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quel eft l'homme qui n'avouera pas que ce berger de Brie eft un peu dur?

Les commentateurs conviennent que l'adultère de David & l'affaffinat d'Urie font des fautes que DIEU a pardonnées. On peut donc convenir que les maffacres ci-deffus font des fautes que DIEU a pardonnées auffi.

Cependant on ne fit aucun quartier à Bayle. Mais en dernier lieu quelques prédicateurs de Londres ayant comparé George II à David, un des ferviteurs de ce monarque a fait publiquement imprimer un petit livre dans lequel il se plaint de la comparaison. Il examine toute la conduite de David, il va infiniment plus loin que Bayle; il traite David avec plus de févérité que Tacite ne traite Domitien. Ce livre n'a pas excité en Angleterre le moindre murmure; tous les lecteurs ont fenti que les mauvaises actions font toujours mauvaises, que DIEU peut les pardonner quand la pénitence eft proportionnée au crime, mais qu' u'aucun homme ne doit les approuver.

Il y a donc plus de raison en Angleterre qu'il n'y en avait en Hollande du temps de Bayle. On sent aujourd'hui qu'il ne faut pas donner pour modèle de fainteté ce qui eft digne du dernier fupplice; & on fait que fi on ne doit pas confacrer le crime, on ne doit pas croire l'abfurdité.

HISTORIOGRAPHE.

TITRE

ITRE fort différent de celui d'hiftorien. On appelle communément en France hiftoriographe, l'homme de lettres penfionné, & comme on difait autrefois, appointé pour écrire l'hiftoire. Alain Chartier fut

hiftoriographe de Charles VII. Il dit qu'il interrogea les domestiques de ce prince, & leur fit prêter ferment, felon le devoir de fa charge, pour favoir d'eux fi Charles avait eu en effet Agnès Sorel pour maîtreffe. Il conclut qu'il ne fe passa jamais rien de libre entre ces amans, & que tout fe réduifit à quelques careffes honnêtes dont ces domeftiques avaient été les témoins innocens. Cependant il eft conftant, non par les hiftoriographes, mais par les hiftoriens appuyés fur les titres de famille, que Charles VII eut d'Agnès Sorel trois filles, dont l'aînée mariée à un Brezé fut poignardée par fon mari. Depuis ce temps il y eut fouvent des hiftoriographes de France en titre, & l'ufage fut de leur donner des brevets de confeillers d'Etat avec les provifions de leur charge. Ils étaient commenfaux de la maifon du roi. Matthieu eut ces priviléges fous Henri IV, & n'en écrivit pas mieux l'histoire.

A Venise, c'est toujours un noble du fénat qui a ce titre & cette fonction ; & le célébre Nani les a remplis avec une approbation générale. Il eft bien difficile que l'hiftoriographe d'un prince ne foit pas un menteur; celui d'une république flatte moins mais il ne dit pas toutes les vérités. A la Chine, les hiftoriographes font chargés de recueillir tous les événemens & tous les titres originaux fous une dynastie. Ils jettent les feuilles numérotées dans une vafte falle, par un orifice semblable à la gueule du lion dans laquelle on jette à Venise les avis fecrets qu'on veut donner; lorsque la dynastie est éteinte, on ouvre la falle, & on rédige les matériaux, dont on compose une histoire authentique. Le journal général de l'empire fert auffi à former le corps d'histoire ; ce

journal eft fupérieur à nos gazettes, en ce qu'il est fait fous les yeux des mandarins de chaque province, revu par un tribunal fuprême, & que chaque pièce porte avec elle une authenticité qui fait foi dans les matières contentieufes.

Chaque fouverain choifit fon hiftoriographe. Vittorio Siri le fut. Peliffon fut choifi d'abord par Louis XIV pour écrire les événemens de fon règne; & il s'acquitta de cet emploi avec éloquence dans l'hiftoire de la Franche-Comté. Racine le plus élégant des poëtes, & Boileau le plus correct, furent enfuite fubftitués à Péliffon. Quelques curieux ont recueilli quelques mémoires du paffage du Rhin écrits par Racine. On ne peut juger par ces mémoires fi Louis XIV paffa le Rhin ou non avec les troupes qui traverfèrent ce fleuve à la nage. Cet exemple démontre affez combien il est rare qu'un historiographe ofe dire la vérité. Auffi plufieurs qui ont eu ce titre fe font bien donné de garde d'écrire l'hiftoire. Ils ont fait comme Amiot, qui difait qu'il était trop attaché à ses maîtres pour écrire leur vie. Le père Daniel eut la patente d'hiftoriographe après avoir donné fon hiftoire de France; il n'eut qu'une penfion de 600 livres regardée feulement comme un honoraire convenable à un religieux.

