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NOUVELLES RECHERCHES SUR LES PROPRIÉTÉS ET

LES FONCTIONS DES DIVERSES PARTIES QUI COMPOSENT LA MASSE CÉRÉBRALE '.

S. Ier.

ì. J'avais conclu de mes premières expériences touchant les fonctions des lobes cérébraux, que ces lobes sont le réceptacle unique des sen

sations.

« L'auteur, » dit à cette occasion M. Cuvier, dans le compte qu'il a bien voulu rendre de ces expériences à l'Académie, « l'auteur nous a paru >> bien prouver cette proposition par rapport aux » sens de la vue et de l'ouïe.... Mais nous ne trou»vons pas qu'il l'ait aussi bien prouvée pour les » autres sens. D'abord il n'a fait ni pu faire au

>> cune expérience touchant l'odorat et le goût; » ensuite, pour le tact même, ses expériences ne >> nous paraissent pas concluantes. »

2. Ce qui manquait donc à ma proposition pour être de tout point complète et irrécusable,

'Mémoire lu à l'Académie royale des sciences de l'Institut, dans sa séance du 15 septembre 1823.

c'étaient d'abord des expériences directes sur le goût et sur l'odorat, et ensuite des expériences. plus concluantes pour le toucher.

Or, ce sont ces nouvelles expériences qui feront le principal sujet de ce qu'on va lire.

3. Tout le monde aperçoit d'abord l'extrême importance dont il était de laisser vivre, au moins un certain tems, les animaux soumis à l'ablation des lobes cérébraux, afin d'obtenir les résultats dans toute leur plénitude.

En effet, on peut bien s'assurer immédiatement de la perte de certains sens, mais il en est d'autres dont la perte ne devient évidente que par la suite. Ainsi, dès qu'un animal a perdu ses lobes cérébraux, il est manifeste qu'il ne voit ni n'entend plus. Mais comment se convaincre directement qu'il ne flaire ou ne goûte plus ?

Dès qu'un animal, au contraire, a survécu plusieurs mois à l'opération, il est clair, s'il n'use plus d'aucun de ses sens, qu'il les a tous perdus si l'odorat ne l'avertit plus du voisinage de la nourriture, c'est qu'il n'a plus d'odorat; si le goût ne l'excite plus à avaler ce qu'on lui met sur la langue ou sur le bout du bec, s'il ne l'avertit plus de la qualité de ce qu'on y met, il a perdu le goût.

S. II.

1. J'enlevai les deux lobes cérébraux à la fois sur une belle et vigoureuse poule.

Cette poule, privée de ses deux lobes, a vécu dix mois entiers dans la plus parfaite santé, et vivrait sûrement encore, si, au moment de mon retour à Paris, je n'avais été obligé de l'abandonner.

Durant tout ce tems, je ne l'ai pas perdue un seul jour de vue; j'ai passé, chaque jour, bien des beures à l'observer ; je l'ai étudiée dans toutes ses habitudes; je l'ai suivie dans toutes ses démarches; j'ai noté toutes ses allures : et voici le résumé des observations que m'a fournies cette longue étude.

2. A peine eus-je enlevé les deux lobes cérébraux que la vue fut soudain perdue des deux yeux. L'animal n'entendait plus, ne donnait plus aucun signe de volonté; mais il se tenait parfaitement d'aplomb sur ses jambes; il marchait quand on l'irritait ou qu'on le poussait; quand on le jetait en l'air, il volait; il avalait l'eau qu'on lui versait dans le bec.

Du reste, il ne bougeait plus dès qu'on ne l'irritait plus. Quand on le mettait sur ses pates, il restait sur ses pates; quand on le couchait sur

le ventre, à la manière des poules qui dorment ou qui reposent, il restait couché sur le ventre. Constamment, il était plongé dans une espèce d'assoupissement que ni le bruit, ni la lumière, mais les seules irritations immédiates telles que le piùcement, les coups, les piqûres pouvaient interrompre.

Six heures après l'opération, la poule prend l'attitude d'un sommeil plein et profond; c'est-àdire qu'elle détourne son cou, le porte en arrière, et cache sa tête sous les plumes du bord supérieur de son aile, comme font les animaux de son espèce qui vont dormir.

Je la laisse à peu près un demi-quart d'heure dans cet état, je l'irrite alors brusquement, et elle s'éveille comme en sursaut. Mais à peine estelle éveillée qu'elle retombe encore dans un sommeil profond.

Onze heures après l'opération, je fais manger ma poule, en lui ouvrant le bec, et y enfonçant de la nourriture qu'elle avale très bien.

Le lendemain.-La poule sort peu du sommeil où elle est plongée ; et quand elle en sort, c'est avec toutes les allures d'une poule qui se réveille.

Elle secoue sa tête, agite ses plumes, quelquefois même les aiguise et les nettoie avec le

bec; quelquefois elle change de pate, car souvent elle ne dort que sur une seule, comme dorment assez communément les oiseaux.

Dans tous ces cas, on dirait un homme endormi qui, sans s'éveiller tout-à-fait, et à demi endormi encore, change de place, se repose en une autre de la fatigue occasionée par la précédente; en prend une plus commode, souvent s'étend, alonge ses membres, bâille, se secoue un peu, et se rendort, ou reste ainsi assoupi.

Le troisième jour, la poule n'est plus aussi calme qu'à l'ordinaire. Elle va et vient, mais sans motif et sans but; et si elle rencontre un obstacle sur son chemin, elle ne sait ni l'éviter, ni s'en détourner. Ses caroncules sont rouge-defeu, sa peau brûlante, une fièvre aiguë la dévore; je me borne à la gorger d'eau.

Du reste, nul signe de convulsions, nulle disharmonie dans les mouvemens; et deux jours après, il n'y a plus ni agitation ni fièvre : la poule redevient calme et assoupie comme à l'ordinaire. 3. Je saute maintenant plusieurs articles de mon journal, et j'arrive, tout d'un coup, au deuxième mois de l'opération.

2

La poule jouit d'une santé parfaite comme je la nourris avec beaucoup de soin, elle a beaucoup engraissé. Elle dort toujours beaucoup,

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