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l'application qu'il a à son devoir par le plaisir qu'il sent à le faire, et se désintéresse sur les éloges, l'estime et la reconnoissance qui lui manquent quelquefois.

Si j'osois faire une comparaison entre deux conditions tout-à-fait inégales, je dirois qu'un homme de cœur pense à remplir ses devoirs, à-peu-près comme le couvreur songe à couvrir : ni l'un ni l'autre ne cherchent à exposer leur vie, ni ne sont détournés par le péril: la mort pour eux est un inconvénient dans le métier, et jamais un obstacle. Le premier aussi n'est guère plus vain d'avoir paru à la tranchée, emporté un ouvrage, ou forcé un retranchement, que celui-ci d'avoir monté sur de hauts combles, ou sur la pointe d'un clocher. Ils ne sont tous deux appliqués qu'à bien faire, pendant que le fanfaron travaille à ce que l'on dise de lui qu'il a bien fait.

La modestie est au mérite ce que les ombres sont aux figures dans un tableau : elle lui donne de la force et du relief.

Un extérieur simple est l'habit des hommes vulgaires, il est taillé pour eux et sur leur mesure : mais c'est une parure pour ceux qui ont rempli leur vie de grandes actions : je les compare à une beauté négligée, mais plus piquante.

Certains hommes contents d'eux-mêmes, de quelque action ou de quelque ouvrage qui ne leur a pas mal réussi, et ayant oui dire que la modestie sied bien aux grands hommes, osent être modestes;

contrefont les simples et les naturels; semblables à ces gens d'une taille médiocre qui se baissent aux portes de peur de se heurter.

cer,

:

Votre fils est bègue1, ne le faites pas monter sur la tribune. Votre fille est née pour le monde, ne l'enfermez pas parmi les vestales. Xantus, votre affranchi, est foible et timide, ne différez pas, retirez-le des légions et de la milice. Je veux l'avandites-vous comblez-le de biens, surchargezle'de terres, de titres et de possessions, servez-vous du temps, nous vivons dans un siècle où elles lui feront plus d'honneur que la vertu. Il m'en coûte. roit trop, ajoutez-vous parlez-vous sérieusement, Crassus3? Songez-vous que c'est une goutte d'eau que vous puisez du Tibre pour enrichir Xantus que vous aimez, et pour prévenir les honteuses suites d'un engagement où il n'est pas propre ?

Il ne faut regarder dans ses amis que la seule vertu qui nous attache à eux, sans aucun examen de leur bonne ou de leur mauvaise fortune; et quand on se sent capable de les suivre dans leur disgrace, il faut les cultiver hardiment et avec confiance jusques dans leur plus grande prospérité.

S'il est ordinaire d'être vivement touché des choses rares, pourquoi le sommes-nous si peu de la vertu?

S'il est heureux d'avoir de la naissance, il ne l'est pas moins d'être tel qu'on ne s'informe plus si vous

en avez.

Il apparoît de temps en temps sur la face de la terre des hommes rares, exquis, qui brillent par leur vertu, et dont les qualités éminentes jettent un éclat prodigieux. Semblables à ces étoiles extraordinaires dont on ignore les causes, et dont on sait encore moins ce qu'elles deviennent après avoir disparu, ils n'ont ni aïeuls ni descendants, ils composent seuls toute leur race.

Le bon esprit nous découvre notre devoir, notre engagement à le faire; et s'il y a du péril, avec péril i inspire le courage, ou il y supplée.

:

Quand on excelle dans son art, et qu'on lui donne toute la perfection dont il est capable, l'on en sort en quelque manière; et l'on s'égale à ce qu'il y a de plus noble et de plus relevé. V** 2 est un peintre, C** un musicien, et l'auteur de Pyrame est un poëte : mais Mignard est Mignard, Lulli est Lulli, et Corneille est Corneille.

Un homme libre, et qui n'a point de femme, s'il a quelque esprit, peut s'élever au-dessus de sa fortune, se mêler dans le monde, et aller de pair avec les plus honnêtes gens : cela est moins facile à celui qui est engagé : il semble que le mariage met tout le monde dans son ordre.

Après le mérite personnel3, il faut l'avouer, ce sont les éminentes dignités et les grands titres dont les hommes tirent plus de distinction et plus d'éclat; et qui ne sait être un Érasme doit penser à être évêque. Quelques uns4, pour étendre leur renommée, entassent sur leurs personnes des pairies, des

colliers d'ordre, des primaties, la pourpre, et ils auroient besoin d'une tiare: mais quel besoin a Benigne d'être cardinal?

L'or éclate, dites-vous, sur les habits de Philémon2: il éclate de même chez les marchands. Il est habillé des plus belles étoffes : le sont-elles moins toutes déployées dans les boutiques et à la pièce? Mais la broderie et les ornements y ajoutent encore la magnificence: je loue donc le travail de l'ouvrier. Si on lui demande quelle heure il est, il tire une montre qui est un chef-d'œuvre : la garde de son épée est un onyx : il a au doigt un gros diamant qu'il fait briller aux yeux, et qui est parfait : il ne lui manque aucune de ces curieuses bagatelles que l'on porte sur soi autant pour la vanité que pour l'usage; et il ne se plaint non plus toute sorte de parure qu'un jeune homme qui a épousé une riche vieille. Vous m'inspirez enfin de la curiosité, il faut voir du moins des choses si précieuses: envoyezmoi cet habit et ces bijoux de Philémon, je vous quitte de la personne.

Tu te trompes, Philémon, si avec ce carrosse brillant, ce grand nombre de coquins qui te suivent, et ces six bêtes qui te traînent, tu penses que l'on t'en estime davantage. L'on écarte tout cet attirail qui t'est étranger, pour pénétrer jusques à toi, qui n'es qu'un fat.

Ce n'est pas qu'il faut3 quelquefois pardonner à celui qui, avec un grand cortége, un habit riche et un magnifique équipage, s'en croit plus de naissance

et plus d'esprit : il lit cela dans la contenance et dans les yeux de ceux qui lui parlent.

Un homme à la cour1, et souvent à la ville, qui a un long manteau de soie ou de drap de Hollande, une ceinture large et placée haut sur l'estomac, le soulier de maroquin, la calotte de même, d'un beau grain, un collet bien fait et bien empesé, les cheveux arrangés et le teint vermeil, qui avec cela se souvient de quelques distinctions métaphysiques, explique c'est que la lumière de gloire, et sait préci sément comment l'on voit Dieu; cela s'appelle un docteur. Une personne humble qui est ensevelie dans le cabinet, qui a médité, cherché, consulté, confronté, lu ou écrit pendant toute sa vie, est un homme docte.

ce que

Chez nous le soldat est brave; et l'homme de robe est savant : nous n'allons pas plus loin. Chez les Romains l'homme de robe étoit brave; et le soldat étoit savant: un Romain étoit tout ensemble et le soldat et l'homme de robe.

Il semble que le héros est d'un seul métier, qui est celui de la guerre; et que le grand homme est de tous les métiers, ou de la robe, ou de l'épée, ou du cabinet, ou de la cour : l'un et l'autre mis ensemble ne pèsent pas un homme de bien.

Dans la guerre, la distinction entre le héros et le grand homme est délicate: toutes les vertus militaires font l'un et l'autre. Il semble néanmoins que le premier soit jeune, entreprenant, d'une haute valeur, ferme dans les périls, intrépide ; que l'autre

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