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d'elles-mêmes; elles doivent naître du sujet, et se présenter naturellement à l'esprit; comme nous l'avons remarqué ailleurs : quand c'est l'esprit qui va les chercher, elles déplaisent, elles étonnent, et souvent font rire par l'union bizarre de deux idées, dont l'une ne devait jamais être assortie avec l'autre. Qui croirait, par exemple, que jamais le jeu de piquet dût entrer dans un poëme fait pour décrire la pénitence et la charité de sainte Madeleine; et que ce jeu dût faire naître la pensée de donner la discipline?

Piquez-vous seulement de jouer au piquet,

A celui que j'entends qui se fait sans caquet;
J'entends que vous preniez par fois la discipline,
Et qu'avec ce beau jeu vous fassiez bonne mine.

On ne s'attend pas non plus à trouver les termes de grammaire détaillés dans un ouvrage qui porte pour titre le nom de sainte Madeleine; ni que l'auteur imagine je ne sais quel rapport entre la grammaire et les exercices de cette Sainte: cependant une tête de mort et une discipline sont les RUDIMENS de Madeleine :

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Et regardant toujours ce têt de trépassé,
Elle voit le futur dans ce PRÉSENT PASSÉ.
Et c'est sa discipline, et tous ses châtimens,
Qui lui font commencer ces rudes RUDIMENS.
Ce qui la fait trembler pour son GRAMMAIRIEN,
C'est de voir par un CAS du tout déraisonnable,
Que son amour lui rend la mort INDÉCLINABLE,
Et qu'ACTIF comme il est aussi bien qu'excessif,
Il rend à ce point d'impassible PASSIF.

Q que l'amour est grand, et la douleur amère,
Quand un VERBE PASSIF fait toute sa GRAMMAIRE!
La MUSE pour cela me dit, non sans raison,

Que toujours la PREMIÈRE est sa CONJUGAISON,
Sachant bien qu'en aimant elle peut tout prétendre
Comme tout ENSEIGNER, tout LIRE,
et tout ENTENDRE,

Pendant qu'elle s'occupe à punir le forfait
De son TEMPS-PRÉTÉRIT qui ne fut qu'IMPARFAIT ;

Temps de qui le FUTUR réparera les pertes
Par tant d'afflictions et de peines souffertes ;
Et le PRÉSENT est tel, que c'est L'INDICATIF
D'un amour qui s'en va jusqu'à L'INFINITIF.
Puis par un OPTATIF, ah! plût à Dieu, dit-elle,
Que je n'eusse jamais été si criminelle!.....
Prenant avec plaisir, dans l'ardeur qui.la brûle,
Le FOUET pour discipline, et la croix pour FÉRULE.

Vous voyez qu'il n'oublie rien. Cet ouvrage est rempli d'un nombre infini d'allusions aussi recherchées, pour ne pas dire aussi puériles. Le défaut de jugement qui empêche de sentir ce qui est ou ce qui n'est pas à propos, et le désir mal-entendu de montrer de l'esprit et de faire parade de ce qu'on sait, enfantent ces productions ridicules:

Ce style figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon caractère et de la vérité;

Ce n'est que jeux de mots, qu'affectation pure,
Et ce n'est pas ainsi que parle la nature. Molière.

J'ajouterai encore ici une remarque, à propos de l'allusion: c'est que nous avons en notre langue un grand nombre de chansons, dont le sens littéral, sous une apparence de simplicité, est rempli d'allusions obscènes. Les auteurs de ces productions sont coupables d'une infinité de pensées dont ils salissent l'imagination, et d'ailleurs ils se déshonorent dans l'esprit des honnêtes gens. Ceux qui, dans des ouvrages sérieux, tombent par simplicité dans le même inconvénient que les faiseurs de chansons, ne sont guère moins répréhensibles, et se rendent plus ridicules.

Quintilien, tout païen qu'il était, veut que nonseulement on évite les paroles obscènes, mais encore tout ce qui peut réveiller des idées d'obscénité. Obscenitas verò non à verbis tantùm abesse debet, sed etiam à significatione.

« On doit éviter avec soin en écrivant, dit-il

>> ailleurs, tout ce qui peut donner lieu à des allu>>sions déshonnêtes. Je sais bien que ces interpréta» tions viennent souvent dans l'esprit plutôt par un » effet de la corruption du cœur de ceux qui lisent, » que par la mauvaise volonté de celui qui écrit; » mais un auteur sage et éclairé doit avoir égard à la >> faiblesse de ses lecteurs, et prendre garde de faire »> naître de pareilles idées dans leur esprit : car en>> fin, nous vivons aujourd'hui dans un siècle où l'imagination des hommes est si fort gâtée, qu'il y » a un grand nombre de mots qui étaient autrefois >> très-honnêtes, dont il ne nous est pas permis de » nous servir par l'abus qu'on en fait; de sorte que, » sans une attention scrupuleuse de la part de celui qui écrit, ses lecteurs trouvent malignement à » rire en salissant leur imagination avec des mots » qui, par eux-mêmes, sont très-éloignés de l'obs» cénité. »

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L'IRONIE

XIV.

