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INCESTE.

LESTartares, dit l'Efprit des lois, qui peuvent épouser leurs filles, n'époufent jamais leurs mères.

On ne fait de quels tartares l'auteur veut parler. Il cite trop fouvent au hafard. Nous ne connaissons aujourd'hui aucun peuple depuis la Crimée jusqu'aux frontières de la Chine, où l'on foit dans l'ufage d'époufer fa fille. Et s'il était permis à la fille d'époufer fon père, on ne voit pas pourquoi il ferait défendu au fils d'épouser sa mère.

Montefquieu cite un auteur nommé Prifcus. Il s'appelait Prifcus Panetes. C'était un fophifte qui vivait du temps d'Attila, & qui dit qu'Autila fe maria avec fa fille Esca, selon l'ufage des Scythes. Ce Prifcus n'a jamais été imprimé, il pourrit en manufcrit dans la bibliothèque du Vatican ; & il n'y a que Jornandès qui en faffe mention. Il ne convient pas d'établir la légiflation des peuples fur de telles autorités. Jamais on n'a connu cette Efca; jamais on n'entendit parler de fon mariage avec fon père Attila.

J'avoue que la loi qui prohibe de tels mariages. eft une loi de bienféance; & voilà pourquoi je n'ai jamais cru que les Perfes aient époufé leurs filles. Du temps des Cefars, quelques romains les en accufaient pour les rendre odieux. Il fe peut que quelque prince de Perfe eût commis un incefte, & qu'on imputât à la nation entière la turpitude d'un feul. C'eft peut-être le cas de dire quidquid delirant reges plectuntur Achivi.

Je veux croire qu'il était permis aux anciens Perfes de fe marier avec leurs fœcurs, ainfi qu'aux Athéniens, aux Egyptiens, aux Syriens, & même aux Juifs. De-là on aura conclu qu'il était commun d'époufer fon père & fa mère. Mais le fait eft que le mariage entre coufins eft défendu chez les Guèbres aujourd'hui; & ils paffent pour avoir confervé la doctrine de leurs pères auffi fcrupuleufement que les Juifs. Voyez Tavernier, fi pourtant vous vous en rapportez à Tavernier.

Vous me direz que tout eft contradiction dans ce monde; qu'il était défendu par la loi juive de fe marier aux deux fœurs, que cela était fort indécent, & que cependant Jacob époufa Rachel du vivant de fa fœur aînée, & que cette Rachel eft évidemment le type de l'Eglife catholique, apoftolique & romaine. Vous avez raifon; mais cela n'empêche pas que fi un particulier couchait en Europe avec les deux fœurs, il ne fût grièvement cenfuré. Pour les hommes puiffans conftitués en dignité, ils peuvent prendre pour le bien de leurs Etats toutes les fœurs de leurs femmes, & même leurs propres fœurs de père & de mère, felon leur bon plaiur.

C'eft bien pis quand vous aurez à faire avec votre commère ou avec votre marraine; c'était un crime irrémiffible par les capitulaires de Charlemagne. Cela s'appelle un incefte fpirituel.

Une Andovère qu'on appelle reine de France, parce qu'elle était femme d'un Chilpéric régule de Soiffons, fut vilipendée par la juftice eccléfiaftique, cenfurée, dégradée, divorcée, pour avoir tenu fon propre enfant

fur les fonts baptifmaux, & s'être faite ainfi la commère de fon propre mari. Ce fut un péché mortel, un facrilége, un inceste spirituel : elle en perdit fon lit & fa couronne. Cela contredit un peu ce que je difais tout-à-l'heure, que tout eft permis aux grands en fait d'amour, mais je parlais de notre temps préfent, & non pas du temps d'Andovere.

Quant à l'incefte charnel, lifez l'avocat Vouglan partie VIII, titre III, chap. IX; il veut abfolument qu'on brûle le coufin & la coufine qui auront eu un moment de faibleffe. L'avocat Vouglan eft rigoureux. Quel terrible welche!

YA-T-IL

IN CUBE S.

A-T-IL eu des incubes & des fuccubes? tous nos favans jurifconfultes démonographes admettaient également les uns & les autres.

