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que tout lui sied bien, et que sa parure est assortie, qu'il croit que tous les yeux sont ouverts sur lui, et que les hommes se relayent pour le contempler.

Celui qui, logé chez soi dans un palais avec deux appartements pour les deux saisons, vient coucher au Louvre dans un entresol, n'en use pas ainsi par modestie. Cet autre, qui pour conserver une taille fine s'abstient de vin, et ne fait qu'un seul repas. n'est ni sobre, ni tempérant; et d'un troisième qui, importuné d'un ami pauvre, lui donne enfin quelque secours, l'on dit qu'il achète son repos, et nullement qu'il est libéral. Le motif seul fait le mérite des actions des hommes, et le désintéressement y met la perfection.

La fausse grandeur1 est farouche et inaccessible; comme elle sent son foible, elle se cache, ou du moins ne se montre pas de front, et ne se fait voir qu'autant qu'il faut pour imposer et ne paroître point ce qu'elle est, je veux dire une vraie petitesse. La véritable grandeur 2 est libre, douce, familière, populaire. Elle se laisse toucher et manier, elle ne perd rien à être vue de près : plus on la connoît, plus on l'admire. Elle se courbe par bonté vers ses inférieurs, et revient sans effort dans son naturel. Elle s'abandonne quelquefois, se néglige, se relâche de ses avantages, toujours en pouvoir de les reprendre, et de les faire valoir : elle rit, joue et badine, mais avec dignité. On l'approche tout ensemble avec liberté et avec retenue. Son caractère est noble et facile, inspire le respect et la

confiance, et fait que les princes nous paroissent grands et très-grands, sans nous faire sentir nous sommes petits.

que

Le sage guérit de l'ambition par l'ambition même : il tend à de si grandes choses, qu'il ne peut se borner à ce qu'on appelle des trésors, des postes, la fortune et la faveur. Il ne voit rien dans de si foibles avantages qui soit assez bon et assez solide pour remplir son cœur, et pour mériter ses soins et ses desirs il a même besoin d'efforts pour ne les pas trop dédaigner. Le seul bien capable de le tenter est cette sorte de gloire qui devroit naître de la vertu toute pure et toute simple: mais les hommes ne l'accordent guère; et il s'en passe.

Celui-là est bon qui fait du bien aux autres : s'il souffre pour le bien qu'il fait, il est très-bon : s'il souffre de ceux à qui il a fait ce bien, il a une si grande bonté qu'elle ne peut être augmentée que dans le cas où ses souffrances viendroient à croître: et s'il en meurt, sa vertu ne sauroit aller plus loin, elle est héroïque, elle est parfaite.

CHAPITRE III.

DES FEMMES.

Les hommes et les femmes conviennent rarement sur le mérite d'une femme; leurs intérêts sont trop différents. Les femmes ne se plaisent point les unes aux autres par les mêmes agréments qu'elles plaisent aux hommes: mille manières qui allument dans ceuxci les grandes passions, forment entre elles l'aversion et l'antipathic.

Il y a dans quelques femmes une grandeur artificielle, attachée au mouvement des yeux, à un air de tête, aux façons de marcher, et qui ne va pas plus loin; un esprit éblouissant qui impose, et que l'on n'estime que parce qu'il n'est pas approfondi. Il y a dans quelques autres une grandeur simple, naturelle, indépendante du geste et de la démarche, qui a sa source dans le cœur, et qui est comme une suite de leur haute naissance; un mérite paisible, mais solide, accompagné de mille vertus qu'elles ne peuvent couvrir de toute leur modestie, qui échappent, et qui se montrent à ceux qui ont des yeux.

J'ai vu souhaiter d'être fille, et une belle fille, depuis treize ans jusques à vingt-deux, et après cet âge de devenir un homme.

Quelques jeunes personnes ne connoissent point

assez les avantages d'une heureuse nature, et combien il leur seroit utile de s'y abandonner. Elles affoiblissent ces dons du ciel si rares et si fragiles par des manières affectées, et par une mauvaise imitation. Leur son de voix et leur démarche sont empruntés: elles se composent, elles se recherchent, regardent dans un miroir si elles s'éloignent assez de leur nature: ce n'est pas sans peine qu'elles plaisent moins.

Chez les femmes, se parer et se farder n'est pas, je l'avoue, parler contre sa pensée: c'est plus aussi que le travestissement et la mascarade, où l'on ne se donne point pour ce que l'on paroît être, mais où l'on pense seulement à se cacher et à se faire ignorer c'est chercher à imposer aux yeux, et vouloir paroître selon l'extérieur contre la vérité : c'est une espèce de menterie.

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Il faut juger des femmes depuis la chaussure jusqu'à la coeffure exclusivement, à-peu-près conme on mesure le poisson entre queue et tête.

Si les femmes veulent seulement être belles à leurs propres yeux et se plaire à elles-mêmes, elles peuvent sans doute, dans la manière de s'embellir, dans le choix des ajustements et de la parure, suivre leur goût et leur caprice: mais si c'est aux hommes qu'elles désirent de plaire, si c'est pour eux qu'elles se fardent ou qu'elles s'enluminent, j'ai recueilli les voix, et je leur prononce, de la part de tous les hommes ou de la plus grande partie, que le Llano et le rouge les rend affreuses et dégoûtantes, que le

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rouge seul les vieillit et les déguise ; qu'ils haïssent autant à les voir avec de la céruse sur le visage, qu'avec de fausses dents en la bouche, et des boules de cire dans les mâchoires; qu'ils protestent sérieusement contre tout l'artifice dont elles usent pour se rendre laides; et que bien loin d'en répondre devant Dieu, il semble au contraire qu'il leur ait réservé ce dernier et infaillible moyen de guérir

des femmes.

Si les femmes étoient telles naturellement qu'elles le deviennent par artifice, qu'elles perdissent en un moment toute la fraîcheur de leur teint, qu'elles eussent le visage aussi allumé et aussi plombéqu'elles se le font par le rouge et par la peinture dont elles se fardent, elles seroient inconsolables.

Une femme coquette ne se rend point sur la passion de plaire, et sur l'opinion qu'elle a de sa beauté. Elle regarde le temps et les années comme quelque chose seulement qui ride et qui enlaidit les autres femmes : elle oublie du moins que l'âge est écrit sur le visage. La même parure qui a autrefois embelli sa jeunesse, défigure enfin sa personne, éclaire les défauts de sa vieillesse. La mignardise et l'affectation l'accompagnent dans la douleur et dans la fièvre : elle meurt parée et en rubans de couleur.

Lise1 entend dire d'une autre coquette qu'elle se moque de se piquer de jeunesse et de vouloir user d'ajustements qui ne conviennent plus à une femme de quarante ans. Lise les a accomplis, mais

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