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de cinq propofitions dont une four converfe aura entendu parler; & nous fefons à DIEU l'affaire la plus fimple de l'arrangement de tous les mondes.

La prémotion phyfique eft fondée fur ce principe à la grecque, que fi un être penfant fe donnait une idée il augmenterait fon être. Or nous ne favons ce que c'eft qu'augmenter fon être; nous n'entendons rien à cela. Nous difons qu'un être penfant fe donnerait de nouveaux modes, & non pas une addition d'exiftence. De même que quand vous danfez, vos coulés, vos entrechats & vos attitudes ne vous donnent pas une existence nouvelle, qui nous femblerait abfurde. Nous ne fommes d'accord avec la prémotion phyfique qu'en étant convaincus que nous ne nous donnons rien.

On crie contre le fyftème de la prémotion, & contre le nôtre, que nous ôtons aux hommes la liberté: DIEU nous en garde. Il n'y a qu'à s'entendre fur ce mot Liberté : nous en parlerons en fon lieu; & en attendant, le monde ira comme il eft allé toujours, fans que les thomiftes ni leurs adverfaires, ni tous les difputeurs du monde y puiffent rien changer; & nous aurons toujours des idées fans favoir précisément ce que c'eft qu'une idée.

CE

IDENTITÉ.

E terme fcientifique ne fignifie que même chofe. Il pourrait être rendu en français par mêmeté. Ce fujet eft bien plus intéreffant qu'on ne pense. On convient qu'on ne doit jamais punir que la perfonne Dictionn. philofoph. Tome V.

P

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coupable, le même individu, & point un autre. Mais
un homme de cinquante ans n'eft réellement point
le même individu que l'homme de vingt ; il n'a plus
aucune des parties qui formaient fon corps; & s'il
a perdu la mémoire du paffé, il est certain
que rien
ne lie fon existence actuelle à une existence qui eft
perdue pour lui.

Vous n'êtes le même que par le fentiment continu de ce que vous avez été & de ce que vous êtes; vous n'avez le fentiment de votre être paffé que par la mémoire : ce n'eft donc que la mémoire qui établit l'identité, la mêmeté de votre perfonne.

Nous fommes réellement phyfiquement comme un fleuve dont toutes les eaux coulent dans un flux perpétuel. C'est le même fleuve par fon lit, fes rives, fa fource, fon embouchure, par tout ce qui n'eft pas lui; mais changeant à tout moment fon cau qui conftitue fon être, il n'y a nulle identité, nulle mêmeté pour ce fleuve.

S'il y avait un Xerxès tel que celui qui fouettait l'Hellefpont pour lui avoir défobéi, & qui lui envoyait une paire de menottes; fi le fils de ce Xerxès s'était noyé dans l'Euphrate, & que Xerxès voulût punir ce fleuve de la mort de fon fils, l'Euphrate aurait raison de lui répondre: Prenez-vous-en aux flots qui roulaient dans le temps que votre fils fe baignait. Ces flots ne m'appartiennent point du tout; ils font allés dans le golfe perfique, une partie s'y eft falée, une autre s'eft convertie en vapeurs, & s'en eft allée dans les Gaules par un vent de fud-eft; elle eft entrée dans les chicorées & dans les laitues

que les Gaulois ont mangées : prenez le coupable où vous le trouverez.

Il en eft ainfi d'un arbre dont une branche caffée par le vent aurait fendu la tête de votre grand-père. Ce n'eft plus le même arbre, toutes fes parties ont fait place à d'autres. La branche qui a tué votre grand-père n'eft point à cet arbre; elle n'existe plus.

On a donc demandé comment un homme qui aurait absolument perdu la mémoire avant fa mort, & dont les membres feraient changés en d'autres fubftances, pourrait être puni de fes fautes, ou récompenfé de fes vertus quand il ne ferait plus lui-même ? J'ai lu dans un livre connu cette demande & cette réponse.

