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plaifirs un peu répétés, on peut dans cet efpace de temps fe dire heureux. Quand ce bonheur dure un peu plus, c'est un état de félicité. On eft quelquefois bien loin d'être heureux dans la profpérité, comme un malade dégoûté ne mange rien d'un grand festin préparé pour lui.

L'ancien adage, on ne doit appeler perfonne heureux avant fa mort, femble rouler fur de bien faux principes. On dirait par cette maxime, qu'on ne devrait le nom d'heureux qu'à un homme qui le ferait conftamment depuis fa naiffance jufqu'à fadernière heure. Cette férie continuelle de momens agréables eft impoffible par la conftitution de nos organes, par celle des élémens de qui nous dépendons, par celle des hommes dont nous dépendons davantage. Prétendre être toujours heureux eft la pierre philofophale de l'ame; c'est beaucoup pour nous de n'être pas long - temps dans un état trifte. Mais celui qu'on fupposerait avoir toujours joui d'une vie heureuse, & qui périrait miférablement, aurait certainement mérité le nom d'heureux jusqu'à fa mort, & on pourrait prononcer hardiment qu'il a été le plus heureux des hommes.

Il fe peut très-bien que Socrate ait été le plus heureux des Grecs, quoique des juges ou fuperftitieux & abfurdes, ou iniques, ou tout cela enfemble l'aient empoisonné juridiquement à l'âge de foixante & dix ans, fur le foupçon qu'il croyait un feul DIEU.

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Cette maxime philofophique tant rebattue, nemo ante obitum felix, paraît donc abfolument fauffe en tout fens; & fi elle fignifie qu'un homme heureux peut mourir d'une mort malheureuse, elle ne fignifie rien que de trivial.

Le proverbe du peuple, heureux comme un roi, eft encore plus faux. Quiconque même a vécu doit favoir combien le vulgaire fe trompe.

On demande s'il y a une condition plus heureuse qu'une autre? fi l'homme en général eft plus heureux que la femme? Il faudrait avoir effayé de toutes les conditions, avoir été homme & femme comme Tiréfias & Iphis, pour décider cette queftion; encore faudrait-il avoir vécu dans toutes les conditions avec un esprit également propre à chacune, & il faudrait avoir paffé par tous les états poffibles de l'homme & de la femme pour en juger.

On demande encore fi de deux hommes l'un eft plus heureux que l'autre ? Il eft bien clair que celui qui a la pierre & la goutte, qui perd fon bien, fon honneur, fa femme & fes enfans, & qui eft condamné à être pendu immédiatement après avoir été taillé, eft moins heureux dans ce monde, à tout prendre, qu'un jeune fultan vigoureux, ou que le favetier de la Fontaine.

Mais on veut favoir quel eft le plus heureux de deux hommes également fains, également riches, & d'une condition égale? Il eft clair que c'eft leur humeur qui en décide. Le plus modéré, le moins inquiet, & en même temps le plus fenfible, est le plus heureux. Mais malheureufement le plus fenfible eft prefque toujours le moins modéré. Ce n'eft pas notre condition, c'eft la trempe de notre ame, qui nous rend heureux. Cette difpofition de notre ame dépend de nos organes, & nos organes ont été arrangés fans que nous y ayons la moindre part, C'eft au lecteur à faire là-deffus fes réflexions. Il y

a bien des articles fur lefquels il peut s'en dire plus qu'on ne lui en doit dire. En fait d'arts, il faut l'inftruire; en fait de morale, il faut le laiffer penfer.

Il y a des chiens qu'on careffe, qu'on peigne, qu'on nourrit de biscuits, à qui on donne de jolies chiennes. Il y en a d'autres qui font couverts de gale, qui meurent de faim, qu'on chaffe, qu'on bat, & qu'enfuite un jeune chirurgien diffèque lentement, après leur avoir enfoncé quatre gros clous dans les pattes. A-t-il dépendu de ces pauvres chiens d'être heureux ou malheureux ?

On dit, penfée heureuse, trait heureux, repartie heureufe, phyfionomie heureufe, climat heureux. Ces penfées, ces traits heureux qui nous viennent comme des infpirations foudaines, & qu'on appelle des bonnes fortunes d'homme d'efprit, nous font infpirés comme la lumière entre dans nos yeux, fans que nous la cherchions. Ils ne font pas plus en notre pouvoir que la phyfionomie heureufe, c'eft-à-dire, douce & noble, fi indépendante de nous & fi fouvent trompeufe. Le climat heureux eft celui que la nature favorife. Ainfi font les imaginations heureuses, ainfi eft l'heureux génie, c'eft-à-dire, le grand talent. Et qui peut fe donner le génie ? qui peut, quand il a reçu quelque rayon de cette flamme, le conferver toujours brillant?

Puifqu'heureux vient de la bonne heure, & malheureux de la malheure, on pourrait dire que ceux qui penfent, qui écrivent avec génie, qui réuffiffent dans les ouvrages de goût, écrivent à la bonne

heure. Le grand nombre eft de ceux qui écrivent à la malheure.

Quand on dit, un heureux fcélérat, on n'entend par ce mot que fes fuccès. Félix Sylla, l'heureux Sylla, un Alexandre VI, un duc de Borgia, ont heureufement pillé, trahi, empoifonné, ravagé, égorgé. Mais s'ils fe font crus des fcélérats, il y a grande apparence qu'ils étaient très-malheureux, quand même ils n'auraient pas craint leurs femblables.

Il fe pourrait qu'un fcélérat mal élevé, un turc, par exemple, à qui on aurait dit qu'il lui eft permis de manquer de foi aux chrétiens, de faire ferrer d'un cordon de foie le cou de fes vifirs quand ils font riches, de jeter dans le canal de la mer Noire fes frères étranglés ou maffacrés, & de ravager cent lieues de pays pour fa gloire; il se pourrait, dis-je, à toute force, que cet homme n'eût pas plus de remords que fon muphti, & fût très-heureux. C'eft fur quoi le lecteur peut encore penfer beaucoup.

Il y avait autrefois des planètes heureuses, d'autres malheureufes; malheureusement il n'y en a plus.

On a voulu priver le public de ce dictionnaire utile, heureusement on n'y a pas réuffi.

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Des ames de boue, des fanatiques abfurdes préviennent tous les jours les puiffans, les ignorans contre les philofophes. Si malheureusement on les écoutait, nous retomberions dans la barbarie d'où les feuls philofophes nous ont tirés.

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L'HISTOIRE eft le récit des faits donnés pour vrais,

au contraire de la fable qui eft le récit des faits donnés pour faux.

Il y a l'histoire des opinions qui n'eft guère que le recueil des erreurs humaines.

L'histoire des arts peut être la plus utile de toutes, quand elle joint à la connaissance de l'invention du progrès des arts la defcription de leur mécanifme.

L'hiftoire naturelle, improprement dite hiftoire, eft une partie effentielle de la phyfique. On a divifé l'hiftoire des événemens en facrée & profane; l'hiftoire facrée eft une fuite des opérations divines & miraculeuses, par lesquelles il a plu à DIEU de conduire autrefois la nation juive, & d'exercer aujour

d'hui notre foi.

Si j'apprenais l'hébreu, les fciences, l'hiftoire!
Tout cela c'eft la mer à boire.

Premiers fondemens de l'hiftoire.

LES premiers fondemens de toute hiftoire, font les récits des pères aux enfans, tranfmis enfuite d'une génération à une autre ; ils ne font tout au plus que probables dans leur origine, quand ils ne choquent point le fens commun ; & ils perdent un degré de

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