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les autels, ils disaient les autels croissent; car adolere et adolescere signifient proprement croitre; ce n'est que par euphémisme que ces mots signifient brúler.

C'est ainsi que les personnes du peuple disent quelquefois, dans leur colère, que le bon Dieu vous emporte! n'osant prononcer le nom du malin esprit.

Dans l'Ecriture-Sainte, le mot de bénir est mis quelquefois au lieu de maudire, qui est précisément le contraire. Comme il n'y a rien de plus affreux à concevoir, que d'imaginer quelqu'un qui s'emporte jusqu'à des imprécations sacriléges contre Dieu même, au lieu du terme de maudire, on a mis le contraire par euphémisme.

Naboth n'ayant pas voulu vendre au roi Achab une vigne qu'il possédait, et qui était l'héritage de ses pères, la reine Jézabel, femme d'Achab, suscita deux faux témoins, qui déposèrent que Naboth avait blasphémé contre Dieu et contre le roi. Or l'Ecriture, pour exprimer ce blasphème, fait dire aux témoins que Naboth a béni Dieu et le roi (1). Job dit, dans le même sens, peut-être que mes enfans ont péché, et qu'ils ont béni Dieu dans leur cœur (2).

C'est ainsi que, dans ces paroles de Virgile, auri sacra fames, sacra se prend pour execrabilis, sekon Servius, soit par euphémisme, soit par extension; car il est à observer que souvent, par extension, sacer voulait dire exécrable. Ceux que la justice humaine avait condamnés, ceux qui se dévouaient pour le peuple, étaient regardés comme autant de

(1) Viri diabolici dixerunt contra eum testimonium coràm multitudine; benedixit Naboth Deum et Regem. Reg. III, cap. 21, v. 10 et 13.

(2) Ne fortè peccaverint filii, mei et benedixerint Deo in cordibus suis. Job. 1, v. 5.

personnes sacrées. De là, dit Festus (1), tout méchant homme est appelé sacer. O le maudit bouffon! dit Afranius, en se servant de sacrum : O sacrum scurram, et malum! Et Plaute, parlant d'un marchand d'esclaves, s'exprime en ces termes : Homini (si leno est homo) quantùm hominum terra sustinet, sacerrimo.

On peut encore rapporter à l'euphémisme ces périphrases ou circonlocutions dont un orateur délicat enveloppe habilement une idée, qui, toute simple, exciterait peut-être dans l'esprit de ceux à qui il parle une image ou des sentimens peu favorables à son dessein principal. Cicéron n'a garde de dire au sénat que les domestiques de Milon tuèrent Clodius (2): « Ils firent, dit-il, ce que tout << maître eût voulu que ses esclaves eussent fait en pareille occasion. » De même, lorsqu'on ne donné pas à un mercenaire tout l'argent qu'il demande, au lieu de lui dire, je ne veux pas vous en donner davantage, souvent on lui dit, par euphémisme, je vous en donnerai davantage une autre fois; cela se trouvera je chercherai les occasions de vous récompenser, etc.

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(1) Homo sacer is est, quem populus judicavit ob male, ficium, neque fas est eum immolari..... ex quo, quivis homo, malus atque improbus, sacer appellari solet. Festus,

voce sacer.

Massilienses, quoties pestilentiá laborabant, unus se ex pauperibus offerebat alendus anno integro publicis et purioribus cibis. Hic posteà, ornatus verbenis et vestibus sacris, circumducebatur per totam civitatem, cum execrationibus, ut in ipsum reciderent mala totius civitatis, et sic projiciebatur. Servius in Æn. III, v. 57.

(2) Fecerunt id servi Milonis..

•quod suos quisque servos in tali re facere voluisset. Cic. pro Milone,

num. 29.

XVI.

L'ANTIPHRASE.

L'EUPHEMISME et l'ironie ont donné lieu aux grammairiens d'inventer une figure qu'ils appellent antiphrase, c'est-à-dire, contre-vérité; par exemple: la mer Noire, sujette à de fréquens naufrages, et dont les bords étaient habités par des hommes extrêmement féroces, était appelée Pont-Euxin, c'est-àdire, mer favorable à ses hótes, mer hospitalière. C'est pourquoi Ovide a dit que le nom de cette mer était un menteur :

Quem tenet Euxini, mendax cognomine littus.
Et ailleurs :

Pontus Euxini falso nomine dictus.

