Page images
PDF
EPUB

leur manquoit, et en cet équipage elles alloient par sauts et par bonds dans leur bouteille. Feignez un homme de la taille du mont Athos: pourquoi non? une ame seroit-elle embarrassée d'animer un tel corps? elle en seroit plus au large: si cet homme avoit la vue assez subtile pour vous découvrir quelque part sur la terre avec vos armes offensives et défensives, que croyez-vous qu'il penseroit de petits marmousets ainsi équipés, et de ce que vous appelez guerre, cavalerie, infanterie, un mémorable siége, une fameuse journée? N'entendrai-je donc plus bourdonner d'autre chose parmi vous? le monde ne se divise-t-il plus qu'en régiments et en compagnies? tout est-il devenu bataillon ou escadron? « Il a pris une ville, il en a pris une « seconde, puis une troisieme; il a gagné une «< bataille, deux batailles; il chasse l'ennemi, «< il vainc sur mer, il vainc sur terre: » est-ce de quelqu'un de vous autres, est-ce d'un géant, d'un Athos, que vous parlez? Vous avez sur-tout un homme pâle 4 et livide, qui n'a pas sur soi dix onces de chair, et que l'on

(4) Le prince d'Orange.

croiroit jeter à terre du moindre souffle. Il fait néanmoins plus de bruit que quatre autres, et met tout en combustion; il vient de pêcher en eau trouble une île tout entiere1: ailleurs, à la vérité, il est battu et poursuivi; mais il se sauve par les marais, et ne veut écouter ni paix ni trève. Il a montré de bonne heure ce qu'il sayoit faire, il a mordu le sein de sa nourrice, elle en est morte, la pauvre femme: je m'entends, il suffit. En un mot, il étoit né sujet, il ne l'est plus; au contraire, il est le maître, et ceux qu'il a domptés 3 et mis sous le joug vont à la charrue et labourent de bon courage: ils semblent même appréhender, les bonnes gens, de pouvoir se délier un jour et de devenir libres, car ils ont étendu la courroie et alongé le fouet de celui qui les fait marcher; ils n'oublient rien pour accroître leur servitude: ils lui font passer l'eau pour se faire d'autres vassaux et s'acquérir de

[graphic]

(1) L'Angleterre.

(2) Le prince d'Orange, devenu plus puissant par la couronne d'Angleterre, s'étoit rendu maître absolu en Hollande, et y faisoit ce qu'il lui plaisoit.

(3) Les Anglois.

nouveaux domaines : il s'agit, il est vrai, de prendre son pere et sa mere par les épaules, et de les jeter hors de leur maison; et ils l'aident dans une si honnête entreprise.

Les gens de delà l'eau et ceux d'en deçà se cotisent et mettent chacun du leur pour se le rendre à eux tous de jour en jour plus redoutable: les Pictes et les Saxons imposent silence aux Bataves, et ceux-ci aux Pictes et aux Saxons; tous se peuvent vanter d'être ses humbles esclaves, et autant qu'ils le souhaitent. Mais qu'entends-je de certains personnages 4 qui ont des couronnes, je ne dis pas › des comtes ou des marquis, dont la terre fourmille, mais des princes et des souverains? ils viennent trouver cet homme dès qu'il a sifflé, ils se découvrent dès son antichambre, et ils ne parlent que quand on les interroge : sontce là ces mêmes princes si pointilleux, si formalistes sur leurs rangs et sur leurs préséances, et qui consument, pour les régler, les

(4) Allusion à ce qui se passa en 1690 à la Haye, lors du premier retour du prince d'Orange de l'Angleterre, où les ligués se rendirent, et où le duc de Baviere fut long-temps à attendre dans l'antichambre.

mois entiers dans une diète ? Que fera ce nouvel archonte pour payer une si aveugle soumission, et pour répondre à une si haute idée qu'on a de lui? S'il se livre une bataille, il doit la gagner, et en personne : si l'ennemi fait un siége, il doit le lui faire lever, et avec honte, à moins que tout l'océan ne soit entre lui et l'ennemi: il ne sauroit moins faire en faveur de ses courtisans. César lui-même ne doit-il pas venir en grossir le nombre? il en attend du moins d'importants services; car ou l'archonte échouera avec ses alliés, ce qui ⚫ est plus difficile qu'impossible à concevoir; ou, s'il réussit et que rien ne lui résiste, le voilà tout porté, avec ses alliés jaloux de la religion et de la puissance de César, pour fondre sur lui, pour lui enlever l'aigle, et le réduire, lui ou son héritier, à la fasce d'argent2 et aux pays héréditaires. Enfin c'en est fait, ils se sont tous livrés à lui volontairement, à celui peut-être de qui ils devoient se défier davantage. Ésope ne leur diroit-il pas : <«<La gent volatile d'une certaine contrée

(1) L'empereur.

(2) Armes de la maison d'Autriche,

<< prend l'alarme et s'effraie du voisinage du << lion, dont le seul rugissement lui fait peur: « elle se réfugie auprès de la bête, qui lui «< fait parler d'accommodement et la prend << sous sa protection, qui se termine enfin à <«<les croquer tous l'un après l'autre. >>

CHAPITRE XIII.

De la Mode.

UNE chose folle et qui découvre bien notre petitesse, c'est l'assujettissement aux modes quand on l'étend à ce qui concerne le goût, le vivre, la santé, et la conscience. La viande noire est hors de mode, et, par cette raison, insipide; ce seroit pécher contre la mode que de guérir de la fièvre par la saignée: de même l'on ne mouroit plus depuis long-temps par Théotime3; ses tendres exhortations ne

(3) Sachot, curé de Saint-Gervais, qui exhortoit toutes les personnes de qualité à la mort. Le P. Bourdaloue lui succéda dans cet emploi.

« PreviousContinue »