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bien à ce qu'on aime? ne seroit-il pas dur et pénible de ne leur en point faire?

Il y a du plaisir à rencontrer les yeux de celui à qui l'on vient de donner.

Je ne sais si un bienfait qui tombe sur un ingrat, ct ainsi sur un indigne, ne change pas de nom, et s'il méritoit plus de reconnoissance.

La libéralité consiste moins à donner beaucoup. qu'à donner à propos.

S'il est vrai que la pitié ou la compassion soit un retour vers nous-mêmes, qui nous met en la place des malheureux, pourquoi tirent-ils de nous si peu de soulagement dans leurs misères ?

Il vaut mieux s'exposer à l'ingratitude que de manquer aux misérables.

L'expérience confirme que la mollesse ou l'indulgence pour soi et la dureté pour les autres n'est qu'un seul et même vice.

Un homme dur au travail et à la peine, inexorable à soi-même, n'est indulgent aux autres que par un excès de raison.

Quelque désagrément qu'on ait à se trouver chargé d'un indigent, l'on goûte à peine les nouveaux avantages,qui le tirent enfin de notre sujétion: de même la joie que l'on reçoit de l'élévation de son ami est un peu balancée par la petite peine qu'on a de le voir au-dessus de nous, ou s'égaler à nous. Ainsi l'on s'accorde mal avec soi-même, car l'on veut des dépendants, et qu'il n'en coûte rien: l'on veut aussi le bien de ses amis; et s'il arrive,

ce n'est pas toujours par s'en réjouir que l'on com

menco.

On convie, on invite, on offre sa maison, sa table, son bien et ses services: rien ne coûte qu'à tenir parole.

C'est assez pour soi d'un fidèle ami; c'est même beaucoup de l'avoir rencontré : on ne peut en avoir trop pour le service des autres.

Quand on a assez fait auprès de certaines per sonnes pour avoir dû se les acquérir, si cela ne réussit point, il y a encore une ressource, qui est de ne plus rien faire.

Vivre avec ses ennemis comme s'ils devoient un jour être nos amis, et vivre avec nos amis comme s'ils pouvoient devenir nos ennemis, n'est ni selon la nature de la haine, ni selon les règles de l'amitié : : ce n'est point une maxime morale, mais po- . litique.

On ne doit pas se faire des ennemis de ceux qui, mieux connus, pourroient avoir rang entre nos amis. On doit faire choix d'amis si sûrs et d'une si exacte probité, que, venant à cesser de l'être, ils ne veuillent pas abuser de notre confiance, ni se faire craindre comme nos ennemis.

Il est doux de voir ses amis par goût et par estime; il est pénible de les cultiver par intérêt, c'est solliciter.

Il faut briguer la faveur de ceux à qui l'on veut du bien, plutôt que de ceux de qui l'on espère du bien.

On ne vole point des mêmes ailes pour sa for tune, que l'on fait pour des choses frivoles et de fantaisie. Il y a un sentiment de liberté à suivre ses caprices, et tout au contraire de servitude à courir pour son établissement il est naturel de le souhaiter beaucoup et d'y travailler peu, de se croire digne de le trouver sans l'avoir cherché.

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Celui qui sait attendre le bien qu'il souhaite, ne prend pas le chemin de se désespérer s'il ne lui arrive pas; et celui au contraire qui desire une chose avec une grande impatience, y met trop du sien pour en être assez récompensé par le succès.

Il y a de certaines gens qui veulent si ardemment et si déterminément une certaine chose, que de peur de la manquer, ils n'oublient rien de ce qu'il faut faire pour la manquer.

Les choses les plus souhaitées n'arrivent point; ou si elles arrivent, ce n'est ni dans le temps, ni dans les circonstances où elles auroient fait un extrême plaisir.

Il faut rire avant que d'être heureux, de peur de mourir sans avoir ri.

La vie est courte, si elle ne mérite ce nom que lorsqu'elle est agréable; puisque si l'on cousoit ensemble toutes les heures que l'on passe avec ce qui plaît, l'on feroit à peine d'un grand nombre d'années une vie de quelques mois.

Qu'il est difficile d'être content de quelqu'un ! On ne pourroit se défendre de quelque joie à voir périr un méchant homme; l'on jouiroit alors

du fruit de sa haine, et l'on tireroit de lui tout ce qu'on en peut espérer, qui est le plaisir de sa perte. Sa mort enfin arrive, mais dans une conjoncture où nos intérêts ne nous permettent pas de nous en réjouir il meurt trop tôt ou trop tard.

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Il est pénible à un homme fier de pardonner à celui qui le surprend en faute, et qui se plaint de lui avec raison: sa fierté ne s'adoucit que lorsqu'il reprend ses avantages, et qu'il met l'autre dans

son tort.

Comme nous nous affectionnons de plus en plus aux personnes à qui nous faisons du bien, de même nous haïssons violemment ceux que nous avons beaucoup offensés.

Il est également difficile d'étouffer dans les commencements le sentiment des injures, et de le conserver après un certain nombre d'années.

C'est par foiblesse que l'on hait un ennemi et que l'on songe à s'en venger; et c'est par paresse que l'on s'appaise et qu'on ne se venge point.

Il y a bien autant de paresse que de foiblesse à se laisser gouverner.

Il ne faut pas penser à gouverner un homme tout d'un coup et sans autre préparation dans une affaire importante et qui seroit capitale à lui ou aux siens: il sentiroit d'abord l'empire et l'ascendant qu'on veut prendre sur son esprit, et il secoueroit le joug par honte ou par caprice. Il faut tenter auprès de lui les petites choses; et de là le progrès, jusqu'aux plus grandes, est immanquable. Tel ne

pouvoit au plus dans les commencements qu'entreprendre de le faire partir pour la campagne ou retourner à la ville, qui finit par lui dicter un testament où il réduit son fils à la légitime.

Pour gouverner quelqu'un long-temps et absolument, il faut avoir la main légère, et ne lui faire sentir que le moins qu'il se peut sa dépendance.

Tels se laissent gouverner jusqu'à un certain point, qui au-delà sont intraitables et ne se gouvernent plus: on perd tout-à-coup la route de leur cœur et de leur esprit : ni hauteur, ni souplesse, ni force, ni industrie, ne les peuvent domter; avec cette différence que quelques uns sont ainsi faits par raison et avec fondement, et quelques autres par tempérament et par humeur.

Il se trouve des hommes qui n'écoutent ni la raison ni les bons conseils, et qui s'égarent volon tairement par la crainte qu'ils ont d'être gouvernés.

D'autres consentent d'être gouvernés par leurs amis en des choses presque indifférentes, et s'en font un droit de les gouverner à leur tour en des choses graves et de conséquence.

Drance! veut passer pour gouverner son maître, qui n'en croit rien non plus que le public: parler sans cesse à un grand que l'on sert, en des lieux et en des temps où il convient le moins, lui parler à l'oreille ou en des termes mystérieux, rire jusqu'à éclater en sa présence, lui couper la parole, se mettre entre lui et ceux qui lui parlent, dédaigner ceux qui viennent faire leur cour, ou attendre

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