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préjugé ; & dès qu'ils voient fur les côtes de Coromandel des figures fymboliques, ils ne manquent pas d'écrire que ce font des portraits du diable, qu'ils font dans fon empire, qu'ils vont le combattre. Ils ne fongent pas que c'eft nous qui adorons le diable Mammon, & qui lui allons porter nos vœux à fix mille lieues de notre patrie pour en obtenir de l'argent.

Pour ceux qui fe mettent dans Paris aux gages d'un libraire de la rue St Jacques, & à qui l'on commande une hiftoire du Japon, du Canada, des îles Canaries, fur des mémoires de quelques capucins, je n'ai rien à leur dire.

C'eft affez qu'on fache que la méthode convenable à l'hiftoire de fon pays, n'eft point propre à décrire les découvertes du nouveau monde, qu'il ne faut pas écrire fur une petite ville comme fur un grand empire; qu'on ne doit point faire l'hiftoire privée d'un prince comme celle de France ou d'Angleterre.

Si vous n'avez autre chofe à nous dire, finon qu'un barbare a fuccédé à un autre barbare fur les bords de l'Oxus & de l'Iaxarte, en quoi êtes-vous utile au public?

Ces règles font affez connues; mais l'art de bien écrire l'hiftoire fera toujours très-rare. On fait affez qu'il faut un ftyle grave, pur, varié, agréable. Il en eft des lois pour écrire l'histoire comme de celles de tous les arts de l'efprit; beaucoup de préceptes, & peu de grands artistes.

Didionn. philofoph. Tome V.

E

SECTION V.

Hiftoire des rois juifs, & des Paralipomenes.

Tous les peuples ont écrit leur histoire dès qu'ils

ont pu écrire. Les Juifs ont auffi écrit la leur. Avant qu'ils euffent des rois, ils vivaient fous une théocratie; ils étaient cenfés gouvernés par DIEU même.

Quand les Juifs voulurent avoir un roi comme les autres peuples leurs voifins, le prophète Samuel, trèsintéreffé à n'avoir point de roi, leur déclara de la part de DIEU que c'était DIEU lui-même qu'ils rejetaient; ainfi la théocratie finit chez les Juifs lorfque la monarchie commença.

On pourrait donc dire, fans blafphemer, que l'hiftoire des rois juifs a été écrite comme celle des autres peuples, & que DIEU n'a pas pris la peine de dicter lui-même l'histoire d'un peuple qu'il ne gouvernait plus.

On n'avance cette opinion qu'avec la plus extrême défiance. Ce qui pourrait la confirmer, c'eft que les Paralipomènes contredisent très-fouvent le livre des Rois dans la chronologie & dans les faits, comme nos hiftoriens profanes fe contredifent quelquefois. De plus, fi DIEU a toujours écrit l'hiftoire des Juifs, il faut donc croire qu'il l'écrit encore; car les Juifs font toujours fon peuple chéri. Ils doivent fe convertir un jour, & il paraît qu'alors ils feront auffi en droit de regarder l'hiftoire de leur difperfion comme facrée, qu'ils font en droit de dire que DIEU écrivit l'hiftoire de leurs rois.

On peut encore faire une réflexion; c'eft que DIEU ayant été leur feul roi très-long-temps, & enfuite ayant été leur historien, nous devons avoir pour tous les Juifs le refpect le plus profond. Il n'y a point de fripier juif qui ne foit infiniment au-deffus de Céfar & d'Alexandre. Comment ne fe pas profterner devant un fripier qui vous prouve que fon hiftoire a été écrite la Divinité même, tandis que les hiftoires grecques & romaines ne nous ont été tranfmifes que par des profanes?

