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les Français et les Anglais. Les Français y avaient fondé un commerce beaucoup plus florissant que celui des Anglais; le siège du commerce des Français se trouvait principalement sur le Sénégal, tandis que les Anglais avaient fixé le leur sur la Gambie. Nous avons, dans les deux livres qui précèdent, donné séparément l'histoire des établissements de ces deux nations dans cette région, et celle de leurs voyages jusqu'au commencement du dix-huitième siècle. Mais depuis cette époque les sciences naturelles et mathématiques sont devenues familières à un plus grand nombre d'individus; leurs progrès ont suivi ceux de l'industrie, de la navigation et du commerce. Les relations des voyageurs ont acquis un intérêt, une précision qu'elles n'avaient point auparavant. Souvent elles sont l'ouvrage non de commerçants ou d'aventuriers, mais de savants distingués. La soif de l'or n'est plus le but unique des voyages; le désir d'enrichir le domaine de la géographie, d'étendre les conquêtes de l'esprit humain, de porter à des peuples lointains les bienfaits de la civilisation, de doter la patrie d'un nouveau végétal, ou d'un animal utile, fait supporter plus de fatigues, affronter plus de dangers, et produit des exemples de constance, d'héroïsme et de courage plus fréquents et plus remarquables que n'avaient auparavant enfanté l'ambition ou le désir d'acquérir des

richesses.

Pour se conformer au plan que nous nous sommes tracé dans cet ouvrage, de donner les connaissances acquises sur chaque pays, à des époques données, il est donc nécessaire de présenter séparément ces der

nières relations, ainsi que les résumés des observations de ceux qui les ont écrites.

Par cette raison, nous allons de nouveau suivre les voyageurs français qui ont pénétré jusqu'aux sources du Sénégal et de la Gambie, et éclairé d'une vive lumière la géographie physique et l'histoire naturelle de ces régions.

Dans le livre suivant, nous ferons connaître les travaux et les belles découvertes des voyageurs anglais, dont le principal, Mungo-Park, a même franchi les limites orientales de la vaste région africaine dont nous nous occupons, et a marqué une nouvelle époque dans l'histoire des découvertes, en atteignant le premier les rives du fleuve qui coule dans le Soudan, auquel convient proprement le nom de Nigritie.

CHAPITRE I.

Histoire des établissements et des compagnies de commerce des Français en Afrique, dans le dix-huitième siècle.

Pour répandre du jour sur les relations qui vont suivre, il convient de continuer l'histoire des établissements et du commerce des Français dans la Sénégambie, commencée avec le livre IV. Brüe, ainsi que nous l'avons

vu,

avait, par son

habileté, triomphé de tous les obstacles, et établi ce commerce sur des bases solides.

Il eut pour successeur Saint-Robert, que ses infirmités obligèrent à se retirer le 25 avril 1723. Julien Debray, nommé pour lui succéder, excita contre lui tant de plaintes, que la compagnie fut obligée de le révoquer, et mit à sa place un M. Robert qui partit de Paris vers la fin de l'année 1724. On n'a aucun renseignement sur sa gestion, qui paraît avoir été de longue durée, ni sur les directeurs qui ont pu lui succéder jusqu'à David, le plus habile de tous ceux qui ont été envoyés en cette qualité dans ces contrées, après Brüe, dont il surpassa, s'il est possible, dit un de ses successeurs, les vertus, les connaissances et l'activité (1).

Un autre voyageur, M. Golberry, tout en rendant justice aux talents de David, le peint cependant sous des traits un peu différents. C'était, dit-il, un homme d'esprit, entreprenant, avide, non pas par avariçe, mais pour fournir à ses plaisirs et à ses dépenses; il était dissipateur; et, après avoir acquis de grandes richesses, il mourut à Paris un peu avant la révolution, dans un état voisin de la pauvreté (2).

Il avait, en 1741, fait un voyage en France pour exciter l'ambition de la compagnie relativement à l'exploitation des mines des pays de Galam et de Bambouk. Après avoir obtenu une décision favorable

(1) Durand, Voyage au Sénégal, fait pendant les années 1785 et 1786, t. 1, p. xxxv du Disc. prélim.

(2) Sylv. Meinrad Xavier Golberry, Fragments d'un Voyage en Afrique, t. 1, p. 465.

à ses projets, il repassa à l'île Saint-Louis, et entreprit lui-même le voyage de ces contrées considérées comme le Pérou de cette portion de l'Afrique.

Il s'embarqua sur le Sénégal, le 11 du mois de juillet 1744, avec soixante hommes, tant ouvriers que soldats; et il arriva le 6 septembre à Galam (1). Le 22 septembre il fit monter ses bateaux et tout transporter à l'île de Caignou, pour y former un premier établissement. Il alla ensuite au fort Saint-Joseph, et de là à Farbana et à la mine de Hyeratonkonné, où il recueillit de l'or par le lavage. Il dit lui-même qu'il se disposait à remonter la rivière Falemé, lorsque ayant appris, par un courrier expédié du fort Saint-Joseph, que les eaux avaient considérablement baissé, il se vit forcé de rétrograder, et fut de retour à la côte le 5 du mois de décembre. Mais, si l'on en croit Golberry, le voyage de David à Galam n'avait pas pour but réel la reconnaissance du pays de Bambouk et l'examen des mines d'or, mais une spéculation qui lui réussit parfaitement. L'année 1744 fut très sèche dans cette partie de l'Afrique. David prévit que la récolte de riz, de maïs, de fèves, de pois pistaches et de mil, serait au moins fort médiocre. Ses agents à Galam, avec des verroteries, de l'ambre, du corail, de l'agate cornaline, réussirent à tirer du Bambouk une grande partie des graines indispensables à la subsistance des habitants; et ces accaparements furent emmagasinés au fort Saint-Joseph. Il

(1) Extrait du journal de M. David, commandant la commission du Sénégal, dans Golberry, t. 1, p 471.

suscita ensuite les nègres de Casson contre les Bamboukains, dont les terres furent brûlées et ravagées et qui, dès le mois de mai, éprouvaient déjà les angoisses qu'occasionne un commencement de famine.

Durant l'irruption des sauvages Cassons, David s'était hâté d'accaparer les grains des environs de l'île Saint-Louis; et ses magasins en contenaient assez pour en charger plusieurs bateaux.

Les nègres du Bambouk, pressés par la disette, demandaient des vivres à Galam sans pouvoir en obtenir. Les agents de David répondaient que c'était au gouverneur du Sénégal qu'il fallait s'adresser; ses magasins de l'île Saint-Louis étant remplis de mil, lui seul pouvait les secourir.

Les rois de Bambouk envoyèrent alors par terre des ambassadeurs à David, pour le supplier de leur vendre du mil. Il s'était attendu à ce dénouement. Il renvoya les ambassadeurs satisfaits, et leur promit d'aller lui-même les secourir. Ce fut alors qu'il s'embarqua, suivi de plusieurs bâtiments chargés de mil. Arrivé sur les frontières du Bambouk, il fut reçu comme un sauveur par tous les habitants de ce pays affamé. Il employa deux mois à Galam et à Caignou, à traiter avec les chefs du Bambouk, et reçut de l'or

échange des denrées qu'il leur donnait. Il accomplit ainsi sa spéculation au milieu des bénédictions d'un peuple qui n'avait pas su deviner que la disette qu'il éprouvait était son ouvrage.

Golberry ajoute qu'on assure que cette opération rapporta cinq cent mille francs, dont la compagnie des Indes eut la plus petite part, David ayant gardé

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