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L'inftinct feul nous porte tous également à faire l'amour, amor omnibus idem; mais Virgile, Tibulle & Ovide le chantent.

C'est par le feul inftinct qu'un jeune manœuvre s'arrête avec admiration & refpect devant le carroffe furdoré d'un receveur des finances. La raison vient au manœuvre; il devient commis, il fe polit, il vole, il devient grand-feigneur à fon tour, il éclabouffe fes anciens camarades, mollement étendu dans un char plus doré que celui qu'il admirait.

Qu'est-ce que cet inftinct qui gouverne tout le règne animal, & qui eft chez nous fortifié par la raifon, ou réprimé par l'habitude? Est-ce divinæ particula auræ? Oui, fans doute, c'eft quelque chofe de divin; car tout l'eft. Tout eft l'effet incompréhensible d'une cause incompréhenfible. Tout eft déterminé par la nature. Nous raisonnons de tout; & nous ne nous donnons rien.

INTERET.

Nous n'apprendrons rien aux hommes nos confrères,

quand nous leur dirons qu'ils font tout par intérêt. Quoi! c'eft par intérêt que ce malheureux faquir fe tient tout nu au foleil, chargé de fers, mourant de faim, mangé de vermine & la mangeant? Oui, fans doute, nous l'avons dit ailleurs; il compte aller au dix-huitième ciel, & il regarde en pitié celui qui ne fera reçu que dans le neuvième.

L'intérêt de la malabare qui fe brûle fur le corps de fon mari eft de le retrouver dans l'autre monde, & d'y être plus heureufe que ce faquir. Car avec leur

métempsycose les Indiens ont un autre monde ; ils font comme nous; ils admettent les contradictoires.

Avez-vous connaiffance de quelque roi ou de quelque république qui ait fait la guerre ou la paix, ou des édits, ou des conventions par un autre motif que

celui de l'intérêt ?

A l'égard de l'intérêt de l'argent, confultez dans le grand dictionnaire encyclopédique cet article de M. d'Alembert pour le calcul, & celui de M. Boucher d'Argis pour la jurifprudence. Ofons ajouter quelques réflexions.

1o. L'or & l'argent font-ils une marchandise ? oui; l'auteur de l'Esprit des lois n'y pense pas lorfqu'il dit: (a) L'argent qui eft le prix des chofes fe loue & ne s'achète pas.

Il fe loue & s'achète. J'achète de l'or avec de l'argent, & de l'argent avec de l'or; & le prix en change tous les jours chez toutes les nations commerçantes.

La loi de la Hollande eft qu'on payera les lettres de change en argent monnayé du pays & non en or, fi le créancier l'exige. Alors j'achète de la monnaie d'argent, & je la paye ou en or, ou en drap, ou en blé, ou en diamans.

J'ai besoin de monnaie, ou de blé, ou de diamans pour un an: le marchand de blé, de monnaie ou de diamans, me dit: Je pourrais pendant cette année , vendre avantageusement ma monnaie, mon blé, ,, mes diamans. Evaluons à quatre, à cinq, à fix pour ,, cent, felon l'ufage du pays, ce que vous me faites " perdre. Vous me rendrez, par exemple, au bout de " l'année vingt & un karats de diamans pour vingt (a) Livre XXII, chap. XIX.

que je vous prête, vingt & un facs de blé pour " vingt; vingt & un mille écus pour vingt mille écus. " Voilà l'intérêt. Il eft établi chez toutes les nations " par la loi naturelle; le taux dépend de la loi parti

culière du pays. (1) A Rome on prête fur gages à deux & demi pour cent fuivant la loi, & on vend vos "gages fi vous ne payez pas au temps marqué. Je ne " prête point fur gages, & je ne demande que l'inté"rêt ufité en Hollande. Si j'étais à la Chine, je vous ,, demanderais l'intérêt en ufage à Macao & à ,, Kanton. "

2o. Pendant qu'on fait ce marché à Amsterdam, arrive de St Magloire un janfénifte; (& le fait eft trèsvrai, il s'appelait l'abbé des Iffarts) ce janfénifte dit au négociant hollandais: Prenez garde, vous vous damnez; l'argent ne peut produire de l'argent, nummus nummum non parit. Il n'eft permis de recevoir l'intérêt de fon argent que lorsqu'on veut bien perdre le fonds. Le moyen d'être fauvé eft de faire un contrat avec monfieur; & pour vingt mille écus que vous ne reverrez jamais, vous & vos hoirs recevrez pendant toute l'éternité mille écus par an.

