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HERMÈS, OU ERMÈS, OU MERCURE TRISMEGISTE, ou THAUT, ou TAUT, OU THOT.

ON néglige cet ancien livre de Mercure Trifmé

gifte, & on peut n'avoir pas tort. Il a paru à des philofophes un fublime galimatias; & c'eft peutêtre pour cette raifon qu'on l'a cru l'ouvrage d'un grand platonicien.

que

Toutefois, dans ce chaos théologique de chofes propres à étonner & à foumettre l'efprit humain! DIEU dont la triple effence eft fageffe, puiffance & bonté ; DIEU formant le monde par sa pensée, par fon verbe; DIE U créant des dieux fubalternes; DIEU ordonnant à ces dieux de diriger les orbes céleftes, & de préfider au monde ; le soleil fils de DIEU; l'homme image de DIEU par la penfée; la lumière principal ouvrage de DIEU, effence divine: toutes ces grandes & vives images éblouirent l'imagination fubjuguée.

Il refte à favoir fi ce livre auffi célébre que peu lu, fut l'ouvrage d'un grec ou d'un égyptien.

St Auguflin ne balance pas à croire que le livre eft d'un égyptien, (a) qui prétendait être defcendu de l'ancien Mercure, de cet ancien Thaut, premier légiflateur de l'Egypte.

Il eft vrai que St Auguflin ne favait pas plus l'égyptien que le grec; mais il faut bien que de fon

(a) Cité de DIEU, liv. VIII, chap. XXVI.

temps on ne doutât pas que l'Hermès dont nous avons la théologie, ne fût un fage de l'Egypte, antérieur probablement au temps d'Alexandre, & l'un des prêtres que Platon alla confulter.

Il m'a toujours paru que la théologie de Platon ne reffemblait en rien à celle des autres grecs, fi ce n'eft à celle de Timée qui avait voyagé en Egypte ainfi que Pythagore.

L'Hermes Trifmégifte que nous avons eft écrit dans un grec barbare, affujetti continuellement à une marche étrangère. C'eft une preuve qu'il n'est qu'une traduction dans laquelle on a plus fuivi les paroles que le fens.

Jofeph Scaliger, qui aida le feigneur de Candale évêque d'Aire à traduire l'Hermès ou Mercure Trifmégifle, ne doute pas que l'original ne fût égyptien.

Ajoutez à ces raifons qu'il n'eft pas vraisemblable qu'un grec eût adreffé fi fouvent la parole à Thaut. Il n'eft guère dans la nature qu'on parle avec tant d'effufion de cœur à un étranger; du moins on n'en voit aucun exemple dans l'antiquité.

L'Efculape égyptien qu'on fait parler dans ce livre, & qui peut-être en eft l'auteur, écrit au roi d'Egypte Ammon: (b) Gardez-vous bien de fouffrir que les Grecs traduifent les livres de notre Mercure, de notre Thaut, parce qu'ils le défigureraient. Certainement un grec n'aurait point parlé ainfi.

Toutes les vraisemblances font donc que ce fameux livre eft égyptien.

(b) Préface du Mercure Trifmégifle.

que

Il y a une autre réflexion à faire, c'eft les fyftèmes d'Hermès & de Platon conspiraient également à s'étendre chez les écoles juives dès le temps des Ptolomées. Cette doctrine y fit bientôt de très grands progrès. Vous la voyez étalée toute entière chez le juif Philon, homme favant à la mode de ces temps-là.

Il copie des passages entiers de Mercure Trifmégifle dans fon chapitre de la formation du monde. Premièrement, dit-il, DIEU fit le monde intelligible, le ciel incorporel, & la terre invisible; après il créa l'effence incorporelle de l'eau & de l'efprit, & enfin l'effence de la lumière incorporelle patron du folcil & de tous les aflres.

Telle eft la doctrine d'Hermès toute pure. Il ajoute que le verbe ou la penfée invisible & intellectuelle est l'image

de DIEU.

Voici la création du monde par le verbe, par la penfée, par le logos, bien nettement exprimée.

