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IMPUISSANCE.

JE comm

E commence par cette queftion en faveur des pauvres impuiffans frigidi & maleficiati, comme difent les décrétales. Y a-t-il un médecin, une matrone experte qui puiffe affurer qu'un jeune homme bien conformé, qui ne fait point d'enfans à fa femme, ne lui en pourra pas faire un jour ? la nature le fait; mais certainement les hommes n'en favent rien. Si donc il est impoffible de décider que le mariage ne fera pas confommé, pourquoi le diffoudre ?

On attendait deux ans chez les Romains. Juflinien, dans fes Novelles, (a) veut qu'on attende trois ans. Mais fi on accorde trois ans à la nature pour fe guérir, pourquoi pas quatre, pourquoi pas dix, ou même vingt?

On a connu des femmes qui ont reçu dix années entières les embraffemens de leurs maris fans aucune fenfibilité, & qui enfuite ont éprouvé les ftimulations les plus violentes. Il peut fe trouver des mâles dans ce cas; il y en a eu quelques exemples.

La nature n'eft en aucune de fes opérations fi bizarre que dans la copulation de l'espèce humaine; elle eft beaucoup plus uniforme dans celle des autres animaux.

C'eft chez l'homme feul que le phyfique eft dirigé & corrompu par le moral; la variété & la fingularité de fes appétits & de fes dégoûts eft prodigieufe. On a vu un homme qui tombait en défaillance à la (a) Collat. IV, tit. 1, Novel. XXII, chap. VI. .

vue de ce qui donne des défirs aux autres. Il est encore dans Paris quelques perfonnes témoins de ce phénomène.

Un prince, héritier d'une grande monarchie, n'aimait que les pieds. On a dit qu'en Efpagne ce goût avait été affez commun. Les femmes, par le foin de les cacher, avaient tourné vers eux l'imagination de plufieurs hommes.

Cette imagination paffive a produit des fingularités dont le détail eft à peine compréhenfible. Souvent une femme, par fon incomplaisance, repouffe le goût de fon mari & déroute la nature. Tel homme qui ferait un Hercule avec des facilités, devient un eunuque par des rebuts. C'eft à la femme feule qu'il faut alors s'en prendre. Elle n'est pas en droit d'accuser fon mari d'une impuiffance dont elle eft caufe. Son mari peut lui dire : Si vous m'aimez, vous devez me faire les careffes dont j'ai befoin pour perpétuer ma race; fi vous ne m'aimez pas, pourquoi m'avez-vous épousé?

Ceux qu'on appelait les maléficiés étaient fouvent réputés enforcelés. Ces charmes étaient fort anciens. Il y en avait pour ôter aux hommes leur virilité, il en était de contraires pour la leur rendre. Dans Pétrone, Crifis croit que Polienos, qui n'a pu jouir de Circé, a fuccombé fous les enchantemens des magiciennes appelées Manica, & une vieille veut le guérir par d'autres fortiléges.

Cette illufion fe perpétua long-temps parmi nous; on exorcifa au lieu de défenchanter; & quand l'exorcifme ne réuffiffait pas, on démariait.

Il s'éleva une grande question dans le droit canon fur les maléficiés. Un homme que les fortiléges empêchaient de confommer le mariage avec fa femme en époufait une autre & devenait père. Pouvait-il, s'il perdait cette feconde femme, r'époufer la première? la négative l'emporta fuivant tous les grands canoniftes, Alexandre de Nevo, André Albéric, Turrecramata, Soto, Ricard, Henriques, Rozella & cinquante autres.

On admire avec quelle fagacité les canoniftes, & furtout des religieux de mœurs irréprochables, ont fouillé dans les myftères de la jouiffance. Il n'y a point de fingularité qu'ils n'aient devinée. Ils ont difcuté tous les cas où un homme pouvait être impuiffant dans une fituation, & opérer dans une autre. Ils ont recherché tout ce que l'imagination pouvait inventer pour favorifer la nature: & dans l'intention d'éclaircir ce qui eft permis & ce qui ne l'eft pas, ils ont révélé de bonne foi tout ce qui devait être caché dans le fecret des nuits. On a pu dire d'eux, nox nocli indicat fcientiam.

