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fix hommes qui foient au fait des points controverfés entre l'Eglife grecque & la latine. Si le moine Luther, fi le chanoine Jean Chauvin, fi le curé Zuingle s'étaient contentés d'écrire, Rome fubjuguerait encore tous les Etats qu'elle a perdus ; mais ces gens - là & leurs adhérens couraient de ville en ville, de maison en maison, ameutaient des femmes, étaient foutenus par des princes. La furie qui agitait Amate, & qui la fouettait comme un fabot, à ce que dit Virgile, n'était pas plus turbulente. Sachez qu'un capucin enthousiaste, factieux, ignorant, fouple, véhément, émisfaire de quelque ambitieux, prêchant, confeffant, communiant, cabalant, aura plutôt bouleverfé une province que cent auteurs ne l'auront éclairée. Ce n'eft pas l'Alcoran qui fit réuffir Mahomet, ce fut Mahomet qui fit le fuccès de l'Alcoran,

Non, Rome n'a point été vaincue par des livres, elle l'a été pour avoir révolté l'Europe par fes rapines, par la vente publique des indulgences, pour avoir infulté aux hommes, pour avoir voulu les gouverner comme des animaux domeftiques, pour avoir abuse de fon pouvoir à un tel excès qu'il est étonnant qu'il lui foit refté un feul village. Henri VIII, Elifabeth, le duc de Saxe, le landgrave de Heffe, les princes d'Orange, les Condés, les Colignis ont tout fait, & les livres rien. Les trompettes n'ont jamais gagné de bataille, & n'ont fait tomber de murs que ceux de Jéricho.

Vous craignez les livres comme certaines bourgades ont craint les violons. Laiffez lire, & laiffez danfer; ces deux amusemens ne feront jamais de mal au monde.

LIEUX COMMUNS EN LITTERATURE.

QUAND

UAND une nation fe dégroffit, elle eft d'abord émerveillée de voir l'aurore ouvrir de fes doigts de rofe les portes de l'orient, & femer de topazes & de rubis le chemin de la lumière; Zéphyre careffer Flore, & l'Amour fe jouer des armes de Mars.

Toutes les images de ce genre, qui plaisent par la nouveauté, dégoûtent par l'habitude. Les premiers qui les employaient paffaient pour des inventeurs, les derniers ne font que des perroquets.

Il y a des formules de profe qui ont le même fort. Le roi manquerait à ce qu'il fe doit à lui-même fi.... Le flambeau de l'expérience a conduit ce grand apothicaire dans les routes ténèbreufes de la nature. Son efprit ayant été la dupe de fon cœur-il ouvrit trop tard les yeux fur le bord de l'abyme. - Meffieurs, plus je fens mon infuffifance, plus je fens auffi vos bienfaits; mais éclairé par vos lumières, foutenu par vos exemples, vous me rendrez digne de vous.

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La plupart des pièces de théâtre deviennent enfin des lieux communs, comme les oraifons funèbres & les difcours de réception. Dès qu'une princeffe eft aimée on devine qu'elle aura une rivale. Si elle combat fa paffion, il eft clair qu'elle y fuccombera. Le tyran a-t-il envahi le trône d'un pupille, foyez fûr qu'au cinquième acte juftice fe fera, & que l'ufurpateur mourra de mort violente.

Si un roi & un citoyen romain paraiffent fur la fcène, il y a cent contre un à parier que le roi fera

traité par le romain plus indignement que les miniftres de Louis XIV ne le furent à Gertruidenberg par les Hollandais.

Toutes les fituations tragiques font prévues, tous les fentimens que ces fituations amènent, font devinės; les rimes mêmes font fouvent prononcées par le parterre avant de l'être par l'acteur. Il eft difficile d'entendre parler à la fin d'un vers d'une lettre, fans voir clairement à quel héros on doit la remettre. L'héroïne ne peut guère manifester fes alarmes, qu'aufsitôt on ne s'attende à voir couler fes larmes. Peut-on voir un vers finir par Cefar, & n'être pas fûr de voir des vaincus traînés après fon char?

