Page images
PDF
EPUB

eft celle dont nous avons traité ; c'eft ce talent de former des peintures neuves de toutes celles qui font dans notre mémoire.

La paffive n'eft prefque autre chofe que la mémoire, même dans un cerveau vivement ému. Un homme d'une imagination active & dominante, un prédicateur de la ligue en France, ou des puritains en Angleterre, harangue la populace d'une voix tonnante, d'un œil enflammé & d'un gefte d'énergumène, repréfente JESUS-CHRIST demandant justice au Père éternel des nouvelles plaies qu'il a reçues des royaliftes, des clous que ces impies viennent de lui enfoncer une feconde fois dans les pieds & dans les mains. Vengez DIEU le père, vengez le fang de DIEU le fils, marchez fous les drapeaux du St Efprit ; c'était autrefois une colombe; c'eft aujourd'hui un aigle qui porte la foudre. Les imaginations paffives ébranlées par ces images, par la voix, par l'action de ces charlatans fanguinaires, courent du prône & du prêche tuer des royaliftes & fe faire pendre.

Les imaginations paffives vont s'émouvoir tantôt aux fermons, tantôt aux fpectacles, tantôt à la Grève, tantôt au fabbat.

QUEL

IM P
MPI E.

UEL eft l'impie? c'eft celui qui donne une barbe blanche, des pieds & des mains à l'Etre des êtres, au grand Demiourgos, à l'intelligence éternelle par laquelle la nature eft gouvernée. Mais ce n'eft qu'un impie excufable, un pauvre impie contre lequel on ne doit pas fe fàcher.

Si même il peint le grand Etre incompréhensible porté fur un nuage qui ne peut rien porter; s'il eft affez bête pour mettre DIEU dans un brouillard, dans la pluie ou fur une montagne, & pour l'entourer de petites faces rondes, jouflues, enluminées, accompagnées de deux aîles, je ris, & je lui pardonne de

tout mon cœur.

L'impie qui attribue à l'Etre des êtres des prédictions déraisonnables & des injuftices me fâcherait, fi ce grand Etre ne m'avait fait présent d'une raison qui réprime ma colère. Ce fot fanatique me répète, après d'autres, que ce n'est pas à nous à juger de ce qui est raisonnable & jufte dans le grand Etre, que fa raison n'est pas comme notre raifon, que fa juftice n'eft pas comme notre justice. Eh! comment veux-tu, mon fou d'énergumène, que je juge autrement de la justice & de la raifon que par les notions que j'en ai? veux-tu que je marche autrement qu'avec mes pieds, & que je te parle autrement qu'avec ma bouche?

L'impie qui fuppofe le grand Etre jaloux, orgueilleux, malin, vindicatif, eft plus dangereux. Je ne voudrais pas coucher fous même toit avec cet homme.

Mais comment traiterez-vous l'impie qui vous dit: Ne vois que par mes yeux, ne penfe point; je t'annonce un Dieu tyran qui m'a fait pour être ton tyran; je fuis fon bien-aimé; il tourmentera pendant toute l'éternité des millions de fes créatures qu'il détefte pour me réjouir ; je ferai ton maître dans ce monde, & je rirai de tes fupplices dans l'autre ?

Ne vous fentez-vous pas une démangeaifon de roffer ce cruel impie? & fi vous êtes né doux, ne vous pas de toutes vos forces à l'Occident

courez

quand ce barbare débite ses rêveries atroces à l'Orient? A l'égard des impies qui manquent à fe laver le coude vers Alep & vers Erivan, ou qui ne fe mettent pas à genoux devant une proceffion de capucins à Perpignan, ils font coupables fans doute; mais je ne crois pas qu'on doive les empaler.

[blocks in formation]

ON a fait tant d'ouvrages philofophiques fur la

nature de l'impôt qu'il faut bien en dire ici un petit mot. Il est vrai que rien n'eft moins philofophique que cette matière; mais elle peut rentrer dans la philofophie morale, en représentant à un furintendant des finances, ou à un tefterdar turc, qu'il n'eft pas felon la morale univerfelle de prendre l'argent de fon prochain, & que tous les receveurs, douaniers, commis des aides & gabelles, font maudits dans l'Evangile.