Vous faites le plaifant, répond le hollandais; vous me proposez là une usure qui est tout juste un infini du premier ordre. J'aurais déjà reçu moi ou les miens mon capital au bout de vingt ans, le double en quarante, le quadruple en quatre-vingt; vous voyez bien que c'eft une férie infinie. Je ne puis d'ailleurs prêter que pour douze mois, & je me contente de mille écus de dédommagement.

(1) Le taux de l'intérêt doit être libre, & la loi n'eft en droit de le fixer que dans les cas où il n'a pas été déterminé par une convention.

L'ABBÉ DES ISSART S.

J'en fuis fâché pour votre ame hollandaife. DIEU défendit aux Juifs de prêter à intérêt; & vous fentez bien qu'un citoyen d'Amfterdam doit obéir ponctuellement aux lois du commerce, données dans un défert à des fugitifs errans qui n'avaient aucun

commerce.

LE

HOLLANDAIS.

Cela eft clair, tout le monde doit être juif; mais il me femble que la loi permit à la horde hébraïque la plus forte ufure avec les étrangers; & cette horde fit très-bien fes affaires dans la fuite.

y

D'ailleurs, il fallait que la défense de prendre de l'intérêt de juif à juif fût bien tombée en défuétude, puifque notre Seigneur JESUS, prêchant à Jérufalem, dit expreffément que l'intérêt était de fon temps à cent pour cent. Car dans la parabole des talens il dit que le ferviteur qui avait reçu cinq talens en gagna cinq autres dans Jérufalem, que celui qui en avait deux en gagna deux, & que le troifième qui n'en avait eu qu'un, qui ne le fit point valoir, fut mis au cachot par le maître pour n'avoir point fait travailler fon argent chez les changeurs. Or ces changeurs étaient juifs, donc c'était de juif à juif qu'on exerçait l'ufure à Jérufalem; donc cette parabole, tirée des mœurs du temps, indique manifeftement que l'ufure était à cent pour cent. Lifez St Matthieu, chap. XXV; il s'y connaissait; il avait été commis de la douane en Galilée. Laiffez-moi achever mon affaire avec monfieur, & ne me faites perdre ni mon argent, ni mon temps.

L'ABBÉ DES ISSARTS.

Tout cela eft bel & bon; mais la forbonne a décidé que le prêt à intérêt eft un péché mortel. LE HOLLANDAIS.

Vous vous moquez de moi, mon ami, de citer la forbonne à un négociant d'Amfterdam. Il n'y a aucun de ces raifonneurs qui ne faffe valoir fon argent quand il le peut à cinq ou fix pour cent, en achetant fur la place des billets des fermes, des actions de la compagnie des Indes, des refcriptions, des billets du Canada. Le clergé de France en corps emprunte à intérêt. Dans plufieurs provinces de France on ftipule l'intérêt avec le principal. D'ailleurs, l'univerfité d'Oxford & celle de Salamanque ont décidé contre la forbonne; c'eft ce que j'ai appris dans mes voyages. Ainfi, nous avons dieux contre dieux. Encore une fois, ne me rompez pas la tête davantage.

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Monfieur, monfieur, les méchans ont toujours de bonnes raifons à dire. Vous vous perdez, vous dis-je; car l'abbé de St Cyran qui n'a point fait de miracles, & l'abbé Pâris qui en a fait à S'Médard...

3o. Alors le marchand impatienté chassa l'abbé des Iffarts de fon comptoir; &, après avoir loyalement prêté fon argent au denier vingt, alla rendre compte de fa conversation aux magiftrats, qui défendirent aux jansénistes de débiter une doctrine fi pernicieuse

au commerce.

Meffieurs, leur dit le premier échevin, de la grâce efficace tant qu'il vous plaira; de la prédeftination

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