Vient un temps où l'on fe laffe de ces lieux communs d'amour, de politique, de grandeur & de vers alexandrins. L'opéra comique prend la place d'Iphigénie & d'Eriphile, de Xiphares & de Monime. Avec le temps cet opéra comique devient lieu commun à fon & DIEU fait alors à quoi on aura recours.

tour;

Nous avons les lieux communs de la morale. Ils font fi rebattus, qu'on devrait abfolument s'en tenir aux bons livres faits fur cette matière en chaque langue. Le Spectateur anglais conseilla à tous les prédicateurs d'Angleterre de réciter les excellens fermons de Tillotfon ou de Smaldrige. Les prédicateurs de France pourraient bien s'en tenir à réciter Maffillon, ou des extraits de Bourdaloue. Quelques-uns de nos jeunes orateurs de la chaire ont appris de le Kain à déclamer; mais ils reffemblent tous à Dancour qui ne voulait jamais jouer que dans fes pièces.

Les lieux communs de la controverfe font abfolument paffes de mode, & probablement ne reviendront

plus. Mais ceux de l'éloquence & de la poëfie pourront renaître après avoir été oubliés : pourquoi? c'est que la controverse eft l'éteignoir & l'opprobre de l'efprit humain, & que la poëfie & l'éloquence en font le flambeau & la gloire.

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Vous les méprifez les livres, vous dont toute la

vie eft plongée dans les vanités de l'ambition & dans la recherche des plaifirs ou dans l'oifiveté; mais fongez que tout l'univers connu n'eft gouverné que par des livres, excepté les nations fauvages. Toute l'Afrique jufqu'à l'Ethiopie & la Nigritie obéit au livre de l'Alcoran, après avoir fléchi fous le livre de l'Evangile. La Chine eft régie par le livre moral de Confucius; une grande partie de l'Inde par le livre du Veidam. La Perfe fut gouvernée pendant des fiècles par les livres d'un des Zoroaftres.

Si vous avez un procès, votre bien, votre honneur, votre vie même dépend de l'interprétation d'un livre que vous ne lifez jamais.

Robert le diable, les Quatre fils Aimon, les Imaginations de M. Oufle, font des livres auffi; mais il en est des livres comme des hommes, le très-petit nombre joue un grand rôle, le refte eft confondu dans la foule.

Qui mène le genre-humain dans les pays policés? ceux qui favent lire & écrire. Vous ne connaissez ni

Hippocrate, ni Boerhaave, ni Sydenham; mais vous mettez votre corps entre les mains de ceux qui les ont lus. Vous abandonnez votre ame à ceux qui font payés pour lire la Bible, quoiqu'il n'y en ait pas cinquante d'entr'eux qui l'aient lue toute entière avec attention.

Les livres gouvernent tellement le monde, que ceux qui commandent aujourd'hui dans la ville des Scipions & des Catons, ont voulu que les livres de leur loi ne fuffent que pour eux, c'est leur fceptre; ils ont fait un crime de lèfe-majefté à leurs fujets d'y toucher fans une permiffion expreffe. Dans d'autres pays on a défendu de penser par écrit fans lettres-patentes.

Il est des nations chez qui l'on regarde les pensées purement comme un objet de commerce. Les opérations de l'entendement humain n'y font confidérées qu'à deux fous la feuille. Si par hafard le libraire veut un privilége pour fa marchandise, foit qu'il vende Rabelais, foit qu'il vende les Pères de l'Eglife, le magistrat donne le privilége fans répondre de ce que le livre contient.

Dans un autre pays, la liberté de s'expliquer par des livres est une des prérogatives des plus inviolables. Imprimez tout ce qu'il vous plaira fous peine d'ennuyer, ou d'être puni fi vous avez trop abufé de votre droit naturel.

Avant l'admirable invention de l'imprimerie, les livres étaient plus rares & plus chers que les pierres précieuses. Prefque point de livres chez nos nations barbares jufqu'à Charlemagne, & depuis lui jufqu'au roi de France Charles V dit le fage; & depuis ce Charles jufqu'à François I, c'eft une difette extrême.

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