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Marot et Rabelais sont inexcusables d'avoir semé l'ordure dans leurs écrits: tous deux avoient assez de génie et de naturel pour pouvoir s'en passer, même à l'égard de ceux qui cherchent moins à admirer qu'à rire dans un auteur. Rabelais sur-tout est incompréhensible. Son livre est une énigme, quoi qu'on veuille dire, inexplicable : c'est une chimère, c'est le visage d'une belle femme avec des pieds et une queue de serpent, ou de quelque autrè bête plus difforme : c'est un monstrueux assemblage d'une morale fine et ingénieuse et d'une sale corruption. Où il est mauvais, il passe bien loin au-delà du pire, c'est le charme de la canaille : où il est bon, va jusques à l'exquis et à l'excellent, il peut être le mets des plus délicats.

Deux écrivains dans leurs ouvrages ont blâmé Montaigne, que je ne crois pas, aussi bien qu'eux, exempt de toute sorte de blâme: il paroît que tous deux ne l'ont estimé en nulle manière. L'un ne pensoit pas assez pour goûter un auteur qui pense beaucoup : l'autre pense trop subtilement pour s'accommoder des pensées qui sont naturelles.

Un style grave, sérieux, scrupuleux, va fort loin on lit Amyot et Coeffeteau : lequel lit-on de leurs contemporains? Balzac, pour les termes et pour l'expression, est moins vieux que Voiture: mais si ce dernier pour le tour, pour l'esprit, et pour le naturel n'est pas moderne, et ne ressemble en rien à nos écrivains, c'est qu'il leur a été plus facile de le négliger que de l'imiter; et que le petit

nombre de ceux qui courent après lui, ne peut l'atteindre.

Le Mercure Galant'est immédiatement au des

sous du rien : il y a bien d'autres ouvrages qui lui ressemblent. Il y a autant d'invention à s'enrichir par un sot livre, qu'il y a de sottise à l'acheter : c'est ignorer le goût du peuple, que de ne pas sarder quelquefois de grandes fadaises.

ha

L'on voit bien que l'opéra est l'ébauche d'un grand spectacle : il en donne l'idée.

Je ne sais pas comment l'opéra, avec une musique si parfaite et une dépense toute royale, a pu réussir à m'ennuyer.

Il y a des endroits dans l'opéra qui laissent en desirer d'autres. Il échappe quelquefois de souhaiter la fin de tout le spectacle : c'est faute de théâtre, d'action, et de choses qui intéressent

L'opéra jusques à ce jour n'est pas un poëme, ce sont des vers; ni un spectacle depuis que les machines ont disparu par le bon ménage d'Amphion' et de sa race: c'est un concert, ou ce sont des voix soutenues par des instruments. C'est prendre le change, et cultiver un mauvais goût que de dire, comme l'on fait, que la machine n'est qu'un amusement d'enfants, et qui ne convient qu'aux marionnettes : elle augmente et embellit la fiction, soutient dans les spectateurs cette douce illusion qui est tout le plaisir du théâtre, où elle jette encore le merveilleux. Il ne faut point de vols, ni de chars, ni de changements aux Bérénices et à Pénélope, il

en faut aux opéra : et le propre de ce spectacle est de tenir les esprits, les yeux et les oreilles dans un égal enchantement.

:

que

Ils ont fait le théâtre1ces empressés, les machines, les ballets, les vers, la musique, tout le spectacle, jusqu'à la salle où s'est donné le spectacle, j'entends le toit et les quatre murs dès leurs fondements qui doute la chasse sur l'eau, l'enchantement de la table*, la merveille** du labyrinthe ne soient encore de leur invention? J'en juge par le mouvement qu'ils se donnent, et par l'air content dont ils s'applaudissent sur tout le succès. Si je me trompe, et qu'ils n'aient contribué en rien à cette fête si superbe, si galante, si long-temps soutenue, et où un seul a suffi pour le projet et pour la dépense, j'admire deux choses, la tranquillité et le flegme de celui qui a tout remué, comme l'embarras et l'action de ceux qui n'ont rien fait.

Les connoisseurs1ou ceux qui se croyant tels, se donnent voix délibérative et décisive sur les spectacles, se cantonnent aussi, et se divisent en des partis contraires, dont chacun, poussé par un tout autre intérêt que par celui du public ou de l'équité, admire un certain poëme ou une certain. musique, et siffle toute autre. Ils nuisent également par cette chaleur à défendre leurs préventions,

Rendez-vous de chasse dans la forêt de Chantilly.

** Collation très-ingénieuse donnée dans le labyrinthe de Chantilly.

et à la faction opposée, et à leur propre cabale : ils découragent par mille contradictions les poëtes et les musiciens, retardent les progrès des sciences et des arts, en leur ôtant le fruit qu'ils pourroient tirer de l'émulation et de la liberté qu'auroient plusieurs excellents maîtres de faire chacun dans leur genre, et selon leur génie, de très-beaux

ouvrages.

D'où vient l'on rit si librement au théâtre, que et que l'on a honte d'y pleurer? Est-il moins dans la nature de s'attendrir sur le pitoyable que d'éclater sur le ridicule? Est-ce l'altération des traits qui nous retient? Elle est plus grande dans un ris immodéré que dans la plus amère douleur; et l'on détourne son visage pour rire comme pour pleurer en la présence des grands, et de tous ceux que l'on respecte. Est-ce une peine que l'on sent à laisser voir que l'on est tendre, et à marquer quelque foiblesse, sur-tout en un sujet faux, et dont il semble que l'on soit la dupe? Mais sans citer les personnes graves ou les esprits forts qui trouvent du foible dans un ris excessif comme dans les pleurs, et qui se les défendent également; qu'attend-on d'une scène tragique? qu'elle fasse rire? et d'ailleurs la vérité n'y règne-t-elle pas aussi vivement par ses images que dans le comique? l'ame ne va-t-elle pas jusqu'au vrai dans l'un et l'autre genre avant que de s'émouvoir? est-elle même si aisée à contenter? ne lui faut-il pas encore le vraisemblable? Comme douc ce n'est point une

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chose bizarre d'entendre s'élever de tout un amphithéâtre un ris universel sur quelque endroit d'une comédie, et que cela suppose au contraire qu'il est plaisant et très-naïvement exécuté: aussi l'extrême violence que chacun se fait à contraindre ses larmes, et le mauvais ris dont on veut les couvrir, prouvent clairement que l'effet naturel du grand tragique seroit de pleurer tout franchement et de concert à la vue l'un de l'autre, et sans autre embarras que d'essuyer ses larmes : outre qu'après être convenu de s'y abandonner, éprouveroit encore qu'il y a souvent moins lieu de craindre de pleurer au théâtre, que de s'y morfondre.

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Le poëme tragique vous serre le cœur dès son commencement, vous laisse à peine dans tout son progrès la liberté de respirer et le temps de vous remettre; ou s'il vous donne quelque relâche, c'est pour vous replonger dans de nouveaux abîmes et dans de nouvelles alarmes. Il vous conduit à la terreur par la pitié, ou réciproquement à la pitié par le terrible; vous mène par les larmes, par les sanglots, par l'incertitude, par l'espérance, par la crainte, par les surprises et par l'horreur, jusqu'à la catastrophe. Ce n'est donc pas un tissu de jolis sentiments, de déclarations tendres, d'entretiens galants, de portraits agréables, de mots doucereux, ou quelquefois assez plaisants pour faire rire, suivi à la vérité d'une dernière scène où les 2 mutins n'entendent aucune raison, et où pour la bienséance

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