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froide des mauvais plaisants est un mal inévitable, et que les meilleures choses ne leur servent souvent qu'à leur faire rencontrer une sottise.

Si certains esprits vifs et décisifs étoient crus, ce seroit encore trop que les termes pour exprimer les sentiments: il faudroit leur parler par signes, ou sans parler se faire entendre. Quelque soin qu'on apporte à être serré et concis, et quelque réputation qu'on ait d'être tel, ils vous trouvent diffus. Il faut leur laisser tout à suppléer, et n'écrire que pour eux seuls : ils conçoivent une période par le mot qui la commence, et par une période tout un chapitre : leur avez-vous lu un seul endroit de l'ouvrage, c'est assez, ils sont dans le fait et entendent l'ouvrage. Un tissu d'énigmes leur seroit une lecture divertissante, et c'est une perte pour eux que ce style estropié qui les enlève soit rare, et que peu d'écrivains s'en accommodent. Les comparaisons tirées d'un fleuve dont le cours, quoique rapide, est égal et uniforme, ou d'un embrasement qui, poussé par les vents, s'épand au loin dans une forêt où il consume les chênes et les pins, ne leur fournissent aucune idée de l'éloquence. Montrez-leur un feu grégeois qui les surprenne, ou un éclair qui les éblouisse, ils vous quittent du bon et du beau.

Quelle prodigieuse distance entre un bel ouvrage et un ouvrage parfait ou régulier! je ne sais s'il s'en est encore trouvé de ce dernier genre. Il est peut-être moins difficile aux rares génies de

rencontrer le grand et le sublime, que d'éviter toute sorte de fautes. Le Cid n'a eu qu'une voix pour lui à sà naissance, qui a été celle de l'admiration: il s'est vu plus fort que l'autorité et la politique, qui ont tenté vainement de le détruire; il a réuni en sa faveur des esprits toujours partagés d'opinions et de sentiments, les grands et le peuple: ils s'accordent tous à le savoir de mémoire, et à prévenir au théâtre les acteurs qui le récitent. Le Cid enfin est l'un des plus beaux poëmes que F'on puisse faire; et l'une des meilleures critiques qui ait été faite sur aucun sujet, est celle du Cid.

Quand une lecture vous élève l'esprit, et qu'elle vous inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger de l'ouvrage, il est bon, et fait de main d'ouvrier.

Capys' qui s'érige en juge du beau style, et qui croit écrire comme Bouhours et Rabutin, résiste à la' voix du peuple, et dit tout seul que Damis3 n'est pas un bon auteur. Damis cède à la multitude, et dit ingénument avec le public que Capys est un froid écrivain.

Le devoir du nouvelliste est de dire, il y a un tel livre qui court, et qui est imprimé chez Cramoisy en tel caractère; il est bien relié et en beau papier; il se vend tant: il doit savoir jusques à l'enseigne du libraire qui le débite: sa folie est d'en vouloir faire la critique.

Le sublime du nouvelliste est le raisonnement creux sur la politique.

Le nouvelliste se couche le soir tranquillement sur une nouvelle qui se corrompt la nuit, et qu'il est obligé d'abandonner le matin à son réveil.

Le philosophe consume1 sa vie à observer les hommes, et il use ses esprits à en démêler les vices et le ridicule : s'il donne quelque tour à ses pensées, c'est moins par une vanité d'auteur, que pour mettre une vérité qu'il a trouvée dans tout le jour nécessaire pour faire l'impression qui doit servir à son dessein. Quelques lecteurs croient néanmoins le payer avec usure s'ils disent magistralement qu'ils ont lu son livre, et qu'il y a de l'esprit; mais il leur renvoie tous leurs éloges qu'il n'a pas cherchés par son travail et par ses veilles. Il porte plus haut ses projets et agit pour une fin plus relevée il demande des hommes un plus grand et un plus rare succès que les louanges, et même que les récompenses, qui est de les rendre meilleurs.

Les sots lisent un livre et ne l'entendent point: les esprits médiocres croient l'entendre parfaitement les grands esprits ne l'entendent quelquefois pas tout entier : iis trouvent obscur ce qui est obscur, comme ils trouvent clair ce qui est clair. Les beaux esprits veulent trouver obscur ce qui ne l'est point, et ne pas entendre ce qui est fort intelligible.

Un auteur cherche vainement à se faire admirer par son ouvrage. Les sots admirent quelquefois, mais ce sont des sots. Les personnes d'esprit ont en eux les semences de toutes les vérités et de tous les

sentiments, rien ne leur est nouveau, ils admirent peu, ils approuvent.

Je ne sais si l'on pourra jamais mettre dans des lettres plus d'esprit, plus de tour, plus d'agrément, plus de style que l'on en voit dans celles de Balzac et de Voiture. Elles sont vuides de sentiments qui n'ont régné que depuis leur temps, et qui doivent aux femmes leur naissance. Ce sexe va plus loin que le nôtre dans ce genre d'écrire: elles trouvent sous leur plume des tours et des expressions qui souvent en nous ne sont l'effet que d'un long travail et d'une pénible recherche : elles sont heureuses dans le choix des termes qu'elles placent si juste, que, tout connus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveauté, et semblent être faits seulement pour l'usage où elles les mettent. Il n'appartient qu'à elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre délicatement une pensée qui est délicate. Elles ont un enchaînement de discours inimitable qui se suit naturellement, et qui n'est lié que par le sens. Si les femmes étoient toujours correctes, j'oserois dire que les lettres de quelques-unes d'entre elles seroient peut-être ce que nous avons dans notre langue de mieux écrit.

Il n'a manqué à Térence que d'étre moins froid: quelle pureté, quelle exactitude, quelle politesse, quellé élégance, quels caractères! Il n'a manqué à Moliere' que d'éviter le jargon et le barbarisme, et d'écrire puremefit: quel feu, quelle naïveté, quelle source de la bonne plaisanterie, quelle imitation

des mœurs, quelles images, et quel fléau du ridicule! mais quels hommes on auroit pu faire de ces deux comiques!

J'ai lu Malherbe et Théophile. Ils ont tous deux connu la nature, avec cette différence, que le premier d'un style plein et uniforme montre tout à la fois ce qu'elle a de plus beau et de plus noble, de plus naïf et de plus simple: il en fait la peinture ou l'histoire. L'autre sans choix, sans exactitude, d'une plume libre et inégale, tantôt charge ses descriptions, s'appesantit sur les détails; il fait une anatomie : tantôt il feint, il exagère, il passe le vrai dans la nature, il en fait le roman.

Ronsard et Balzac ont eu chacun dans leur genre assez de bon et de mauvais pour former après eux de très-grands hommes en vers et en prose.

Marot par son tour et par son style semble avoir écrit depuis Ronsard : il n'y a guère entre ce premier et nous, que la différence de quelques mots.

Ronsard et les auteurs ses contemporains ont plus nui au style qu'ils ne lui ont servi. Ils l'ont retardé dans le chemin de la perfection, ils l'ont exposé à la manquer pour toujours, et à n'y plus revenir. Il est étonnant que les ouvrages de Marot, si naturels et si faciles, n'aient su faire de Ronsard, d'ailleurs plein de verve et d'enthousiasme, un plus grand poëte que Ronsard et que Marot; et au contraire que Belleau, Jodelle, et Du Bartas aient été si-tôt suivis d'un Racan et d'un Malherbe; et que notre langue à peine corrompue se soit vue réparée.

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