Il eft très-difficile d'affigner aux fciences & aux arts, aux travaux littéraires, leurs véritables bornes. Peut-être le propre d'un hiftoriographe eft de raffembler les matériaux, & on eft hiftorien quand on les met en œuvre. Le premier peut tout amaffer, le fecond choifir & arranger. L'hiftoriographe tient plus de l'annalifte fimple, & l'hiftorien femble avoir un champ plus libre pour l'éloquence.

Ce n'eft pas la peine de dire ici que l'un & l'autre doivent également dire la vérité; mais on peut examiner cette grande loi de Cicéron: Ne quid veri tacere non audeat, qu'il faut ofer ne taire aucune vérité. Cette règle eft au nombre des lois qui ont befoin d'être commentées. Je fuppofe un prince qui confie à fon hiftoriographe un fecret important auquel l'honneur de ce prince eft attaché, ou que même le bien de l'Etat exige que ce fecret ne foit jamais révélé; l'hiftoriographe ou l'hiftorien doit-il manquer de foi à fon prince? doit-il trahir fa patrie pour obéir à Cicéron? La curiofité du public femble l'exiger; l'honneur, le devoir le défendent. Peut-être en ce cas faut-il renoncer à écrire l'hiftoire.

Une vérité déshonore une famille, l'hiftoriographe ou l'hiftorien doit-il l'apprendre au public? non fans doute, il n'eft point chargé de révéler la honte des particuliers, & l'hiftoire n'eft point une fatire.

Mais fi cette vérité fcandaleufe tient aux événemens publics, fi elle entre dans les intérêts de l'Etat, fi elle a produit des maux dont il importe de favoir la caufe, c'eft alors que la maxime de Cicéron doit être obfervée; car cette loi eft comme toutes les autres lois qui doivent être ou exécutées, ou tempérées, ou négligées felon les convenances.

Gardons-nous de ce refpect humain, quand il s'agit des fautes publiques reconnues, des prévarications, des injustices que le malheur des temps a arrachées a des corps refpectables; on ne faurait trop les mettre au jour; ce font des phares qui avertiffent ces corps toujours fubfiftans de ne plus fe brifer aux mêmes écueils. Si un parlement d'Angleterre a condamné

un homme de bien au fupplice, fi une affemblée de théologiens a demandé le fang d'un infortuné qui ne penfait pas comme eux, il eft du devoir d'un hiftorien d'infpirer de l'horreur à tous les fiècles pour ces affaffinats juridiques. On a dû toujours faire rougir les Athéniens de la mort de Socrate.

Heureufement même un peuple entier trouve toujours bon qu'on lui remette devant les yeux les crimes de fes pères; on aime à les condamner, on croit valoir mieux qu'eux. L'hiftoriographe ou l'hiftorien les encourage dans ces fentimens ; & en retraçant les guerres de la Fronde & celles de la religion, ils empêchent qu'il n'y en ait encore.

HOMME.

OUR connaître le physique de l'efpèce humaine, il faut lire les ouvrages d'anatomie, les articles du Dictionnaire encyclopédique par M. Venel, ou plutôt faire un cours d'anatomie.

Pour connaître l'homme qu'on appelle moral, il faut furtout avoir vécu & réfléchi.

Tous les livres de morale ne font-ils pas renfermés dans ces paroles de Job? Homo natus de muliere, brevi vivens tempore, repletus multis miferiis, qui quafi flos egreditur & conteritur, & fugit velut umbra. L'homme né de la femme vit peu, il eft rempli de mifères; il est comme une fleur qui s'épanouit, fe flétrit & qu'on écrafe; il paffe comme une ombre.

Nous avons déjà vu que la race humaine n'a qu'environ vingt-deux ans à vivre, en comptant ceux qui meurent fur le fein de leurs nourrices, &

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