Sanctius et quelques autres ne veulent point mettre l'antiphrase au rang des figures. Il y a en effet je ne sais quoi d'opposé à l'ordre naturel, de nommer une chose par son contraire, d'appeler lumineux un objet, parce qu'il est obscur; l'antiphrase ne satisfait pas l'esprit.

Malgré les mauvaises qualités des objets, les anciens, qui personnifiaient tout, leur donnaient quelquefois des noms flatteurs, comme pour se les rendre favorables, ou pour se faire un bon augure, un bon présage.

Ainsi, c'était par euphémisme, par superstition, et non par antiphrase, que ceux qui allaient à la mer que nous appelons aujourd'hui la mer Noire, la nommaient mer hospitalière, c'est-à-dire, mer qui ne nous sera point funeste, qui nous sera propice, où nous serons bien reçus, mer qui sera pour nous

une mer hospitalière, quoiqu'elle soit communément pour les autres une mer funeste.

Les trois Déesses infernales, filles de l'Erèbe et de la nuit, qui, selon la fable, filent la trame de nos jours, étaient appelées les Parques, de l'adjectif parcus, quia parcè nobis vitam tribuunt. Chacun trouve qu'elles ne lui filent pas assez de jours. D'autres disent qu'elles ont été ainsi appelées parce que leurs fonctions sont partagées : Parcæ quasi partitæ.

Clotho colum retinet, Lachesis net, et Atropos occat.

Ce n'est donc point par antiphrase, quia nemini parcunt, qu'elles ont été appelées Parques.

Les Furies Alecto, Tisiphone et Mégère ont été appelées Euménides, du grec, eumeneis, benevolæ, douces, bienfaisantes. La commune opinion est que ce nom ne leur fut donné qu'après qu'elles eurent cessé de tourmenter Oreste, qui avait tué sa mère. Ce prince fut, dit-on, le premier qui les appela Euménides. Ce sentiment est adopté par le Père Sanadon. D'autres prétendent que les Furies étaient appelées Eumenides, long-temps avant qu'Oreste vint au monde: mais d'ailleurs cette aventure d'Oreste est remplie de tant de circonstances fabuleuses, que j'aime mieux croire qu'on a appelé les Furies Eumenides par euphémisme, pour se les rendre favorables. C'est ainsi qu'on traite tous les jours de bonnes et de bienfaisantes les personnes les plus aigres et les plus difficiles, dont on apaiser l'emportement, ou obtenir quelque bienfait.

veut

On dit encore qu'un bois sacré est appelé lucus, par antiphrase; car ces bois étaient fort sombres, et lucus vient de lucere, luire. Mais si lucus vient de lucere, c'est par une raison contraire à l'antiphrase; car comme il n'était pas permis, par respeet, de couper de ces bois, ils étaient fort épais, et

par conséquent fort sombres; ainsi, le besoin, autant que la superstition, avaient introduit l'usage d'y allumer des flambeaux.

Manes, les manes, c'est-à-dire, les âmes des morts, et dans un sens plus étendu, les habitans des enfers, est encore un mot qui a donné lieu à l'antiphrase. Ce mot vient de l'ancien adjectif manus, dont on se servait au lieu de bonus. Ceux qui priaient les manes les appelaient ainsi pour se les rendre favorables: Vos, ó mihi manes este boni; c'est ce que Virgile fait dire à Turnus. Ainsi, tous les exemples dont on prétend autoriser l'antiphrase, se rapportent ou à l'euphémisme ou à l'ironie; comme quand on dit à Paris, c'est une muette des halles, c'est-àdire, une femme qui chante pouilles, une vraie harengère des halles, muette est dit alors par ironie.

QUINTILIEN

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VINTILIEN met la périphrase au rang des Tropes; en effet, puisque les Tropes tiennent la place des expressions propres, la périphrase est un Trope; car périphrase tient la place, ou d'un mot où d'une phrase.

la

:

Nous avons expliqué, dans la première partie de cette grammaire, ce que c'était qu'une phrase c'est une expression, une manière de parler, un arrangement de mots, qui fait un sens fini ou non fini.

La périphrase ou circonlocution est un assemblage de mots qui expriment en plusieurs paroles ce qu'on aurait pu. dire en moins, et souvent en un seul mot; par exemple: le vainqueur de Darius, au lieu de dire, Alexandre : l'astre du jour, pour dire le soleil.

LES TROPES.

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