parodié ce vers dans les Plaideurs : l'Intimé, parlant de son père, qui était sergent, dit plaisamment :

Il gagnait en un jour plus qu'un autre en six mois ;
Ses rides sur son front gravaient tous ses exploits.

Dans Corneille, exploits signifie actions mémorables, exploits militaires; et dans les Plaideurs, exploits se prend pour les actes ou procédures que font les sergens. On dit que le grand Corneille fut offensé de cette plaisanterie du jeune Racine.

Au reste, l'Académie a observé que les rides marquent les années, mais ne gravent point les exploits.

Les vers les plus connus sont ceux qui sont le plus exposés à la parodie. On trouve dans les dernières éditions des œuvres de Boileau une parodie ingénieuse de quelques scènes du Cid. On peut voir aussi dans la poésie de madame des Houlières une parodie d'une scène de la même tragédie. Le théâtre italien est riche en parodies. Le poëme du VICE PUNI est rempli d'applications heureuses de vers de nos meilleurs poëtes ces applications sont autant de parodies.

:

Les centons sont encore une sorte d'ouvrage qui a rapport au sens adapté. Cento, en latin, signifie, dans le sens propre, une pièce de drap qui doit être cousue à quelque autre pièce, et plus souvent un manteau ou un habit fait de différentes pièces rapportées; ensuite on a donné ce nom, par métaphore, à un ouvrage composé de plusieurs vers ou de plusieurs passages empruntés d'un ou de plusieurs auteurs. On prend ordinairement la moitié d'un vers,

« PreviousContinue »