Tout maudits qu'ils font, il faut pourtant convenir qu'il eft impoffible qu'une fociété fubfifte fans que chaque membre paie quelque chose pour les frais de cette fociété. Et puifque tout le monde doit payer, il eft néceffaire qu'il y ait un receveur. On ne voit pas pourquoi ce receveur eft maudit, & regardé comme un idolâtre. Il n'y a certainement nulle idolâtrie à recevoir l'argent des convives pour payer leur fouper.

Dans les républiques & dans les Etats qui, avec le nom de royaume, font des républiques en effet, chaque particulier eft taxé fuivant fes forces & fuivant les befoins de la fociété.

Dans les royaumes defpotiques, ou, pour parler plus poliment, dans les Etats monarchiques, il n'en eft pas tout à fait de même. On taxe la nation fans la confulter. Un agriculteur qui a douze cents livres de revenu est tout étonné qu'on lui en demande quatre cents. Il en eft même plufieurs qui font obligés de payer plus de la moitié de ce qu'ils recueillent. (1)

A quoi eft employé tout cet argent? l'ufage le plus honnête qu'on puiffe en faire eft de le donner à d'autres citoyens.

Le cultivateur demande pourquoi on lui ôte la moitié de fon bien pour payer des foldats, tandis que la centième partie fuffirait? on lui répond, qu'outre les foldats il faut payer les arts & le luxe, que rien n'eft perdu, que chez les Perfes on affignait à la reine des villes & des villages pour payer fa ceinture, fes pantoufles & fes épingles.

Il replique qu'il ne fait point l'histoire de Perfe, & qu'il eft très-fâché qu'on lui prenne la moitié de fon

( 1 ) Avouons que s'il y a quelques républiques où l'on fasse semblant de confulter la nation, il n'y en a peut-être pas une feule où elle foit réellement confultée.

Avouons encore qu'en Angleterre, à l'exemption près de tout impôt perfonnel, il y a dans les taxes autant de difproportion, de gênes, de faux frais, de poursuites violentes que dans aucune monarchie. Avouons enfin qu'il eft très-poffible que dans une république le corps législatif soit intéresse à maintenir une mauvaise adminiftration d'impôts, tandis qu'un monarque ne peut y avoir aucun intérêt. Ainfi le peuple d'une république peut avoir à craindre & l'erreur & la corruption de fes chefs, au lieu que les fujets d'un monarque n'ont que fes erreurs à redouter.

[ocr errors]

bien pour une ceinture, des épingles & des fouliers, qu'il les fournirait à bien meilleur marché, & que c'eft une véritable écorcherie.

On lui fait entendre raison en le mettant dans un cachot, & en fefant vendre fes meubles. S'il réfifte aux exacteurs que le nouveau Teftament a damnés, on le fait pendre, & cela rend tous fes voifins infini

ment accommodans.

Si tout cet argent n'était employé par le fouverain qu'à faire venir des épiceries de l'Inde, du café de Moka, des chevaux anglais & arabes, des foies du Levant, des colifichets de la Chine, il eft clair qu'en peu d'années il ne refterait pas un fou dans le royaume. Il faut donc que l'impôt ferve à entretenir les manufactures, & que ce qui a été verfé dans les coffres du prince retourne aux cultivateurs. Ils fouffrent, ils fe plaignent les autres parties de l'Etat fouffrent & fe plaignent auffi; mais au bout de l'année il fe trouve que tout le monde a travaillé & a vécu bien ou mal.

Si par hafard l'homme agrefte va dans la capitale, il voit avec des yeux étonnés une belle dame, vêtue d'une robe de foie brochée d'or, traînée dans un carroffe magnifique par deux chevaux de prix, fuivie de quatre laquais, habillés d'un drap à vingt francs l'aune; il s'adreffe à un des laquais de cette belle dame, & lui dit: Monseigneur, où cette dame prend - elle tant d'argent pour faire une fi grande dépenfe? Mon ami, lui dit le laquais, le roi lui fait une penfion de quarante mille livres. Hélas! dit le ruftre, c'eft mon village qui paie cette pension. Oui, répond le laquais; mais la foie que tu as recueillie, & que tu as vendue, a fervi à l'étoffe dont elle eft habillée, mon drap eft en partie

[ocr errors]
« PreviousContinue »