L'IRONIE.

IRONIE est une figure par laquelle on veut faire entendre le contraire de ce qu'on dit : ainsi les mots dont on se sert dans l'ironie, ne sont pas pris dans le sens propre et littéral.

Boileau, qui n'a pas rendu à Quinaut toute la justice que le public sui a rendue depuis, a dit par ironie:

Je le déclare donc, Quinault est un Virgile.

Il voulait dire un mauvais poëte.

Les idées accessoires sont d'un grand usage dans l'ironie: le ton de la voix, et plus encore la con

naissance du mérite ou du démérite personnel de quelqu'un, et de la façon de penser de celui qui parle, servent plus à faire connaître l'ironie que les paroles dont on se sert. Un homme s'écrie, oh le bel esprit! Parle-t-il de Cicéron, d'Horace? il n'y a point là d'ironie; les mots sont pris dans le sens propre. Parle-t-il de Zoïle? c'est une ironie. Ainsi l'ironie fait une satire avec les mêmes paroles dont le discours ordinaire fait un éloge.

Tout le monde sait ce vers du père de Chimène dans le Cid:

A de plus hauts partis Rodrigue doit prétendre. C'est une ironie. On en peut remarquer plusieurs exemples dans Balzac et dans Voiture. Je ne sais si l'usage que ces auteurs ont fait de cette figure, serait aujourd'hui aussi bien reçu qu'il l'a été de leur temps.

Cicéron commence par une ironie l'oraison pour Ligarius. Novum crimen, Caï Cæsar, et ante hunc diem inauditum, etc. Il y a aussi dans l'oraison contre Pison un fort bel exemple de l'ironie: c'est à l'occasion de ce que Pison disait que s'il n'avait pas triomphé de la Macédoine, c'était parce qu'il n'avait jamais souhaité les honneurs du triomphe. « Que Pompée est malheureux, dit Cicéron (1), de ne » pouvoir profiter de votre conseil! Oh! qu'il a en » tort de n'avoir point eu de goût pour votre philosophie! Il a eu la folie de triompher trois fois. » Je rougis, Crassus, de votre conduite. Quoi, vous » avez brigué l'honneur du triomphe avec tant d'empressement! etc. »

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(1) Non est integrum Cn. Pompeio, consilio jam uti tuo ; erravit enim. Non gustárat istam tuam philosophiam; ter jam homo stultus, triumphavit, etc. Cic. in Pison. n. 58,

XXIV.

XV.

L'EUPHÉMISME.

L'EUPHÉMISME est une figure par laquelle on déguise des idées désagréables, odieuses, ou tristes, sous des noms qui ne sont point les noms propres de ces idées; ils leur servent comme de voile, et ils en expriment, en apparence, de plus agréables, de moins choquantes, ou de plus honnêtes selon le besoin; par exemple, ce serait reprocher à un ouvrier ou à un valet la bassesse de son état, que de l'appeler ouvrier ou valet; on leur donne d'autres noms plus honnêtes qui ne doivent pas être pris dans le sens propre. C'est ainsi que le bourreau est appelé par honneur le maître des hautes œuvres. C'est par la même raison qu'on donne à certaines étoffes grossières le nom d'étoffes plus fines; par exemple, on appelle velours de Maurienne une sorte d'étoffe de gros drap qu'on fait à Maurienne, province de Savoie, et dont les pauvres Savoyards sont ha billés. Il y a aussi une sorte d'étoffe de fil dont on fait des meubles de campagne; on honore cette étoffe du nom de damas de Caux, parce qu'elle se fabrique au pays de Caux en Normandie.

Un ouvrier qui a fait la besogne pour laquelle on l'a fait venir, et qui n'attend plus que son paye ment pour se retirer, au lieu de dire payez-moi, dit par euphémisme, n'avez - vous plus rien à m'ordonner?

Nous disons aussi, Dieu vous assiste, Dieu vous bénisse, plutôt que de dire, je n'ai rien à vous donner.

Souvent, pour congédier quelqu'un, on lui dit, voilà qui est bien, je vous remercie, plutôt que de lui dire allez-vous-en.

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