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Mais nous ne découvrons pas fi bien fon infini en étendue, en pouvoir, en attributs moraux.

Comment concevoir une étendue infinie dans un être qu'on dit fimple? & s'il eft fimple, quelle notion pouvons-nous avoir d'une nature fimple? Nous connaiffons DIEU par fes effets, nous ne pouvons le connaître par fa nature.

S'il eft évident que nous ne pouvons avoir d'idée de sa nature, n'eft-il pas évident que nous ne pouvons connaître fes attributs?

Quand nous difons qu'il eft infini en puiffance, avons-nous d'autre idée, finon que fa puiffance eft très-grande? Mais de ce qu'il y a des pyramides de fix cents pieds de haut, s'enfuit-il qu'on ait pu en conftruire de la hauteur de fix cents milliars de pieds?

Rien ne peut borner la puiffance de l'Etre éternel exiftant néceffairement par lui-même; d'accord, il ne peut avoir d'antagoniste qui l'arrête : mais comment me prouverez-vous qu'il n'eft pas circonscrit par fa propre nature?

Tout ce qu'on a dit fur ce grand objet eft-il bien prouvé ?

Nous parlons de fes attributs moraux, mais nous ne les avons jamais imaginés que fur le modèle des nôtres ; & il nous eft impoffible de faire autrement. Nous ne lui avons attribué la juftice, la bonté &c. que d'après les idées du peu de juftice & de bonté que nous apercevons autour de nous.

Mais au fond, quel rapport de quelques-unes de nos qualités fi incertaines & fi variables avec les qualités de l'Etre fuprême éternel?

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Notre idée de justice n'eft autre chose que l'intérêt d'autrui refpecté par notre intérêt. Le pain qu'une femme a pétri de la farine dont fon mari a femé le froment lui appartient. Un fauvage affamé lui prend fon pain & l'emporte; la femme crie que c'eft une injustice énorme : le fauvage dit tranquillement qu'il n'eft rien de plus jufte, & qu'il n'a pas dû se laisser mourir de faim lui & fa famille pour l'amour d'une vieille.

Au moins il femble que nous ne pouvons guère attribuer à DIEU une justice infinie, femblable à la justice contradictoire de cette femme & de ce fauvage. Et cependant quand nous difons DIEU eft jufte, nous ne pouvons prononcer ces mots que d'après nos idées de juftice.

Nous ne connaiffons point de vertu plus agréable que la franchife, la cordialité. Mais fi nous allions admettre dans DIEU une franchise, une cordialité infinie, nous rifquerions de dire une grande fottife.

Nous avons des notions fi confufes des attributs de l'Etre fuprême, que des écoles admettent en lui une préfcience, une prévifion infinie, qui exclut tout événement contingent ; & d'autres écoles admettent une prévifion qui n'exclut pas la contingence.

Enfin, depuis que la forbonne a déclaré que DIEU peut faire qu'un bâton n'ait pas deux bouts, qu'une chose peut être à la fois & n'être pas, on ne fait plus que dire. On craint toujours d'avancer une héréfie. (a)

(a) Hiftoire de l'univerfité par du Boullay.

Ce qu'on peut affirmer fans crainte, c'eft que DIEU eft infini, & que l'efprit de l'homme eft bien borné.

L'efprit de l'homme eft fi peu de chofe que Pafcal a dit: Croyez-vous qu'il foit impoffible que DIEU foit infini & fans parties? Je veux vous faire voir une chofe infinie & indivifible; c'est un point mathématique fe mouvant par-tout d'une vitesse infinie, car il eft en tous lieux & tout entier dans chaque endroit.

On n'a jamais rien avancé de plus complètement abfurde; & cependant c'eft l'auteur des Lettres provinciales qui a dit cette énorme fottife. Cela doit faire trembler tout homme de bon fens.

TOUT

INFLUENCE.

OUT ce qui vous entoure influe fur vous, en phyfique, en morale. Vous le favez affez.

