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manger, & que j'augmente fes revenus par mon travail. Je fuis honnête-homme; & quand j'aurais le malheur de n'être pas né tel, ma profeffion me forcerait à le devenir car dans les entreprises de négoce, ce n'eft pas comme dans celles de cour; point de fuccès fans probité. Que t'importe que j'aie été baptifé dans l'âge qu'on appelle de raifon, tandis que tu l'as été fans le favoir? Que t'importe que j'adore DIEU fans le manger, tandis que tu le fais, que tu le manges & que tu le digères ? Si tu fuivais tes belles maximes, & fi tu avais la force en main, tu irais donc d'un bout de l'univers à l'autre, fefant pendre à ton plaifir le grec qui ne croit pas que l'Esprit procède du père & du fils; tous les anglais, tous les hollandais, danois, fuédois, pruffiens, hanovriens, faxons, heffois, bernois, qui ne croient pas le pape infaillible; tous les mufulmans qui croient un feul Dieu, & qui ne lui donnent ni père ni mère; & les Indiens dont la religion eft plus ancienne que la juive; & les lettrés chinois qui, depuis cinq mille ans, fervent un Dieu unique fans fuperftition & fans fanatifme? Voilà donc ce que tu ferais fi tu étais le maître ? Affurément, dit le prêtre, car je fuis dévoré du zèle de la maifon de DIEU: Zelus domus tuæ comedit me.

Etrange fecte, ou plutôt infernale horreur! s'écria le bon père de famille. Quelle religion que celle qui ne fe foutiendrait que par des bourreaux, & qui ferait à DIEU l'outrage de lui dire: Tu n'es pas affez puiffant pour foutenir par toi-même ce que nous appelons ton véritable culte, il faut que nous t'aidions; tu ne peux rien fans nous, & nous ne

pouvons rien fans tortures, fans échafauds & fans bûchers.

Çà, dis-moi un peu, fanguinaire aumônier, es-tu dominicain, ou jefuite, ou diable? Je fuis jéfuite, dit l'autre. Hé, mon ami, fi tu n'es pas diable, pourquoi dis-tu des chofes fi diaboliques?

C'eft que le révérend père recteur m'a ordonné de les dire.

Et qui a ordonné cette abomination au révérend père recteur?

C'est le provincial.

De qui le provincial a-t-il reçu cet ordre?
De notre général ; & le tout pour plaire au pape.

Le pauvre anabaptifte s'écria: Sacrés papes qui êtes à Rome fur le trône des Cefars, archevêques, évêques, abbés devenus fouverains, je vous respecte & je vous fuis. Mais fi dans le fond du cœur vous avouez que vos richeffes & votre puiffance ne font fondées que fur l'ignorance & la bêtife de nos pères, jouiffez-en du moins avec modération. Nous ne voulons pas vous détrôner, mais ne nous écrafez pas. Jouiffez, & laiffez-nous paifibles; finon craignez qu'à la fin la patience n'échappe aux peuples, & qu'on ne vous réduife pour le bien de vos ames à la condition des apôtres dont vous prétendez être les fucceffeurs.

Ah, miférable! tu voudrais que le pape & l'évêque de Vurtzbourg gagnaffent le ciel par la pauvreté évangélique !

Ah, mon révérend père, tu voudrais me faire pendre!

LIBERTÉ D'IMPRIMER.

MAIS

AIS quel mal peut faire à la Ruffie la prédiction de Jean-Jacques? (1) Aucun; il lui fera permis de l'expliquer dans un fens myftique, typique, allégorique, felon l'ufage. Les nations qui détruiront les Ruffes, ce feront les belles-lettres, les mathématiques, l'efprit de fociété, la politeffe, qui dégradent l'homme, & pervertiffent fa nature.

On a imprimé cinq à fix mille brochures en Hollande contre Louis XIV; aucune n'a contribué à lui faire perdre les batailles de Blenheim, de Turin & de Ramillies.