Ils prétendaient que le diable, toujours alerte, infpirait des fonges lafcifs aux jeunes meffieurs & aux jeunes demoiselles ; qu'il ne manquait pas de recueillir le résultat des fonges mafculins, & qu'il le portait proprement & tout chaud dans le réfervoir féminin qui leur eft naturellement destiné. C'eft ce qui produifit tant de héros & de demi-dieux dans l'antiquité.

Le diable prenait là une peine fort fuperflue; il n'avait qu'à laiffer faire les garçons & les filles; ils auraient bien fans lui fourni le monde de héros.

On conçoit les incubes par cette explication du grand Delrio, de Boguet, & des autres favans en

forcellerie; mais elle ne rend point raifon des fuccubes. Une fille peut faire accroire qu'elle a couché avec un génie, avec un dieu, & que ce dieu lui a fait un enfant. L'explication de Delrio lui eft très-favorable. Le diable a dépofé chez elle la matière d'un enfant prise du rêve d'un jeune garçon; elle eft groffe, elle accouche fans qu'on ait rien à lui reprocher; le diable a été fon incube. Mais fi le diable fe fait fuccube, c'est tout autre chofe; il faut qu'il foit diableffe, il faut que la femence de l'homme entre dans elle; c'eft alors cette diableffe qui eft ensorcelée par un homme, c'eft elle à qui nous fefons un enfant.

Que les dieux & les déeffes de l'antiquité s'y prenaient d'une manière bien plus nette & plus noble! Jupiter en perfonne avait été l'incube d'Alcmene & de Sémélé. Thétis en perfonne avait été la fuccube de Pelée, & Vénus la fuccube d'Anchife, fans avoir recours à tous les fubterfuges de notre diablerie.

Remarquons feulement que les dieux se déguisaient fort fouvent pour venir à bout de nos filles, tantôt en aigle, tantôt en pigeon ou en cygne, en cheval, en pluie d'or; mais les déeffes ne fe déguifaient jamais; elles n'avaient qu'à fe montrer pour plaire. Or je foutiens que fi les dieux fe métamorphofèrent pour entrer fans fcandale dans les maifons de leurs maîtreffes, ils reprirent leur forme naturelle dès qu'ils y furent admis. Jupiter ne put jouir de Danaé quand il n'était que de l'or; il aurait été bien embarraffé avec Léda & elle auffi, s'il n'avait été que cygne; mais il redevint dieu, c'est-à-dire, un beau jeune homme; & il jouit.

Quant à la manière nouvelle d'engroffer les filles par le ministère du diable, nous ne pouvons en douter, car la forbonne décida la chofe dès l'an 1318.

Per tales artes & ritus impios & invocationes dæmonum, nullus unquam fequatur effectus minifterio dæmonum error. (a)

C'est une erreur de croire que ces arts magiques & ces invocations des diables foient fans effet.

Elle n'a jamais révoqué cet arrêt ; ainfi nous devons croire aux incubes & aux fuccubes, puifque nos maîtres y ont toujours cru.

Il y a bien d'autres maîtres. Bodin, dans fon livre des forciers, dédié à Chriftophe de Thou, premier préfident du parlement de Paris, rapporte que Jeanne Hervilier, native de Verberie, fut condamnée par ce parlement à être brûlée vive pour avoir proftitué sa fille au diable, qui était un grand homme noir, dont la femence était à la glace. Cela paraît contraire à la nature du diable. Mais enfin notre jurifprudence a toujours admis que le fperme du diable eft froid; & le nombre prodigieux des forcières qu'il a fait brûler fi long-temps eft toujours convenu de cette vérité.

Le célébre Pic de la Mirandole (un prince ne ment point) dit (b) qu'il a connu un vieillard de quatrevingts ans qui avait couché la moitié de sa vie avec une diableffe, & un autre de foixante & dix qui avait eu le même avantage. Tous deux furent brûlés à Rome. Il ne nous apprend pas ce que devinrent leurs enfans.

Voilà les incubes & les fuccubes démontrés.

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