Peut-on influer fur un être, fans toucher, fans remuer cet être?

On a démontré enfin cette étonnante propriété de la matière, de graviter fans contact, d'agir à des distances immenfes.

Une idée influe fur une idée; chofe non moins compréhensible.

Je n'ai point au mont Krapac le livre de l'Empire du foleil & de la lune, compofé par le célébre médecin Meade qu'on prononce Mid. Mais je fais bien que ces deux aftres font la caufe des marées; & ce n'eft point en touchant les flots de l'Océan qu'ils opèrent ce flux & ce reflux, il eft démontré que c'eft par les lois de la gravitation.

Mais quand vous avez la fièvre, le foleil & la lune influent-ils fur vos jours critiques? votre femme n'a-t-elle fes règles qu'au premier quartier de la lune? les arbres que vous coupez dans la pleine lune pourriffaient-ils plutôt que s'ils avaient été coupés dans le décours? non pas que je fache; mais des bois coupés quand la fève circulait encore, ont éprouvé la putréfaction plutôt que les autres; & fi par hafard c'était en pleine lune qu'on les coupa, on aura dit, c'eft cette pleine lune qui a fait tout le mal.

Votre femme aura eu fes menftrues dans le croiffant; mais votre voifine a les fiennes dans le dernier quartier.

Les jours critiques de la fièvre que vous avez pour avoir trop mangé, arrivent vers le premier quartier : votre voifin a les fiens vers le décours.

Il faut bien que tout ce qui agit fur les animaux & fur les végétaux agiffe pendant que la lune marche. Si une femme de Lyon a remarqué qu'elle a eu trois ou quatre fois fes règles les jours que la diligence arrivait de Paris, fon apothicaire, homme à fyftème, fera-t-il en droit de conclure que la diligence de Paris a une influence admirable fur les canaux excrétoires de cette dame?

Il a été un temps où tous les habitans des ports de mer de l'Océan étaient perfuadés qu'on ne mourait jamais quand la marée montait, & que la mort attendait toujours le reflux.

Plufieurs médecins ne manquaient pas de fortes raifons pour expliquer ce phénomène conftant. La mer en montant communique aux corps la force

qui l'élève. Elle apporte des particules vivifiantes qui raniment tous les malades. Elle eft falée, & le fel préserve de la pourriture attachée à la mort. Mais quand la mer s'affaiffe & s'en retourne, tout s'affaiffe comme elle; la nature languit, le malade n'eft plus vivifié, il part avec la marée. Tout cela eft bien expliqué, comme on voit, & n'en eft pas plus vrai.

Les élémens, la nourriture, la veille, le fommeil, les paffions, ont fur vous de continuelles influences. Tandis que ces influences exercent leur empire fur votre corps, les planètes marchent & les étoiles brillent. Direz-vous que leur marche & leur lumière font la caufe de votre rhume, de votre indigeftion, de votre infomnie, de la colère ridicule où vous' venez de vous mettre contre un mauvais raisonneur, de la paffion que vous fentez pour cette femme ?

Mais la gravitation du foleil & de la lune a rendu la terre un peu plate au pôle, & élève deux fois l'Océan entre les tropiques en vingt-quatre heures; donc elle peut régler votre accès de fièvre & gouverner toute votre machine. Attendez au moins que cela foit prouvé, pour le dire. (1)

Le foleil agit beaucoup fur nous par les rayons qui nous touchent & qui entrent dans nos pores : c'eft-là une très-fure & très-bénigne influence. Il me femble que nous ne devons admettre en physique

( 1 ) Cette seule ligne contient tout ce qu'on peut dire de raisonnable fur ces influences, & en général fur tous les faits qui paraiffent s'éloigner de l'ordre commun des phénomènes. Si l'existence de cet ordre eft certaine pour nous, c'eft que l'expérience nous la fait obferver conftamment. Attendons qu'une conftance égale ait pu s'observer dans ces influences prétendues; alors nous y croirons de même, & avec autant de raison.

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