par

Si le ftyle de l'hiftoire des Rois & des Paralipomènes eft divin, il se peut encore que les actions racontées dans ces hiftoires ne foient pas divines. David affaffine Urie. Isbofeth & Miphibofeth font affaffinés. Abfalon affaffine Ammon, Joab affaffine Abfalon, Salomon affaffine Adonias fon frère, Baza affaffine Nadab, Zimri affaffine Ela, Hamri affaffine Zimri, Achab affaffine Naboth; Jehu affaffine Achab & Joram; les habitans de Jérufalem affaffinent Amafias fils de Joas. Sélom fils de Jabès affaffine Zacharias fils de Jeroboam. Manahaim affaffine Sélom fils de Jabes. Phacée fils de Roméli affaffine Phaceia fils de Manahaim. Ozée fils d'Ela affaffine Phacée fils de Roméli. On paffe fous filence beaucoup d'autres menus affaffinats. Il faut avouer que fi le Saint-Efprit a écrit cette hiftoire, file il n'a pas choifi un fujet fort édifiant.

SECTION VI.

Des mauvaifes actions confacrées ou excufées dans l'hiftoire.

IL n'eft que trop ordinaire aux historiens de louer

de très-méchans hommes qui ont rendu service à la fecte dominante ou à la patrie. Ces éloges font peutêtre d'un citoyen zélé, mais ce zèle outrage le genrehumain. Romulus affaffine fon frère, & on en fait un dieu. Conftantin égorge fon fils, étouffe fa femme, affaffine prefque toute fa famille; on l'a loué dans des conciles, mais l'hiftoire doit détefter fes barbaries. Il eft heureux pour nous fans doute que Clovis ait été catholique; il eft heureux pour l'Eglife anglicane que Henri VIII ait aboli les moines: mais il faut avouer que Clovis & Henri VIII étaient des monftres de cruauté.

Lorsque le jéfuite Berruyer, qui quoique jésuite était un fot, s'avifa de paraphraser l'ancien & le nouveau testament en style de ruelle, fans autre intention que de les faire lire, il jeta des fleurs de rhétorique fur le couteau à deux tranchans que le juif Aod enfonça avec le manche dans le ventre du roi Eglon, fur le fabre dont Judith coupa la tête d'Holoferne après s'être proftituée à lui, & fur plufieurs autres actions de ce genre. Le parlement, en respectant la Bible qui rapporte ces hiftoires, condamna le jéfuite qui les louait, & fit brûler l'ancien & le nouveau teftament, j'entends celui du jésuite.

Mais comme les jugemens des hommes font toujours différens dans les cas pareils, la même chofe

arriva à Bayle dans un cas tout contraire; il fut condamné pour n'avoir pas loué toutes les actions. de David roi de la province de Judée. Un nommé Jurieu prédicant réfugié en Hollande, avec d'autres prédicans réfugiés, voulurent l'obliger à se rétracter. Mais comment fe rétracter fur des faits confignés dans l'Ecriture? Bayle n'avait-il pas quelque raison de penfer que tous les faits rapportés dans les livres juifs ne font pas des actions faintes ? que David a fait comme un autre des actions très-criminelles, que s'il s'eft appelé l'homme felon le cœur de DIEU, c'eft en vertu de fa pénitence, & non pas à caufe de fes forfaits?

&

Ecartons les noms, & ne fongeons qu'aux choses. Suppofons que pendant le règne de Henri IV, un curé ligueur a répandu fecrétement une bouteille d'huile fur la tête d'un berger de Brie, que ce berger vient à la cour, que le curé le préfente à Henri IV comme un bon joueur de violon qui pourra diffiper fa mélancolie, que le roi le fait fon écuyer & lui donne une de fes filles en mariage; qu'enfuite le roi s'étant brouillé avec le berger, celui-ci fe réfugie chez un prince d'Allemagne ennemi de fon beau-père, qu'il arme fix cents brigands perdus de dettes & de débauches, qu'il court la campagne avec cette canaille, qu'il égorge amis & ennemis, qu'il extermine jufqu'aux femmes & aux enfans à la mamelle, afin qu'il n'y ait perfonne qui puiffe porter la nouvelle de cette boucherie: je fuppofe encore que ce même berger de Brie devient roi de France après la mort de Henri IV, & qu'il fait affaffiner fon petit-fils après l'avoir fait manger à fa table, & livre à la mort fept autres petits enfans de fon roi ;

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