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d'une horreur religieufe, & adorer fans le favoir la ftatue même. C'eft ce qui eft arrivé quelquefois dans nos temples à nos payfans groffiers, & on n'a pas manqué de les inftruire que c'est aux bienheureux, aux mortels reçus dans le ciel qu'ils doivent demander leur interceffion, & non à des figures de bois & de pierre.

Les Grecs & les Romains augmentèrent le nombre de leurs dieux par leurs apothéofes; les Grecs divinifaient les conquérans, comme Bacchus, Hercule, Perfee. Rome dreffa des autels à fes empereurs. Nos apothéoses font d'un genre différent; nous avons infiniment plus de faints qu'ils n'avaient de ces dieux fecondaires, mais nous n'avons égard ni au rang ni aux conquêtes. Nous avons élevé des temples à des hommes fimplement vertueux, qui feraient ignorés fur la terre s'ils n'étaient placés dans le ciel. Les apothéofes des anciens font faites par la flatterie, les nôtres par le refpect pour la vertu.

Cicéron dans fes ouvrages philofophiques ne laiffe pas foupçonner feulement qu'on puiffe fe méprendre aux ftatues des dieux, & les confondre avec les dieux mêmes. Ses interlocuteurs foudroient la religion établie, mais aucun d'eux n'imagine d'accufer les Romains de prendre du marbre & de l'airain pour des divinités. Lucrèce ne reproche cette fottife à perfonne, lui qui reproche tout aux fuperftitieux. Donc, encore une fois, cette opinion n'existait pas, on n'en avait aucune idée; il n'y avait point d'idolâtres.

Horace fait parler une statue de Priape, il lui fait dire: J'étais autrefois un tronc de figuier; un charpentier, ne fachant s'il ferait de moi un dieu ou un banc,

Je

détermina enfin à me faire dieu &c. Que conclure de cette plaifanterie? Priape était de ces divinités fubalternes, abandonnées aux railleurs; & cette plaifanterie même eft la preuve la plus forte que cette figure de Priape, qu'on mettait dans les potagers pour effrayer les oifeaux, n'était pas fort révérée.

Dacier, en fe livrant à l'efprit commentateur, n'a pas manqué d'obferver que Baruch avait prédit cette aventure, en disant: Ils ne feront que ce que voudront les ouvriers; mais il pouvait observer auffi qu'on en peut dire autant de toutes les ftatues. Baruch aurait-il eu une vifion fur les fatires d'Horace?

On peut d'un bloc de marbre tirer tout auffi-bien une cuvette qu'une figure d'Alexandre, ou de Jupiter, ou de quelqu'autre chofe plus refpectable. La matière dont étaient formés les chérubins du faint des faints aurait pu fervir également aux fonctions les plus viles. Un trône, un autel en font-ils moins révérés parce que l'ouvrier en pouvait faire une table de cuifine?

Dacier au lieu de conclure que les Romains adoraient la ftatue de Priape, & que Baruch l'avait prédit, devait donc conclure que les Romains s'en moquaient. Confultez tous les auteurs qui parlent des ftatues de leurs dieux, vous n'en trouverez aucun qui parle d'idolâtrie; ils difent expreffément le contraire. Vous voyez dans Martial:

Qui finxit facros auro vel marmore vultus,
Non facit ille Deos; qui colit ille facit.

L'artifan ne fait point les dieux,

C'eft celui qui les prie.

Dans Ovide:

Colitur pro Jove forma Jovis.

Dans l'image de Dieu c'eft Dieu feul qu'on adore.
Dans Stace:

Nulla autem effigies, nulli commissa metallo :
Forma Dei mentes habitare ac numina gaudet.

Les dieux ne font jamais dans une arche enfermés:
Ils habitent nos cœurs.

Dans Lucain :

Eftne Dei fedes, nifi terra & pontus & aër?

L'univers eft de Dieu la demeure & l'empire.

On ferait un volume de tous les paffages qui dépofent que des images n'étaient que des images.

