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alors qu'elle devenait un devoir pour le cabinet de Berlin: la maison d'Orange étant son alliée la plus intime par les liens du sang, comme par sa position, tout faisait une loi à Frédéric-Guillaume de la soutenir. D'ailleurs ce prince ne pouvait voir d'un œil tranquille le directoire français reculer les bornes de sa puissance jusqu'aux frontières de Westphalie; et il ne devait poser les armes qu'après avoir compris la Hollande dans son traité avec la France et dans la ligne de neutralité qui en fut le complément.

La paix de Bâle avec une telle clause eût été alors un acte très-sage du ministère prussien; car les acquisitions de la France en Belgique n'eussent été qu'une juste compensation de celles que les trois puissances venaient de faire en Pologne, et l'état relatif des partis fût resté à peu près le même qu'en 1792. La France, de son côté, y eût gagné l'avantage de mettre la marine et les colonies hollandaises à l'abri, et de pouvoir disposer de l'armée du Nord pour dicter la paix à l'Autriche.

A la vérité, la révolution récente des Provinces-Unies, et la fuite du Stathouder en Angleterre, laissaient des doutes sur la possibilité de rétablir la maison d'Orange, à moins que la république française n'abandonnât le parti patriote: alternative pénible, et propre à justifier ce que nous avons dit des funestes effets du propagan

disme, auquel l'on sacrifia les calculs d'une bonne politique. Il eût été à désirer pour la cause de toute l'Europe que le Stathouder appuyé par la Prusse et par la France fût resté dans ses états en faisant au parti patriote des concessions d'autant plus justes qu'elles étaient généralement réclamées.

Ce n'était pas seulement à sauver la Hollande que Frédéric-Guillaume aurait dû borner son ambition: il semble qu'il aurait pu jouer un rôle plus important encore, en proposant une médiation armée et forçant l'Autriche d'y accéder. Le cabinet de Berlin se trouva alors dans une de ces situations décisives, où il est aisé de faire pencher la balance à son gré, et il ne sut en profiter ni pour ses intérêts ni pour ceux du genre humain. Un système plus vaste et plus ferme cût peut-être arrêté une plus longue effusion de sang, prévenu la perte des marines hollandaises et espagnoles, et enchaîné pour long-temps le despotisme maritime et le despotisme continental qui se sont successivement élevés, et dont la lutte a fait tant de mal à l'Europe.

Quelques personnes ont cru trouver l'énigme de la politique prussienne dans les nouveaux débats qui résultèrent de la prise de Varsovie par le maréchal Suwarof. Cet événement douna effectivement naissance à de nouveaux projets pour le partage définitif de la Pologne, et il est

vraisemblable que Frédéric-Guillaume se flatta d'acquérir une plus grande part aux dépouilles en se débarrassant de la guerre qui l'occupait sur le Rhin.

D'autres pensent que le cabinet de Berlin se laissa entraîner par l'espoir d'augmenter son influence sur le corps germanique qui, dès-lors, fut divisé effectivement en deux fédérations. Les états de Hanovre, de Westphalie, de HesseCassel, et peu de temps après la Saxe se rangèrent dans la ligne de neutralité tracée par la Prusse en vue de soustraire ces états aux charges et aux chances de la guerre. Une telle puis-, sance fédérative accrut considérablement la force de Frédéric-Guillaume, soit dans ses relations avec l'Autriche, soit dans celle avec la France. Ce traité de neutralité, signé le 17 mai, eut assez d'importance sur les opérations des armées, pour qu'il soit indispensable de le présenter à nos lecteurs (1).

La ligne devait s'étendre comme on le verra depuis la rive droite du Mein, jusqu'à la mer du Nord; mais par une réserve assez bizarre, l'effet en était illusoire, puisqu'elle laissait aux puissances belligérantes plusieurs routes militaires, pour aller de Francfort à Dusseldorf; ce qui facilitait aux Français l'entrée en Allemagne, et

(1) Pièces justificatives, no 1.

Hollande.

aux Impériaux les inoyens d'envahir de nouveau la Belgique.

La conquête de la Hollande, la fuite du Stathouder en Angleterre, et l'abolition de cette inagistrature héréditaire qui en avait été la suite, aplanirent toutes les difficultés qui s'opposaient à la conclusion de la paix entre les deux républiques. En effet, le 16 mars, celle des ProvincesUnies reconstituée, signa avec la France un traité d'alliance dont les principales dispositions accordaient à cette dernière 100 millions de florins à titre de paiement des frais de la guerre; la libre navigation du Rhin, de la Meuse, de l'Escaut et du Hondt; la cession de Venlo et de Maëstricht; le droit de mettre garnison perpétuelle à Flessingue; enfin, celui d'occuper Bergop-Zoom, Grave et Bois-le-Duc, en cas d'hostilités du côté du Rhin ou de la Zélande. Le contingent de la république batave fut fixé à 12 vaisseaux de ligne et 18 frégates qui devaient être employés principalement dans les mers du Nord et de la Baltique, et à moitié des troupes de terre qu'elle avait sur pied.

Ce traité généralement regardé comme des plus favorables à la France, eût été d'un effet admirable en 1787, mais dans ces fâcheuses circonstances, il achevait la ruine de la Hollande sans qu'il en résultat d'avantage réel. La force et les richesses de ce pays ne consistaient

pas

dans

sa ligne de places fortes, ni dans quelques millions de numéraire, mais bien dans ses colonies et ses comptoirs lointains. Or, la marine française se trouvant hors d'état de les couvrir dans les deux Indes, l'alliance des deux nations n'était qu'illusoire pour l'instant, et tout portait même à croire qu'elle servirait de prétexte à l'Angleterre pour s'emparer ou ruiner des établissemens qu'elle convoitait depuis tant d'années. Le moment de cette union était d'autant plus mal choisi, que loin de pouvoir se flatter d'y amener l'Espagne, le pavillon castillan flottait encore à côté de celui des Anglais, et leur assurait une supériorité incontestable. Cependant telle était la fâcheuse alternative dans laquelle l'invasion de la Hollande avait placé les deux états, que Sieyes, malgré toute son habileté, eût été embarrassé de faire mieux; car le Stathouder, allié aux Anglais, et réfugié chez eux, leur eût toujours donné un prétexte de s'emparer des établissemens maritimes à leur convenance. D'ailleurs on ne saurait nier que, si la France ne gagna pas au traité tout ce qu'on s'en promettait, elle obtint de grands avantages par la jouissance du port et des chantiers de Flessingue, par les rapports commerciaux établis en sa faveur, et les sommes qu'elle retira de la Hollande. L'article qui mettait à sa disposition la moitié des forces bataves fut plus séduisant qu'utile; car loin d'en

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