En général, il eft de droit naturel de fe fervir de fa plume comme de fa langue, à fes périls, rifques & fortunes. Je connais beaucoup de livres qui ont ennuyé, je n'en connais point qui ait fait de mal réel. Des théologiens, ou de prétendus politiques, crient La religion eft détruite, le gouvernement ,, eft perdu, fi vous imprimez certaines vérités ou " certains paradoxes. Ne vous avifez jamais de "penfer qu'après en avoir demandé la licence à "un moine ou à un commis. Il eft contre le bon 'ordre qu'un homme pense par foi-même. Homère,

(1) Rouffeau a prédit la deftrudion prochaine de l'empire de Ruffie : sa grande raison eft que Pierre I a cherché à répandre les arts & les sciences dans fon empire. Mais malheureusement pour le prophète, les arts & les fciences n'exiftent que dans la nouvelle capitale, & n'y font prefque cultivés que par des mains étrangères; cependant ces lumières, quoique bornées à la capitale, ont contribué à augmenter la puiffance de la Ruffie, & jamais elle n'a été moins expofée aux événemens qui peuvent détruire un grand empire que depuis le temps où Rouffeau a prophétifé.

" Platon, Cicéron, Virgile, Pline, Horace, n'ont , jamais rien publié qu'avec l'approbation des docteurs de forbonne & de la fainte inquifition.

,, Voyez dans quelle décadence horrible la liberté " de la preffe a fait tomber l'Angleterre & la Hollande. Il eft vrai qu'elles embraffent le commerce ,, du monde entier, & que l'Angleterre eft victorieuse

fur mer & fur terre; mais ce n'eft qu'une fauffe ,, grandeur, une fauffe opulence; elles marchent à grands pas à leur ruine. Un peuple éclairé ne " peut fubfifter.,,

On ne peut raisonner plus jufte, mes amis; mais voyons, s'il vous plaît, quel Etat a été perdu par un livre. Le plus dangereux, le plus pernicieux de tous eft celui de Spinofa. Non-feulement en qualité de juif il attaque le nouveau teftament, mais en qualité de savant il ruine l'ancien; son système d'athéisme eft mieux lié, mieux raisonné mille fois que ceux de Straton & d'Epicure. On a besoin de la plus profonde fagacité pour répondre aux argumens par lefquels il tâche de prouver qu'une fubftance n'en peut former

une autre.

Je détefte comme vous fon livre, que j'entends peut-être mieux que vous, & auquel vous avez trèsmal répondu; mais avez-vous vu que ce livre ait changé la face du monde? Y a-t-il quelque prédicant qui ait perdu un florin de fa pension par le debit des œuvres de Spinofa? y a-t-il un évêque dont les rentes aient diminué? Au contraire, leur revenu a doublé depuis ce temps-là; tout le mal s'eft réduit à un petit nombre de lecteurs paifibles, qui ont examiné les argumens de Spinofa dans leur cabinet,

& qui ont écrit pour ou contre des ouvrages très-peu

connus.

Vous-mêmes vous êtes affez peu conféquens pour avoir fait imprimer, ad ufum delphini, l'athéisme de Lucrèce, (comme on vous l'a déjà reproché) & nul trouble, nul scandale n'en eft arrivé; auffi laissa-t-on vivre en paix Spinofa en Hollande, comme on avait laiffé Lucrèce en repos à Rome.

Mais paraît-il parmi vous quelque livre nouveau dont les idées choquent un peu les vôtres, (fuppofé que vous ayez des idées) ou dont l'auteur foit d'un parti contraire à votre faction, ou qui pis eft, dont l'auteur ne foit d'aucun parti? alors vous criez au feu; c'est un bruit, un scandale, un vacarme univerfel dans votre petit coin de terre. Voilà un homme abominable, qui a imprimé que fi nous n'avions point de mains, nous ne pourrions faire des bas ni des fouliers; quel blafphème! Les dévotes crient, les docteurs fourrés s'affemblent, les alarmes fe multiplient de collège en collége, de maison en maifon; des corps entiers font en mouvement, & pourquoi? pour cinq ou fix pages dont il n'eft plus queftion au bout de trois mois. Un livre vous déplaîtil? réfutez-le; vous ennuie-t-il? ne le lifez pas.

Oh! me dites - vous, les livres de Luther & de Calvin ont détruit la religion romaine dans la moitié de l'Europe. Que ne dites-vous auffi que les livres du patriarche Photius ont détruit cette religion romaine en Afie, en Afrique, en Grèce & en Ruffie?

Vous vous trompez bien lourdement quand vous penfez que vous avez été ruiné par des livres. L'empire de Ruffie a deux mille lieues d'étendue, & il n'y a pas

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