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embarraffés. Nous avons dans les décrétales le titre fameux de frigidis & maleficiatis, qui eft fort curieux, mais qui n'éclaircit pas tout.

Le premier cas difputé par Brocardié ne laiffe aucune difficulté ; les deux parties conviennent qu'il y en a une impuiffante; le divorce eft prononcé.

Le pape Alexandre III décide une question plus délicate. (d) Une femme mariée tombe malade. Inftrumentum ejus impeditum eft. Sa maladie eft naturelle ; les médecins ne peuvent la foulager; nous donnons à Jon mari la liberté d'en prendre une autre. Cette décrétale paraît d'un juge plus occupé de la néceffité de la population que de l'indiffolubilité du facrement. Comment cette loi papale eft-elle fi peu connue? comment tous les maris ne la favent-ils point par cœur?

La décrétale d'Innocent III n'ordonne des vifites de matrones qu'à l'égard de la femme que fon mari a déclarée en juftice être trop étroite pour le recevoir. C'eft peut-être pour cette raifon que la loi n'eft pas en vigueur.

Honorius III ordonne qu'une femme qui fe plaindra de l'impuiffance du mari demeurera huit ans avec lui jufqu'à divorce.

On n'y fit pas tant de façon pour déclarer le roi de Caftille Henri IV impuiffant, dans le temps qu'il était entouré de maîtreffes, & qu'il avait de fa femme une fille héritière de fon royaume. Mais ce fut l'archevêque de Tolède qui prononça cet arrêt: le pape ne s'en mêla pas.

(d) Décrétales, liv. IV, tit. XV.

On ne traita pas moins mal Alfonfe roi de Portugal, au milieu du dix-feptième fiècle. Ce prince n'était connu que par fa férocité, fes débauches & fa force de corps prodigieufe. L'excès de fes fureurs révolta la nation. La reine fa femme, princeffe de Nemours, qui voulait le détrôner & époufer l'infant dom Pedre fon frère, fentit combien il ferait difficile d'époufer les deux frères l'un après l'autre, après avoir couché publiquement avec l'aîné. L'exemple de Henri VIII d'Angleterre l'intimidait : elle prit le parti de faire déclarer fon mari impuiffant par le chapitre de la cathédrale de Lisbonne en 1667; après quoi elle époufa au plus vîte fon beau-frère, avant même d'obtenir une dispense du pape.

La plus grande épreuve à laquelle on ait mis les gens accufés d'impuissance a été le congrès. Le préfident Bouhier prétend que ce combat en champ-clos fut imaginé en France au quatorzième fiècle. Il est fûr qu'il n'a jamais été connu qu'en France.

Cette épreuve dont on a fait tant de bruit n'était point ce qu'on imagine. On se perfuade que les deux époux procédaient, s'ils pouvaient, au devoir matrimonial fous les yeux des médecins, chirurgiens & fages-femmes; mais non, ils étaient dans leur lit à l'ordinaire, les rideaux fermés ; les infpecteurs, retirés dans un cabinet voifin, n'étaient appelés qu'après la victoire ou la défaite du mari. Ainfi ce n'était au fond qu'une vifite de la femme dans le moment le plus propre à juger l'état de la question. Il est vrai qu'un mari vigoureux pouvait combattre & vaincre en présence de témoins. Mais peu avaient ce courage.

Si le mari en fortait à fon honneur, il eft clair que fa virilité était démontrée: s'il ne réuffiffait pas, il eft évident que rien n'était décidé, puisqu'il pouvait gagner un fecond combat ; que s'il le perdait il pouvait en gagner un troifième, & enfin un centième.

On connaît le fameux procès du marquis de Langeais, jugé en 1659; (par appel à la chambre de l'édit, parce que lui & fa femme Marie de St Simon étaient de la religion proteftante) il demanda le congrès. Les impertinences rebutantes de fa femme le firent fuccomber. Il préfenta un fecond cartel. Les juges fatigués des cris des fuperftitieux, des plaintes des prudes & des railleries des plaifans, refufèrent la feconde tentative, qui pourtant était de droit naturel. Puifqu'on avait ordonné un conflit, on ne pouvait légitimement, ce femble, en refufer un

autre.