Il n'y a que le cas où les ftatues rendaient des oracles, qui ait pu faire penfer que ces ftatues avaient en elles quelque chofe de divin. Mais certainement l'opinion régnante était que les dieux avaient choifi certains autels, certains fimulacres pour y venir réfider quelquefois, pour y donner audience aux hommes, pour leur répondre. On ne voit dans Homère, & dans les chœurs des tragédies grecques, que des prières à Apollon qui rend fes oracles fur les montagnes, en tel temple, en telle ville; il n'y a pas dans toute l'antiquité la moindre trace d'une prière adreffée à une ftatue; fi on croyait que l'efprit divin préférait quelques temples, quelques images, comme on croyait auffi qu'il préférait quelques hommes, la chofe était certainement poffible; ce n'était qu'une erreur de fait. Combien avons-nous d'images miraculeufes ! Les

anciens fe vantaient d'avoir ce que nous poffédons en effet ; & fi nous ne fommes point idolâtres, de quel droit dirons-nous qu'ils l'ont été ?

Ceux qui profeffaient la magie, qui la croyaient une fcience, ou qui feignaient de le croire, prétendaient avoir le secret de faire defcendre les dieux dans les ftatues; non pas les grands dieux, mais les dieux fecondaires, les génies. C'eft ce que Mercure trifmégifte appelait faire des dieux; & c'eft ce que St Auguftin réfute dans fa Cité de Dieu. Mais cela même montre évidemment que les fimulacres n'avaient rien en eux de divin, puisqu'il fallait qu'un magicien les animât; & il me femble qu'il arrivait bien rarement qu'un magicien fût affez habile pour donner une ame à une ftatue, pour la faire parler.

En un mot, les images des dieux n'étaient point des dieux. Jupiter, & non pas fon image, lançait le tonnerre; ce n'était pas la ftatue de Neptune qui foulevait les mers, ni celle d'Apollon qui donnait la lumière. Les Grecs & les Romains étaient des gentils, des polythéiftes, & n'étaient point des idolâtres.

Nous leur prodiguâmes cette injure quand nous n'avions ni ftatues ni temples, & nous avons continué dans notre injustice depuis que nous avons fait fervir la peinture & la fculpture à honorer nos vérités comme ils s'en fervaient pour honorer leurs erreurs.

SECTION III.

Si les Perfes, les Sabéens, les Egyptiens, les Tartares, les Turcs ont été idolâtres; & de quelle antiquité eft l'origine des fimulacres appelés idoles? Hiftoire de leur culte.

C'EST

EST une grande erreur d'appeler idolâtres les peuples qui rendirent un culte au foleil & aux étoiles. Ces nations n'eurent long-temps ni fimulacres ni temples. Si elles fe trompèrent, c'eft en rendant aux aftres ce qu'elles devaient au créateur des aftres. Encore le dogme de Zoroaftre ou Zerduft, recueilli dans le Sadder, enfeigne-t-il un être fuprême, vengeur & rémunérateur; & cela eft bien loin de l'idolâtrie. Le gouvernement de la Chine n'a jamais eu aucune idole; il a toujours confervé le culte fimple du maître du ciel Kingtien.

Gengis-kan chez les Tartares n'était point idolâtre, & n'avait aucun fimulacre. Les mufulmans qui rempliffent la Grèce, l'Afie mineure, la Syrie, la Perse, l'Inde & l'Afrique, appellent les chrétiens idolâtres giaours, parce qu'ils croient que les chrétiens rendent un culte aux images. Ils brifèrent plufieurs ftatues qu'ils trouvèrent à Conftantinople dans Ste Sophie & dans l'églife des Sts Apôtres, & dans d'autres qu'ils convertirent en mofquées. L'apparence les trompa comme elle trompe toujours les hommes, & leur fit croire que des temples dédiés à des faints qui avaient été hommes autrefois, des images de ces faints révérées à genoux, des miracles opérés dans ces temples, étaient des preuves invincibles de l'idolâtric la plus complète; cependant il n'en eft

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