Sanchez furtout a recueilli & mis au grand jour tous ces cas de confcience, que la femme la plus hardie ne confierait qu'en rougiffant à la matrone la plus difcrète. Il recherche attentivement,

Utrum liceat extra vas naturale femen emittere.-De altera fæmina cogitare in coïtu cum fua uxore.-Seminare confulto feparatim. - Congredi cum uxore fine fpe feminandi. -Impotentia talibus & illecebris opitulari. retrahere quando mulier feminavit. mittere dum in vafe debito femen effundat &c.

Se

Virgam alibi intro

Chacune de ces queftions en amène d'autres ; & enfin, Sanchez va jufqu'à difcuter, Utrum Virgo Maria femen emiferit in copulatione cum Spiritu Sancto.

Ces étonnantes recherches n'ont jamais été faites dans aucun lieu du monde que par nos théologiens; & les caufes d'impuiffance n'ont commencé que du temps de Théodofe. Ce n'eft que dans la religion chrétienne que les tribunaux ont retenti de ces querelles entre les femmes hardies & les maris honteux.

Il n'est parlé de divorce dans l'évangile que pour cause d'adultère. La loi juive permettait au mari de renvoyer celle de fes femmes qui lui déplaifait, fans spécifier la cause. (b) Si elle ne trouve pas grâce devant Jes yeux, cela fuffit. C'eft la loi du plus fort; c'est le genre-humain dans fa pure & barbare nature. Mais d'impuiffance, il n'en eft jamais queftion dans les lois juives. Il femble, dit un cafuifte, que DIEU ne pouvait permettre qu'il y eût des impuiffans chez un peuple facré qui devait fe multiplier comme les fables de la mer, à qui DIEU avait promis par ferment de lui donner le pays immenfe qui eft entre le Nil & l'Euphrate, & à qui fes prophètes fefaient efpérer qu'il dominerait un jour fur toute la terre. Il était néceffaire pour remplir ces promeffes divines que tout digne juif fût occupé fans relâche au grand œuvre de la propagation. Il y a certainement de la malédiction dans l'impuiffance; le temps n'était pas encore venu de fe faire eunuque pour le royaume des cieux. Le mariage ayant été dans la fuite des temps élevé à la dignité de facrement, de mystère, les ecclefiaftiques devinrent infenfiblement les juges de tout ce (b) Deuteron. chap. XXIV, v. 1.

qui fe paffait entre mari & femme; & même de tout ce qui ne s'y paffait pas.

Les femmes eurent la liberté de préfenter requête pour être embefognées, c'était le mot dont elles se fervaient dans notre gaulois; car d'ailleurs on inftruifait les caufes en latin. Des clercs plaidaient; des prêtres jugeaient. Mais de quoi jugeaient-ils ? des objets qu'ils devaient ignorer ; & les femmes portaient des plaintes qu'elles ne devaient pas proférer.

Ces procès roulaient toujours fur ces deux objets : Sorciers qui empêchaient un homme de consommer fon mariage, femmes qui voulaient fe remarier.

Ce qui femble très-extraordinaire, c'eft que tous les canoniftes conviennent qu'un mari à qui on a jeté un fort pour le rendre impuiffant (c) ne peut en confcience détruire ce fort, ni même prier le magicien de le détruire. Il fallait abfolument, du temps des forciers, exorcifer. Ce font des chirurgiens qui, ayant été reçus à St Côme, ont le privilége exclufif de vous mettre un emplâtre, & vous déclarent que vous mourrez fi vous êtes guéri par la main qui vous a bleffé. Il eût mieux valu d'abord fe bien affurer fi un forcier peut ôter & rendre la virilité à un homme. On pouvait encore faire une autre obfervation. Il s'eft trouvé beaucoup d'imaginations faibles qui redoutaient plus un forcier qu'ils n'efpéraient en un exorcifte. Le forcier leur avait noué l'aiguillette, & l'eau bénite ne la dénouait pas. Le diable en impofait plus que l'exorcifme ne rassurait.

Dans les cas d'impuiffance dont le diable ne se mêlait pas, les juges eccléfiaftiques n'étaient pas moins (e) Voyez Pontas, empêchement de l'impuissance.

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