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» attirail qui t'est étranger pour pénétrer jusqu'à » toi, qui n'es qu'un fat.

» Vous aimez, dans un combat ou pendant un » siége, à paroître en cent endroits, pour n'être » nulle part; à prévenir les ordres du général, de >> peur de les suivre; et à chercher les occasions, » plutôt que de les attendre et les recevoir: votre » valeur seroit-elle douteuse? »

que

Quelquefois une réflexion qui n'est sensée est relevée par une image ou un rapport éloigné, qui frappe. l'esprit d'une manière inattendue. « Après l'esprit de discernement, ce qu'il y a au » monde de plus rare, ce sont les diamants et les » perles. » Si La Bruyère avoit dit simplement que rien n'est plus rare que l'esprit de discernement, pas trouvé cette réflexion digne d'être

on n'auroit

écrite....

C'est par des tournures semblables qu'il sait attacher l'esprit sur des observations qui n'ont rien de neuf pour le fond, mais qui deviennent piquantes par un certain air de naïveté sous lequel il sait déguiser la satire.

« Il n'est pas absolument impossible qu'une per» sonne qui se trouve dans une grande faveur, perde son procès.

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» C'est une grande simplicité que d'apporter à » la cour la moindre roture, et de n'y être pas gen » tilhomme. »>

Il emploie la même finesse de tour dans le portrait d'un fat, lorsqu'il dit : « Iphis met du rouge, » mais rarement; il n'en fait pas habitude. >>

Il seroit difficile de n'être pas vivement frappé du tour aussi fin qu'énergique qu'il donne à la pensée suivante, malheureusement aussi vraie que profonde : « Un grand dit de Timagene votre ami » qu'il est un sot, et il se trompe. Je ne demande pas que vous répliquicz qu'il est homme d'esprit » osez seulement penser qu'il n'est pas un sot.» «

C'est dans les portraits sur-tout que La Bruyère a eu besoin de toutes les ressources de son talent. Theophraste, que La Bruyère a traduit, n'emploie pour peindre ses caractères que la forme d'énumération ou de 'description. En admirant beaucoup l'écrivain grec, La Bruyère n'a eu garde de l'imiter; ou si quelquefois il procède comme lui par énumération, il sait raniner cette forme languissante par un arti dont on ne trouve ailleurs aucun exemple: di cq5

Relisez les portraits du riche et du pauvre ** « Gitou a le teint frais, le visage plein, la démarche >> ferme, etc. Phedon a les yeux creux, le teint *» échauffé, etc.; »ët voyez comment ces mots, IL EST WICHE, IL TST PAUVRE, rejetés à la fin des deux portraits, frappent comme deux coups de lumière qui, Jen se réfléchissant sur les traits qui précèdent, y Voyez tome 1, pagé 150.

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répandent un nouveau jour et leur donnent un effet extraordinaire.

Quelle énergie dans le choix des traits dont il peint ce vieillard presque mourant, qui a la manie de planter, de bâtir, de faire des projets pour un avenir qu'il ne verra point! « Il fait bâtir une mai» son de pierres de taille, raffermie dans les en» caignures par des mains de fer, et dont il assure, » en toussant et avec une voix frêle et débile, qu'on » ne verra jamais la fin. Il se promène tous les jours » dans ses ateliers sur les bras d'un valet qui le » soulage: il montre à ses amis ce qu'il a fait, et » leur dit ce qu'il a dessein de faire. Ce n'est pas » pour ses enfants qu'il bâtit, car il n'en a point; »> ni pour ses héritiers, personnes viles et qui sont » brouillées avec lui c'est pour lui seul, et il » mourra demain. »

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Ailleurs il nous donne le portrait d'une femme aimable, comme un fragment imparfait trouvé par hasard; et ce portrait est charmant : je ne puis me refuser au plaisir d'en citer un passage. « Loin de >> s'appliquer à vous contredire avec esprit, ARTÉNICE » s'approprie vos sentiments; elle les croit siens, » elle les étend, elle les embellit : vous êtes content » de vous d'avoir pensé si bien, et d'avoir mieux >> dit encore que vous n'aviez cru. Elle est toujours » au-dessus de la vanité, soit qu'elle parle, soit qu'elle écrive: elle oublie les traits où il faut des

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» raisons; elle a déjà compris que la simplicité peut » être éloquente. »

Comment donnera-t-il plus de saillie au ridicule d'une femme du monde qui ne s'aperçoit pas qu'elle vicillit, et qui s'étonne d'éprouver la foiblesse et les incommodités qu'amènent l'âge et une vie trop molle? Il en fait un apologue. C'est IRENE qui va au temple d'Epidaure consulter Esculape. D'abord elle se plaint qu'elle est fatiguée: << L'oracle » prononce que c'est par la longueur du chemin qu'elle vient de faire. Elle déclare que le vin lui >> est nuisible; l'oracle lui dit de boire de l'eau. Ma >> vue s'affoiblit, dit Irene. Prenez des lunettes, dit

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Esculape. Je m'affoiblis moi-même, continue. » t-elle; je ne suis ni si forte, ni si saine que je l'ai » été. C'est, dit le dieu, que vous vieillissez. Mais » quel moyen de guérir de cette langueur? Le plus » court, Irene, c'est de mourir, comme ont fait >> votre mère et votre aïeule. » A ce dialogue, d'une tournure naïve et originale, substituez une simple description à la manière de Théophraste; et vous verrez comment la même pensée peut paroître commune ou piquante, suivant que l'esprit et l'imagination sont plus ou moins intéressés par les idées et les sentiments accessoires dont l'écrivain a su l'embellir.

La Bruyère emploie souvent cette forme d'apologue, et presque toujours avec autant d'esprit que

de goût. Il y a peu de chose dans notre langue d'aussi parfait que l'histoire d'ÉMIRE*. C'est un petit roman plein de finesse, de grace, et même d'intérêt.

Ce n'est pas seulement par la nouveauté et par la variété des mouvements et des tours que le talent de La Bruyère se fait remarquer; c'est encore par un choix d'expressions vives, figurées, pittoresques; c'est sur-tout par ces heureuses alliances de mots, ressource féconde des grands écrivains, dans une langue qui ne permet pas, comme presque toutes les autres, de créer ou de composer des mots, ni d'en transplanter d'un idiome étranger.

<< Tout excellent écrivain est excellent peintre,» dit La Bruyère lui-même, et il le prouve dans tout le cours de son livre. Tout vit et s'anime sous son pinceau, tout y parle à l'imagination : « La véri» table grandeur se laisse TOUCHER ET MANIER..... >> elle SE COURBE avec bonté vers ses inférieurs, et » REVIENT sans effort à son naturel. »

<< Il n'y a rien, dit-il ailleurs, qui mette plus » subitement un homme à la mode, et qui le sou» LÈVE davantage, que le grand jeu.

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Veut-il peindre ces hommes qui n'osent avoir un avis sur un ouvrage, avant de savoir le jugement du public: « Ils ne hasardent point leurs suf

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frages. Ils veulent être PORTÉS PAR LA FOULE,

» et ENTRAÎNÉS par la multitude: »

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