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tourner en burlesque. Telle est la liaison que les idées ont les unes avec les autres : le moindre rapport réveille une idée de moralité dans un homme dont le goût est tourné du côté de la morale; et, au contraire, celui dont l'imagination aime le burlesque, trouve du burlesque partout.

Thomas Walleis, jacobin anglais, fit imprimer, vers la fin du XV. siècle, à l'usage des prédicateurs, une explication morale des Métamorphoses d'Ovide. Nous avons le Virgile travesti de Scarron. Ovide n'avait point pensé à la morale que Walleis lui prête; et Virgile n'a jamais eu les idées burlesques que Scarron a trouvées dans son Enéide. II n'en est pas de même des fables morales; leurs auteurs même nous en découvrent les moralités; elles sont tirées du texte comme une conséquence est tirée de son principe.

2. Sens allégorique.

Le sens allégorique se tire d'un discours, qui, à le prendre dans un sens propre, signifie toute autre chose; c'est une histoire qui est l'image d'une autre histoire, ou de quelque autre pensée. Nous avons déjà parlé de l'allégorie.

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L'esprit humain a bien de la peine à demeurer indéterminé sur les causes dont il voit ou dont il ressent les effets ainsi, lorsqu'il ne connaît causes, il en imagine, et le voilà satisfait. Les Païens imaginèrent d'abord des causes frivoles de la plupart des effets naturels : l'amour fut l'effet d'une divinité particulière: Prométhée vola le feu du ciel; Cérès inventa le blé; Bacchus le vin, etc. Les recherches exactes sont trop pénibles, et ne sont pas à la portée de tout le monde. Quoi qu'il en soit, le vulgaire superstitieux, dit le père Sanadon, fut la dupe des visionnaires qui inventèrent toutes ces fables.

Dans la suite, quand les Païens commencèrent à se policer et à faire des réflexions sur ces histoires fabuleuses, il se trouva parmi eux des mystiques qui en enveloppèrent les absurdités sous le voile des allégories et des sens figurés, auxquels les premiers auteurs de ces fables n'avaient jamais pensé.

Il y a des pièces allégoriques en prose et en vers. Les auteurs de ces ouvrages ont prétendu qu'on leur donnât un sens allégorique; mais dans les histoires, et dans les autres ouvrages dans lesquels il ne paraît pas que l'auteur ait songé à l'allégorie, il est inutile d'y en chercher. Il faut que les histoires dont on tire ensuite des allégories, aient été composées dans la vue de l'allégorie, autrement les explications allégoriques qu'on leur donne, ne peuvent rien, et ne sont que des applications arbitraires, dont il est libre à chacun de s'amuser comme il lui plaît, pourvu qu'on n'en tire pas des conséquences dangereuses.

Quelques auteurs ont trouvé une image des révolutions arrivées à la langue latine, dans la statue que Nabuchodonosor vit en songe; ils trouvent dans ce songe une allégorie de ce qui devait arriver à la langue latine.

Cette statue était extraordinairement grande; la langue latine n'était-elle pas répandue presque partout?

La tête de cette statue était d'or; c'est le siècle d'or de la langue latine; c'est le temps de Térence, de César, de Cicéron, de Virgile; en un mot, c'est le siècle d'Auguste.

La poitrine et les bras de la statue étaient d'argent; c'est le siècle d'argent de la langue latine; c'est depuis la mort d'Auguste, jusqu'à la mort de l'empereur Trajan, c'est-à-dire, jusqu'environ cent ans après Auguste.

Le ventre et les cuisses de la statue étaient d'ai

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rain; c'est le siècle d'airain de la langue latine, qui comprend depuis la mort de Trajan, jusqu'à la prise de Rome par les Goths en 410. b

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Les jambes de la statue étaient de fer, et les pieds partie de fer et partie de terre; c'est le siècle de fer de la langue latine, pendant lequel les différentes incursions des barbares plongèrent les hommes dans une extrême ignorance; à peine la langue latine se conserva-t-elle dans le langage de l'Eglise.

Enfin, une pierre abattit la statue; c'est la langue latine qui cessa d'être une langue vivante.

C'est ainsi qu'on rapporte tout aux idées dont on est préoccupé.

