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omis plufieurs faits connus dignes de mémoire, combien font plus répréhensibles aujourd'hui ceux qui, fans avoir aucun des mérites d'Hérodote, imputent aux princes, aux nations, des actions odieufes, fans la plus légère apparence de preuve? La guerre de 1741 a été écrite en Angleterre. On trouve dans cette hiftoire qu'à la bataille de Fontenoi les Français tirerent fur les Anglais avec des balles empoifonnées & des morceaux de verre venimeux, & que le duc de Cumberland envoya au roi de France une boîte pleine de ces prétendus poifons trouvés dans les corps des Anglais bleffes. Le même auteur ajoute que les Français ayant perdu quarante mille hommes à cette bataille, le parlement de Paris rendit un arrêt par lequel il était défendu d'en parler fous des peines corporelles.

Les mémoires frauduleux imprimés depuis peu fous le nom de madame de Maintenon, font remplis de pareilles abfurdités. On y trouve qu'au fiége de Lille les alliés jetaient des billets dans la ville, conçus en ces termes Français, confolez-vous, la Maintenon ne fera pas votre reine.

Prefque chaque page eft fouillée d'impoftures & de termes offenfans contre la famille royale & contre les familles principales du royaume, fans alléguer la plus légère vraisemblance qui puiffe donner la moindre couleur à ces menfonges. Ce n'eft point écrire l'hiftoire, c'est écrire au hafard des calomnies qui méritent le carcan.

On a imprimé en Hollande, fous le nom d'Hiftoire, une foule de libelles, dont le ftyle eft auffi groffier que les injures, & les faits auffi faux qu'ils font mal écrits. C'eft, dit-on, un mauvais fruit de l'excellent

arbre de la liberté. Mais fi les malheureux auteurs de ces inepties ont eu la liberté de tromper les lecteurs, il faut ufer ici de la liberté de les détromper.

L'appât d'un vil gain, joint à l'infolence des mours abjectes, furent les feuls motifs qui engagèrent ce réfugié languedochien proteftant, nommé Langlevieux, dit la Beaumelle, à tenter la plus infame manœuvre qui ait jamais déshonoré la littérature. Il vend pour dix-fept louis d'or au libraire Eflinger de Francfort en 1753 l'hiftoire du fiècle de Louis XIV, qui ne lui appartient point; & foit pour s'en faire croire le propriétaire, foit pour gagner fon argent, il la charge de notes abominables contre Louis XIV, contre fon fils, contre le duc de Bourgogne fon petitfils, qu'il traite fans façon de perfide & de traître envers fon grand-père & la France. Il vomit contre le duc d'Orléans régent, les calomnies les plus horribles & les plus abfurdes; perfonne n'eft épargné, & cependant il n'a jamais connu perfonne. Il débite fur les maréchaux de Villars, de Villeroi, fur les miniftres, fur les femmes, des hiftoriettes ramaffées dans des cabarets; & il parle des plus grands princes comme de fes jufticiables. Il s'exprime en juge des rois Donnez-moi, dit-il, un Stuart, & je le fais roi d'Angleterre.

Cet excès de ridicule dans un inconnu n'a pas été relevé il eût été févèrement puni dans un homme dont les paroles auraient eu quelque poids. Mais il faut remarquer que fouvent ces ouvrages de ténèbres ont du cours dans l'Europe; ils fe vendent aux foires de Francfort & de Leipfick; tout le Nord en eft inondé. Les étrangers qui ne font pas inftruits

croient puifer dans ces libelles les connaiffances de l'hiftoire moderne. Les auteurs allemands ne font pas toujours en garde contre ces mémoires, ils s'en fervent comme de matériaux; c'est ce qui est arrivé aux mémoires de Pontis, de Montbrun, de Rochefort, de Vordac; à tous ces prétendus teftamens politiques des miniftres d'Etat, compofés par des fauffaires; à la Dixme royale de Boifguilbert impudemment donnée fous le nom du maréchal de Vauban, & à tant de compilations d'ana & d'anecdotes.