Demande. Comment pourrais-je être récompensé ou puni quand je ne ferai plus, quand il ne reftera rien de ce qui aura conftitué ma perfonne ? ce n'est que par ma mémoire que je fuis toujours moi. Je perds ma mémoire dans ma dernière maladie ; il faudra donc après ma mort un miracle pour me la rendre, pour me faire rentrer dans mon existence perdue?

Réponse. C'est-à-dire que fi un prince avait égorgé fa famille pour régner, s'il avait tyrannifé fes fujets, il en ferait quitte pour dire à DIEU: Ce n'eft pas moi, j'ai perdu la mémoire; vous vous méprenez, je ne fuis plus la même perfonne. Penfez-vous que DIEU fût bien content de ce fophifme?

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Cette réponse eft très-louable, mais elle ne réfout pas entièrement la question.

Il s'agit d'abord de favoir fi l'entendement & la fenfation font une faculté donnée de DIEU à l'homme, ou une substance créée; ce qui ne peut guère fe décider par la philofophie, qui eft fi faible & fi incertaine.

&

Enfuite il faut favoir fi l'ame étant une fubftance,

ayant perdu toute connaissance du mal qu'elle a pu faire, étant auffi étrangère à tout ce qu'elle a fait avec fon corps qu'à tous les autres corps de notre univers, peut & doit, felon notre manière de raifonner, répondre dans un autre univers des actions dont elle n'a aucune connaiffance; s'il ne faudrait pas en effet un miracle pour donner à cette ame le fouvenir qu'elle n'a plus, pour la rendre préfente aux délits anéantis dans fon entendement, pour la faire la même perfonne qu'elle était fur terre; ou bien, fi DIEU la jugerait à peu près comme nous condamnons fur la terre un coupable, quoiqu'il ait abfolument oublié fes crimes manifestes. Il ne s'en fouvient plus; mais nous nous en fouvenons pour lui; nous le puniffons pour l'exemple. Mais DIEU ne peut punir un mort pour qu'il ferve d'exemple aux vivans. Perfonne ne fait fi ce mort est condamné ou abfous. DIEU ne peut donc le punir que parce qu'il fentit & qu'il exécuta autrefois le défir de mal faire. Mais fi quand il fe préfente mort au tribunal de DIEU il n'a plus rien de ce défir; s'il l'a entièrement oublié depuis vingt ans ; s'il n'eft plus du tout la même perfonne, qui DIEU punira-t-il en lui?

IDOLE, IDOLATRE, IDOLATRIE. 229

Ces queftions ne paraiffent guère du reffort de l'efprit humain : il paraît qu'il faut dans tous ces labyrinthes recourir à la foi feule; c'eft toujours notre dernier afile.

Lucrèce avait en partie fenti ces difficultés quand il peint, dans fon troifième livre, un homme qui craint ce qui lui arrivera lorfqu'il ne fera plus le même homme.

Non radicitus è vitâ fe tollit & evit;

Sed facit effe fui quiddam fuper infcius ipfe.

Sa raison parle en vain; fa crainte le dévore
Comme fi n'étant plus il pouvait être encore.

Mais ce n'eft pas à Lucrèce qu'il faut s'adreffer pour connaître l'avenir.

Le célébre Toland, qui fit fa propre épitaphe, la finit par ces mots : Idem futurus Tolandus nunquam ; il ne fera jamais le même Toland. Cependant il eft à croire que DIEU l'aurait bien fu retrouver s'il avait voulu; mais il eft à croire auffi que l'Etre qui exifte néceffairement eft néceffairement bon.

IDOLE, IDOLATRE, IDOLATRIE.

IDOLE, du grec Eidos, figure; Eidolos, représenta

tion d'une figure; Latreuein, fervir, révérer, adorer. Ce mot adorer a, comme on fait, beaucoup d'acceptions différentes : il fignifie porter la main à la bouche en parlant avec refpect, fe courber, fe mettre à genoux, faluer, & enfin communément rendre un culte fuprême. Toujours des équivoques.

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