Les sens allégoriques ont été autrefois fort à la mode, et ils le sont encore en Orient; on en trouvait partout, jusque dans les nombres. Métrodore de Lampsaque, au rapport de Tatien, avait tourné Homère tout entier en allégories. On aime mieux aujourd'hui la réalité du sens littéral. Les explications mystiques de l'Ecriture Sainte, qui ne sont point fixées par les Apôtres, ni établies clairement par la révélation, sont sujettes à des illusions qui mènent au fanatisme.

3. Sens anagogique.

Le sens anagogique n'est guère en usage que lorsqu'il s'agit de différens sens de l'Ecriture Sainte. Ce mot anagogique vient du grec avaywyn, qui veut dire élévation: ana, dans la composition des mots, signifie souvent, au-dessus, en haut; dywyn veut dire conduite, de av, je conduis: ainsi le sens anagogique de l'Ecriture Sainte est un sens mystique, qui élève l'esprit aux objets célestes et divins de la vie éternelle, dont les Saints jouissent dans le Ciel.

Le sens littéral est le fondement des autres sens de l'Ecriture Sainte. Si les explications qu'on en donne ont rapport aux mœurs, c'est le sens moral.

LES TROPES.

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Si les explications des passages de l'Ancien Testament regardent l'Ecriture et les mystères de notre Religion par analogie ou ressemblance, c'est le sens allégorique; ainsi, le sacrifice de l'agneau pascal, le serpent d'airain élevé dans le désert, étaient autant de figures du sacrifice de la croix.

Enfin, lorsque ces explications regardent l'Eglise triomphante et la vie des bienheureux dans le Ciel, c'est le sens anagogique; c'est ainsi que le sabat des Juifs est regardé comme l'image du repos éternel des bienheureux. Ces différens sens, qui ne sont point le sens littéral, ni le sens moral, s'appellent aussi en général sens tropologique, c'est-à-dire, sens figuré. Mais, comme je l'ai déjà remarqué, il faut suivre, dans le sens allégorique et dans le sens anagogique, ce que la révélation nous en apprend, et s'appliquer surtout à l'intelligence du sens littéral, qui est la règle infaillible de ce que nous devons croire et pratiquer pour être sauvés.

Ou

X.

DU SENS ADAPTÉ,

l'on donne que

par

allusion.

QUELQUEFOIS on se sert des paroles de l'Ecriture

Sainte ou de quelque auteur profane, pour en faire une application particulière, qui convient au sujet dont on veut parler, mais qui n'est pas le sens naturel et littéral de l'auteur dont on les emprunte; c'est ce qu'on appelle sensus accommodatitius, sens adapté.

Dans les panégyriques des Saints et dans les oraisons funèbres, le texte du discours est pris ordinairement dans le sens dont nous parlons. M. Fléchier, dans son oraison funèbre de M. de Turenne, appli

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171 que à son héros ce qui est dit dans l'Ecriture, à l'occasion de Judas Machabée, qui fut tué dans une bataille.

Le père le Jeune, de l'Oratoire, fameux missionnaire, s'appelait Jean; il était devenu aveugle. Il fut nommé pour prêcher le carême à Marseille aux Acoules; voici le texte de son premier sermon : Fuit homo missus à Deo, cui nomen erat Joannes; non erat ille lux, sed ut testimonium perhiberet de lumine. On voit qu'il faisait allusion à son nom et à son aveuglement.

Remarques sur quelques passages adoptés à contre

sens.

Il y a quelques passages des auteurs profanes qui sont comme passés en proverbes, et auxquels on donne communément un sens détourné, qui n'est pas précisément le même sens que celui qu'ils ont dans l'auteur d'où ils sont tirés. En voici des exemples:

1. Quand on veut animer un jeune homme à faire parade de ce qu'il sait, ou blâmer un savant de ce qu'il se tient dans l'obscurité, on lui dit ce vers de Perse :

Scire tuum nihil est, nisi te scire hoc sciat alter!

« Toute votre science n'est rien, si les autres ne << savent pas combien vous êtes savant. » La pensée de Perse est pourtant de blâmer ceux qui n'étudient que pour faire ensuite parade de ce qu'ils savent. O temps! ó mœurs ! s'écrie-t-il : est-ce donc pour la gloire que vous pálissez sur les livres ? Quoi donc ! croyez-vous que la science n'est rien, moins que les autres ne sachent que vous êtes

savant?

En pallor, seniumque. O mores! usque adeòne
Scire tuum nihil est, nisi te scire hoc sciat alter?

à

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