Vient enfuite la doctrine des nombres, qui passa des Egyptiens aux Juifs. Il appelle la raison, la parente de DIEU. Le nombre de fept eft l'accompliffement de toute chose ; & c'eft pourquoi, dit-il, la lyre n'a que fept cordes.

En un mot, Philon poffédait toute la philofophie de fon temps.

On fe trompe donc quand on croit que les Juifs, fous le règne d'Hérode, étaient plongés dans la même espèce d'ignorance où ils étaient auparavant. Il eft évident que St Paul était très-inftruit ; il n'y a qu'à lire le premier chapitre de St Jean, qui eft fi différent des autres, pour voir que l'auteur écrit précisément comme Hermès & comme Platon. Au

commencement

commencement était le verbe, & le verbe, le logos, était avec DIEU, & DIEU était le logos; tout a été fait par lui, & fans lui rien n'eft de ce qui fut fait. Dans lui était la vie; & la vie était la lumière des hommes.

C'eft ainfi que St Paul dit (c) que DIEU a créé les fiècles par fon fils.

Dès le temps des apôtres vous voyez des fociétés entières de chrétiens qui ne font que trop favans, & qui fubftituent une philofophie fantaftique à la fimplicité de la foi. Les Simons, les Ménandre, les Cérinthe enfeignaient précisément les dogmes d'Hermès. Leurs éons n'étaient autre chofe que les dieux fubalternes créés par le grand Etre. Tous les premiers chrétiens ne furent donc pas des hommes fans lettres comme on dit tous les jours, puifqu'il y en avait plufieurs qui abusaient de leur littérature, & que même dans les Acles le gouverneur Felus dit à Paul: Tu es fou, Paul, trop de fcience t'a mis hors de fens.

Cérinthe dogmatifait du temps de St Jean l'évangélifte. Ses erreurs étaient d'une métaphyfique profonde & déliée. Les défauts qu'il remarquait dans la conftruction du monde lui firent penfer, comme le dit le docteur Dupin, que ce n'était pas le Dieu fouverain qui l'avait formé, mais une vertu inférieure à ce premier principe, laquelle n'avait pas connaiffance du Dieu fouverain. C'était vouloir corriger le fyflème de Platon même ; c'était fe tromper comme chrétien & comme philofophe. Mais c'était en même temps montrer un efprit très-délié & très

exercé.

(c) Epît. aux Hébreux, chap. I, v. 2. Dictionn. philofoph. Tome V.

C

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Il en eft de même des primitifs appelés quakers, dont nous avons tant parlé. On les a pris pour des hommes qui ne favaient que parler du nez, & qui ne fefaient nul ufage de leur raifon. Cependant, il y en eut plufieurs parmi eux qui employaient toutes les fineffes de la dialectique. L'enthousiasme n'eft pas toujours le compagnon de l'ignorance totale; il l'eft fouvent d'une fcience erronée.

HEUREUX, HEUREUSE,

CE m

HEUREUSEMENT.

E mot vient évidemment d'heur, dont heure est l'origine de-là ces anciennes expreffions, à la bonne heure, à la mal-heure, car nos pères n'avaient pour toute philofophie que quelques préjugés : des nations plus anciennes admettaient des heures favorables & funeftes.

On pourrait, en voyant que le bonheur n'était autrefois qu'une heure fortunée, faire plus d'honneur aux anciens qu'ils ne méritent, & conclure de là qu'ils regardaient le bonheur comme une chose trèspaffagère, telle qu'elle eft en effet. Ce qu'on appelle bonheur eft une idée abftraite, compofée de quelques idées de plaifir: car qui n'a qu'un moment de plaifir n'eft point un homme heureux, de même qu'un moment de douleur ne fait point un homme malheureux. Le plaifir eft plus rapide que le bonheur, & le bonheur que la félicité. Quand on dit : Je fuis heureux dans ce moment, on abuse du mot; & cela ne veut pas dire que j'ai du plaifir. Quand on a des

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