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embarrasse fort ceux qui sont ses amis, et qui ne veulent pas le mépriser.

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Un Pamphile est plein de lui-même, ne se perd pas de vue, ne sort point de l'idée de sa grandeur, de ses alliances, de sa charge, de sa dignité: il ramasse, pour ainsi dire, toutes ses pièces, s'en enveloppe pour se faire valoir : il dit, Mon ordre, mon cordon bleu; il l'étale ou il le cache par ostentation: un Pamphile, en un mot, veut être grand, il croit l'être, il ne l'est pas, il est d'après un grand. Si quelquefois il sourit à un homme du dernier ordre, à un homme d'esprit, il choisit son temps si juste qu'il n'est jamais pris sur le fait aussi la rougeur lui monteroit-elle au visage, s'il étoit malheureusement surpris dans la moindre familiarité avee quelqu'un qui n'est ni opulent, ni puissant, ni ami d'un ministre, ni son allié, ni son domes. tique : il est sévère et inexorable à qui n'a point encore fait sa fortune : il vous apperçoit un jour dans une galerie, et il vous fuit; et le lendemain s'il vous trouve en un endroit moins public, ou, s'il est public, en la compagnie d'un grand, il prend courage, il vient à vous, et il vous dit : Vous ne faisiez hier semblant de me voir. Tantôt il vous pas quitte brusquement pour joindre un seigneur ou un premier commis; et tantôt s'il les trouve avec vous en conversation, il vous coupe et vous les enlève. Vous l'abordez une autre fois, et il ne s'arrête pas; il se fait suivre, vous parle si haut, que c'est une scène pour ceux qui passent: aussi les Pamphiles

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sont-ils toujours comme sur un théâtre; gens nourris dans le faux, qui ne haïssent rien tant que d'être naturels; vrais personnages de comédie, des Floridors, des Mondoris.

On ne tarit point sur les Pamphiles : ils sont bas et timides devant les princes et les ministres, pleins de hauteur et de confiance avec ceux qui n'ont que de la vertu : muets et embarrassés avec les savants; vifs, hardis et décisifs avec ceux qui ne savent rien. Ils parlent de guerre à un homme de robe, et de politique à un financier : ils savent l'histoire avec les femmes ils sont poëtes avec un docteur, et géomètres avec un poëte. De maximes ils ne s'en chargent pas, de principes encore moins: ils vivent à l'aventure, poussés et entraînés par le vent de la faveur, et par l'attrait des richesses. Ils n'ont point d'opinion qui soit à eux, qui leur soit propre, ils en empruntent à mesure qu'ils en ont besoin; et celui à qui ils ont recours, n'est guère un homme sage, ou habile, ou vertueux, c'est un homme à la mode.

Nous avons pour les grands et pour les gens én place une jalousie stérile, ou une haine impuissante, qui ne nous venge point de leur splendeur et de leur élévation, et qui ne fait qu'ajouter à notre propre misère le poids insupportable du bonheur d'autrui que faire contre une maladie de l'ame'si invétérée et si contagieuse? Contentons-nous de peu, et de moins encore, s'il est possible : sachons perdre dans l'occasion, la recette est infaillible, et

je consens à l'éprouver : j'évite par-là d'apprivoiser un suisse ou de fléchir un commis, d'être repoussé à une porte par la foule innombrable de clients ou de courtisans dont la maison d'un ministre se dégorge plusieurs fois le jour, de languir dans sa salle d'audience, de lui demander en tremblant et en balbutiant une chose juste, d'essuyer sa gravité, son ris amer, et son laconisme. Alors je ne le hais plus, je ne lui porte plus d'envie : il ne me fait aucune prière, je ne lui en fais pas : nous sommes égaux, si ce n'est peut-être qu'il n'est pas tranquille, et que je le suis.

Si les grands ont des occasions de nous faire du bien, ils en ont rarement la volonté; et s'ils desirent de nous faire du mal, ils n'en trouvent pas toujours les occasions. Ainsi l'on peut être trompé dans l'espèce de culte qu'on leur rend, s'il n'est fondé que sur l'espérance, ou sur la crainte : et une longue vie se termine quelquefois, sans qu'il arrive de dépendre d'eux pour le moindre intérêt, ou qu'on leur doive sa bonne ou sa mauvaise fortune. Nous devons les honorer parce qu'ils sont grands, et que nous sommes petits; et qu'il y en a d'autres plus petits que nous, qui nous honorent.

A la cour, à la ville, mêmes passions, mêmes foiblesses, mêmes petitesses, mêmes travers d'esprit, mêmes brouilleries dans les familles et entre les proches, mêmes envies, mêmes antipathies: partout des brus et des belles-mères, des maris et des femmes, des divorces, des ruptures, et de mauvais

raccommodements: : par-tout des humeurs, des colères, des partialités, des rapports, et ce qu'on appelle de mauvais discours : avec de bons yeux on voit sans peine la petite ville, la rue Saint-Denis comme transportées à Versailles ou à Fontainebleau. Ici l'on croit se haïr avec plus de fierté et de hauteur, et peut-être avec plus de dignité : on se nuit réciproquement avec plus d'habileté et de finesse; les colères sont plus éloquentes, et l'on se dit des injures plus poliment et en meilleurs termes; l'on n'y blesse point la pureté de la langue; l'on n'y offense que les hommes ou que leur réputation tous les dehors du vice y sont spécieux, mais le fond, encore une fois, y est le même que dans les conditions les plus ravalées : tout le bas, tout le foible et tout l'indigne s'y trouvent. Ces hommes si grands ou par leur naissance, ou par leur faveur, ou par leurs dignités, ces têtes si fortes et si habiles, ces femmes si polies et si spirituelles, tous méprisent le peuple, et ils sont peuple.

Qui dit le peuple dit plus d'une chose; c'est une vaste expression, et l'on s'étonneroit de voir ce qu'elle embrasse, et jusques où elle s'étend. Il y a le peuple qui est opposé aux grands, c'est la populace et la multitude: il y a le peuple qui est opposé aux sages, aux habiles et aux vertueux, ce sont les grands comme les petits.

Les grands se gouvernent par sentiment : ames oisives sur lesquelles tout fait d'abord une vive impression. Une chose arrive, ils en parlent trop,

bientôt ils en parlent peu, ensuite ils n'en parlent plus, et ils n'en parleront plus : action, conduite, ouvrage, événement, tout est oublié: ne leur demandez ni correction, ni prévoyance, ni réflexion, ni reconnoissance, ni récompense.

L'on se porte aux extrémités opposées à l'égard de certains personnages. La satire, après leur mort, court parmi le peuple, pendant que les voûtes des temples retentissent de leurs éloges. Ils ne méritent quelquefois ni libelles ni discours funèbres : quelquefois aussi ils sont dignes de tous les deux.

L'on doit se taire sur les puissants: il y a presque toujours de la flatterie à en dire du bien : il y a du -péril à en dire du mal pendant qu'ils vivent, et de la lâcheté quand ils sont morts.

FIN DU TOME PREMIER.

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