L'hiftoire eft quelquefois encore plus mal traitée en Angleterre. Comme il y a toujours deux partis affez violens qui s'acharnent l'un contre l'autre jufqu'à ce que le danger commun les réuniffe, les écrivains d'une faction condamnent tout ce que les autres approuvent. Le même homme eft représenté comme un Caton & comme un Catilina. Comment démêler le vrai entre l'adulation & la fatire? Il n'y a peut-être qu'une règle fûre, c'eft de croire le bien qu'un hiftorien de parti ofe dire des héros de la faction contraire, & le mal qu'il ofe dire des chefs de la fienne, dont il n'aura pas à fe plaindre.

A l'égard des mémoires réellement écrits par les perfonnages intéreffés, comme ceux de Clarendon, de Ludlow, de Burnet en Angleterre, de la Rochefoucauld, de Retz en France; s'ils s'accordent, ils font vrais ; s'ils fe contrarient, doutez.

Pour les ana & les anecdotes, il y en a un fur cent qui peut contenir quelque ombre de vérité.

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De la méthode, de la manière d'écrire l'hiftoire, &

du ftyle.

ON en a tant dit für cette matière, qu'il faut ici

en dire très-peu. On fait affez que la méthode & le ftyle de Tite-Live, fa gravité, fon éloquence fage, conviennent à la majefté de la république romaine; que Tacite eft plus fait pour peindre des tyrans, Polybe pour donner des leçons de la guerre, Denis d'Halycarnaffe pour développer les antiquités.

Mais en fe modelant en général fur ces grands maîtres, on a aujourd'hui un fardeau plus pefant que le leur à foutenir. On exige des hiftoriens modernes plus de détails, des faits plus conftatés des dates précises, des autorités, plus d'attention aux usages, aux lois, aux mœurs, au commerce, à la finance, à l'agriculture, à la population : il en eft de l'hiftoire comme des mathématiques & de la phyfique; la carrière s'eft prodigieufement accrue. Autant il eft aifé de faire un recueil de gazettes, autant il eft difficile aujourd'hui d'écrire

l'hiftoire.

Daniel fe crut un hiftorien parce qu'il tranfcrivait des dates & des récits de bataille où l'on n'entend rien. Il devait m'apprendre les droits de la nation, les droits des principaux corps de cette nation, fes lois, fes usages, fes mœurs, & comment ils ont changé. Cette nation eft en droit de lui dire : Je vous demande mon histoire encore plus que celle de Louis le Gros & de Louis Hutin; vous me dites, d'après une vieille

chronique écrite au hafard, que Louis VIII étant attaqué d'une maladie mortelle, exténué, languiffant, n'en pouvant plus, les médecins ordonnèrent à ce corps cadavereux de coucher avec une jolie fille pour fe refaire, & que le faint roi rejeta bien loin cette vilenie. Ah! Daniel, vous ne faviez donc pas le proverbe italien, donna ignuda manda l'uomo fotto la terra. Vous deviez avoir un peu plus de teinture de l'hiftoire politique & de l'hiftoire naturelle.

On exige que l'hiftoire d'un pays étranger ne foit point jetée dans le même moule que celle de votre patrie.

Si vous faites l'hiftoire de France, vous n'êtes pas obligé de décrire le cours de la Seine & de la Loire; mais fi vous donnez au public les conquêtes des Portugais en Afie, on exige une topographie des pays découverts. On veut que vous meniez votre lecteur par la main le long de l'Afrique & des côtes de la Perfe & de l'Inde; on attend de vous des inftructions fur les mœurs, les lois, les ufages de ces nations nouvelles pour l'Europe.

Nous avons vingt hiftoires de l'établissement des Portugais dans les Indes; mais aucune ne nous a fait connaître les divers gouvernemens de ce pays, fes religions, fes antiquités, les brames, les difciples de S Jean, les Guèbres, les Banians. On nous a confervé, il cft vrai, les lettres de Xavier & de fes fucceffeurs. On nous a donné des hiftoires de l'Inde, faites à Paris d'après ces miffionnaires qui ne favaient pas la langue des brames. On nous répète dans cent écrits que les Indiens adorent le diable. Des aumôniers d'une compagnie de marchands partent dans ce

préjugé ;

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