La chambre déclara le marquis impuiffant & fon mariage nul, lui défendit de fe marier jamais, & permit à fa femme de prendre un autre époux.

La chambre pouvait-elle empêcher un homme qui n'avait pu être excité à la jouiffance par une femme, d'y être excité par une autre ? Il vaudrait autant défendre à un convive qui n'aurait pu manger d'une perdrix grife, d'effayer d'une perdrix rouge. Il fe maria malgré cet arrêt avec Diane de Navailles, & lui fit fept enfans.

Sa première femme étant morte, le marquis fe pourvut en requête civile à la grand'chambre contre l'arrêt qui l'avait déclaré impuiffant, & qui l'avait condamné aux dépens. La grand'chambre, fentant le ridicule de tout ce procès & celui de fon arrêt de

1659, confirma le nouveau mariage qu'il avait contracté avec Diane de Navailles malgré la cour, le déclara très-puiffant, refufa les dépens, mais abolit le congrès.

Il ne refta donc pour juger de l'impuissance des maris que l'ancienne cérémonie de la vifite des experts, épreuve fautive à tous égards; car une femme peut avoir été déflorée fans qu'il y paraiffe ; & elle peut avoir fa virginité avec les prétendues marques de la défloration. Les jurifconfultes ont jugé pendant quatorze cents ans de pucelages, comme ils ont jugé des fortiléges & de tant d'autres cas, fans rien connaître.

y

Le préfident Bouhier publia l'apologie du congrès quand il fut hors d'usage; il foutint que les juges n'avaient eu le tort de l'abolir que parce qu'ils avaient eu le tort de le refuser pour la feconde fois au marquis de Langeais.

Mais fi ce congrès peut manquer fon effet, fi l'inspection des parties génitales de l'homme & de la femme peut ne rien prouver du tout, à quel témoignage s'en rapporter dans la plupart des procès d'impuiffance? Ne pourrait-on pas répondre, à aucun? ne pourrait-on pas comme dans Athènes remettre la cause à cent ans? Ces procès ne font que honteux pour les femmes, ridicules pour les maris, & indignes des juges. Le mieux ferait de ne les pas fouffrir. Mais voilà un mariage qui ne donnera pas de lignée. Le grand malheur! tandis que vous avez dans l'Europe trois cents mille moines & quatrevingts mille nonnes qui étouffent leur poftérité.

INALIENATION, INALIENABLE. 299

INALIENATION, INALIENABLE.

LE domaine des empereurs romains étant autrefois

inaliénable, c'était le facré domaine; les barbares vinrent, & il fut très-aliéné. Il est arrivé même aventure au domaine impérial grec.

Après le rétabliffement de l'empire romain en Allemagne, le facré domaine fut déclaré inaliénable par les juriftes, de façon qu'il ne refte pas aujourd'hui un écu de domaine aux empereurs.

Tous les rois de l'Europe, qui imitèrent autant qu'ils purent les empereurs, eurent leur domaine inaliénable. François I, ayant racheté fa liberté par la conceffion de la Bourgogne, ne trouve point d'autre expédient que de faire déclarer cette Bourgogne incapable d'être aliénée; & il fut affez heureux pour violer fon traité & fa parole d'honneur impunément. Suivant cette jurifprudence, chaque prince pouvant acquérir le domaine d'autrui, & ne pouvant jamais rien perdre du fien, tous auraient à la fin le bien des autres; la chose est absurde; donc la loi non reftreinte eft abfurde auffi. Les rois de France & d'Angleterre n'ont prefque plus de domaine particulier; les contributions font leur vrai domaine; mais avec des formes très-différentes. (1)

(1) Le principe de l'inaliénabilité des domaines n'a jamais empêché en France ni de le donner aux courtisans ni de l'engager à vil prix dans les befoins de l'Etat. Il sert seulement à priver la nation obérée de la reffource immenfe que lui offrirait la vente de ces domaines, qui, par le defordre d'une administration néceffairement très-mauvaise, ne rapportent qu'un faible revenu.

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