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fait asseoir à ses deux côtés, il badine avec eux: A qui est, dit-il, la petite bouteille? à qui est la jolie cognéea? Il les prend ensuite sur lui, et les laisse dormir sur son estomac, quoiqu'il en soit incommodé. Celui enfin qui veut plaire se fait raser souvent, a un fort grand soin de ses dents, change tous les jours d'habits, et les quitte presque tout neufs : il ne sort point en public qu'il ne soit parfumé. On ne le voit guere dans les salles publiques qu'auprès des comptoirs des banquiers; et,' dans les écoles, qu'aux endroits seulement où s'exercent les jeunes gens ; et au théâtre, les jours de spectacle, que dans les meilleures places, et tout proche des préteurs. Ces gens encore n'achetent jamais rien pour eux; mais ils envoient à Byzance toute sorte de bijoux précieux, des chiens de Sparte à Cyzique, et à Rhodes l'excellent miel du mont Hymette; et ils prennent soin que toute

(a) Petits jouets que les Grecs pendoient au cou de leurs enfants.

(b) C'étoit l'endroit où s'assembloient les plus honnêtes gens de la ville.

(c) Pour être connu d'eux et en être regardé, ainsi que de tous ceux qui s'y trouvoient.

la ville soit informée qu'ils font ces emplettes. Leur maison est toujours remplie de mille choses curieuses qui font plaisir à voir, ou que l'on peut donner, comme des singes et des satyres qu'ils savent nourrir, des pigeons de Sicile, des dés qu'ils font faire d'os de chevre, des fioles pour des parfums, des cannes torses que l'on fait à Sparte, et des tapis de Perse à personnages. Ils ont chez eux jusques à un jeu de paume, et une arène propre à s'exercer à la lutte; et s'ils se promenent par la ville, et qu'ils rencontrent en leur chemin des philosophes, des sophistes, des escrimeurs, ou des musiciens, ils leur offrent leur maison pour s'y exercer chacun dans son art indifféremment; ils se trouvent présents à ces exercices; et, se mêlant avec ceux qui viennent là pour regarder: A qui croyez-vous qu'appartienne une si belle maison, et cette arène si commode? Vous voyez, ajoutent-ils en leur montrant quelque homme puissant de la ville, celui qui en est le maître, et qui en peut disposer.

(a) Une espece de singes.

(b) Une sorte de philosophes vains et intéressés.

CHAPITRE VI.

De l'Image d'un Coquin.

UN coquin est celui à qui les choses les plus

honteuses ne coûtent rien à dire ou à faire, qui jure volontiers, et fait des serments en justice autant qu'on lui en demande; qui est perdu de réputation; que l'on outrage impunément; qui est un chicaneur de profession, un effronté, et qui se mêle de toutes sortes d'affaires. Un homme de ce caractere entre sans masque dans une danse comique, et même sans être ivre; mais de sang-froid il se distingue dans la danse la plus obscened les postures les plus indécentes : c'est lui qui, dans ces lieux où l'on voit des prestiges, s'ingere de recueillir l'argent de chacun des

par

(c) Sur le théâtre avec des farceurs.

(d) Cette danse, la plus déréglée de toutes, s'appeloit en grec cordax, parceque l'on s'y servoit d'une corde pour faire des postures.

(e) Choses fort extraordinaires, telles qu'on en voit dans nos foires.

:

spectateurs, et qui fait querelle à ceux qui, étant entrés par billets, croient ne devoir rien payer. Il est d'ailleurs de tous métiers; tantôt il tient une taverne, tantôt il est suppôt de quelque lieu infame, une autre fois partisan il n'y a point de sale commerce où il ne soit capable d'entrer. Vous le verrez aujourd'hui crieur public, demain cuisinier ou brelandier: tout lui est propre. S'il a une mere, il la laisse mourir de faim; il est sujet au larcin, et à se voir traîner par la ville dans une prison, sa demeure ordinaire, et où il passe une partie de sa vie. Ce sont ces sortes de gens que l'on voit se faire entourer du peuple, appeler ceux qui passent, et se plaindre à eux avec une voix forte et enrouée, insulter ceux qui les contredisent. Les uns fendent la presse pour les voir, pendant que les autres, contents de les avoir vus, se dégagent, et poursuivent leur chemin sans vouloir les écouter; mais ces effrontés continuent de parler; ils disent à celui-ci le commencement d'un fait, quelque mot à cet autre, à peine peut-on tirer d'eux la moindre partie de ce dont il s'agit; et vous remarquerez qu'ils choisissent pour cela des jours d'assemblée publi

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que, où il y a un grand concours de monde, qui se trouve le témoin de leur insolence. Toujours accablés de procès que l'on intente contre eux, ou qu'ils ont intentés à d'autres, de ceux dont ils se délivrent par de faux serments, comme de ceux qui les obligent de comparoître, ils n'oublient jamais de porter leur boîte dans leur sein, et une liasse de papiers entre leurs mains vous les voyez dominer parmi de vils praticiens, à qui ils prêtent à usure, retirant chaque jour une obole et demie de chaque drachme 2; fréquenter les tavernes, parcourir les lieux où l'on débite le poisson frais ou salé, et consumer ainsi en bonne chere tout le profit qu'ils tirent de cette espece de trafic. En un mot, ils sont querelleurs et difficiles, ont sans cesse la bouche ouverte à la calomnie, ont une voix étourdissante, et qu'ils font retentir dans les marchés et dans les boutiques.

(a) Une petite boîte de cuivre fort légere, où les plaideurs mettoient leurs titres et les pieces de leurs procès.

(b) Une obole étoit la sixicme partie d'une drachme.

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